La manquante

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24 juin, Namur, Belgique, Europe.

Cecil contemplait la pile de liasses qui s'empilait sur son bureau. C'était toutes les chansons en attente de sa validation. Des EPs d'artistes avec qui il venait juste de signer, quelques albums futurs, des singles qu'il refuserait une fois encore et, tout en haut de la pile, les chansons de KOBSE.

Il les prit et les étala devant lui. Une, deux, trois, quatre... Le compte n'était pas bon. Il ouvrit les pochettes et décortiqua rapidement les étiquettes. Il manquait la chanson d'Honor. Précipitamment, il pressa un bouton sur son interphone. La porte de son bureau s'ouvrit presque simultanément.

— Vous m'avez demandée, Monsieur Proslin ?

Rosemay entra dans le bureau de sa démarche chaloupée. Lorsqu'il l'avait engagée, Cecil n'avait pas pu détacher son regard des hanches volumineuses de la femme. Elles suivaient chacun de ses mouvements, comme le balancier de la vieille horloge que possédait sa grande-tante. Désormais, il trouvait ça aussi normal que de voir la porte s'ouvrir à chaque fois qu'il appuyait sur le bouton d'appel de son téléphone.

— Comment se fait-il que je n'ai que quatre chansons de KOBSE sur mon bureau ? Où avez-vous mis celle d'Honor ?

— Elle ne me l'a pas donné, monsieur. À la place, elle m'a demandé de vous donner de petit mot.

Elle tira de sa poche ventrale – elle portait une sorte de tablier informe rose déteint à multiples poches – un morceau de papier qu'elle tendit entre ses ongles rongés à son patron. Il le lut rapidement avant de s'exclamer :

— Comment se fait-il qu'elle ne l'ai pas encore écrite ? Une date butoir est faite pour être respectée !

Il avait légèrement haussé la voix à la fin de sa phrase. Rosemay recula d'un pas, presque effrayée.

— Laissez-moi.

Cecil balaya l'air de la main et la secrétaire s'esquiva à reculant. La colère du producteur retomba presque immédiatement. Il n'y avait pas de quoi en faire tout un foin. Pourquoi s'énervait-il ainsi ? Par sa faute, Rosemay paraissait prête à déposer sa démission sur-le-champs ! Avoir un patron bipolaire ne devait pas être dans ses objectifs de vie.

Il soupira. Une image s'imposa à son esprit. Ayyan. Son chéri. Il était si différent de son ex-femme. Plus attentif, plus énergique, plus jeune aussi – il avait cinq ans de moi que Cecil, alors que Lutèce en avait trois de plus – il était la femme dont il avait toujours rêvé. Sauf que c'était un homme. Après l'échec de son premier mariage, Cecil avait pensé que l'amour n'était pas pour lui. Il n'y croyait plus. Il était alors parti en quête de lui-même dans un périple au Moyen-Orient. C'est là qu'il avait rencontré Ayyan. Il bossait dans une boutique de souvenirs à la frontière entre l'Egypte et l'Arabie Saoudite pour rembourser un ami de son oncle à qui il devait le financement de ses études. Il l'avait vu et il lui avait souri. Comme si Cecil qui rentrait dans sa boutique était le rayon de soleil – alors même qu'il n'en manquait pas là-bas ! – dans sa journée. Le lendemain, Cecil était revenu, et il avait fait ce qu'il n'avait pas osé la veille : il avait proposé un café à Ayyan. Son cœur se souvint encore du bond qu'il avait fait lorsqu'Ayyan avait répondu « Non. ». Ça n'avait durer que quelques secondes mais il lui semblait avoir passé plusieurs heures à tomber au pus profond d'une abysse glaciale. Puis, il avait réussi à réanimer son cœur quand le jeune homme avait proposé en riant une glace : il faisait bien trop chaud pour un café, se justifiait-il. Après ce rendez-vous, ils avaient continué à se voir durant le séjour de Cecil en Égypte. Presque tous les jours. Alors que ses vacances touchaient à leur fin, Cecil n'avait pas pu résister à inviter Ayyan à repartir avec lui. Le jeune homme n'attendait que ça pour lui dire qu'il l'aimait ! C'était une formidable aventure. Tout comme les mois qui avaient suivi quand ils s'étaient installés ensemble en Belgique. Cecil était heureux cependant, Ayyan souffrait d'inactivité, de manque de sommeil et de solitude. Alors, un matin, n'en pouvant plus, il avait fait ses valises et était reparti chez lui en laissant seulement un mot sur la table :  « Je t'aime mais je n'en peux plus. ».  Cecil ne pouvait pas le laisser partir avec son cœur. Alors, il lui avait couru après, l'avait supplié. Mais Ayyan ne revenait toujours plus. Cecil avait fait ce qu'il n'aurait jamais imaginé refaire une seconde fois : il l'avait demander en mariage. Et désormais, il attendait, prêt à faire une crise de nerfs à chaque obstacle rencontré, que son peut-être-fiancé lui dise « Oui. ».

Pour se calmer, Cecil regarda plus profondément les autres textes disposés devant lui. Il y avait de vraies petites merveilles. Sun Mei avait fourni une traduction de son rap :  elle l'avait écrit en chinois. Blake et Target avaient rédigé à deux les paroles de leur duo. Une balade nostalgique pour Felicia et une chanson confession pour Ekaterina. Il ne manquait plus que la chanson d'Honor pour compléter le tout. Bien qu'il soit différent des précédents, cet album promettait de regorger de tubes !

Ouvrant un tiroir sous son bureau, il sortit son téléphone portable perso. Il en avait bien un pour le boulot mais il trouvait que ce message était plus personnel.

Il écrivit « Prend ton temps. » et envoya le message à Honor. Après tout, il pouvait très bien attendre :  ils n'étaient pas si pressés que ça.

Il hésita quelques instants. Ce message convenait parfaitement à Ayyan. Mais il avait décidé de ne pas le brusquer. Il voulait lui laisser tout le temps dont il avait besoin pour décidée. Et tant pis si ça prenait des semaines !

Un coup résonna contre sa porte et il rangea prestement son portable dans le tiroir.

— Oui ?

Rosemay entra.

— Monsieur, Nilla est dans la salle d'attente.

— Et bien, faite la entrer ! Que je règle ce problème de voix cassée !

Il avait retrouvé un semblant de sourire. Plus de voix avant un concert. Pas de problème, il savait parfaitement gérer ça !

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