En avant les vacances V - Plage

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20 juillet, Marseille, France, Europe.

Une sorte de routine s'était installée. Les journées se passaient calmement entre petits groupes. Kat et Antonio étaient presque inséparables. Honor et Ed se fuyaient comme la peste. Néanmoins, ils faisaient chambre commune le soir. Collées l'une à l'autre, Sun Mei et Maisie semblaient être les deux mêmes parties d'un tout. Felicia restait surtout avec Nik et elle était la seule qu'Andris tolérait. Tous les deux conversaient, quelques fois, la voix basse et le regard absent. Des échanges de confidences qu'Ekaterina regardait toujours d'un air méfiant. Blake, évoluant entre chacun des groupes, discutait durant de longues heures avec Soraya. Elles étaient devenues très proches.

Deux jours passèrent ainsi. Le vingt juillet à dix heures du matin, Honor fit une annonce en plein milieu du petit déjeuner : ils passeraient la journée à la plage. La nouvelle fut accueillit par des réactions totalement opposées. Soraya sauta de joie : elle attendait impatiemment le moment d'exhiber son maillot de bain. Andris se renfrogna dans son siège. Tous les moments où il était forcé de voir Ekaterina et surtout Antonio – qu'il prenait un malin plaisir à appeler Tony parce qu'il savait qu'il détestait cela – étaient pour lui un supplice. Une moue neutre se plaqua sur les lèvres d'Edward. Il était nonchalant depuis son arrivée. Honor était heureuse d'avoir proposé cette idée. Après tout, quoi de mieux qu'une journée au bord de la mer pour tisser des liens ou consolider ceux qui existaient déjà ?

Le petit-déjeuner terminé, chacun monta dans sa chambre rassembler ses affaires. Tandis qu'au premier étage, le baluchon de Soraya était déjà prêt – en réalité, il attendait sur une chaise depuis son arrivée –, un étage plus haut, Kat peinait à choisir son maillot de bain. Son plus gros soucis était le tatouage dans son dos. Les seules personnes qui connaissaient son existence étaient Antonio et Nik.

— Tu penses que je devrais prendre lequel ? demanda-t-elle à Antonio en présentant deux une-pièce qui étaient resté dans sa penderie toute l'année.

Il se tourna à moitié vers elle, son portable dans la main. Évaluant rapidement les deux maillots de bains, il donna son avis.

— Honnêtement ? – elle hocha la tête – Aucun des deux. Tu n'as pas quelque chose d'un peu plus... joli ? On dirait un peu des habits de grand-mères pudiques.

Elle soupira. Il avait raison, évidemment. Ces vêtements avaient sans doute dû appartenir à sa mère ou à sa sœur et elles les lui avait refilés parce qu'ils n'étaient plus à la mode. Elle fouilla dans sa valise et y dénicha un deux-pièces flambant neuf. Le tissu était noir, classique. Cependant, la coupe du bikini dévoilait beaucoup de peau. Et notamment le dos.

Ekaterina se faufila dans leur salle de bains, enfila le vêtement de plage et s'observa dans la glace. Il ne montrait pas plus que n'importe quel maillot de bain commun. Elle avait porté des tenues encore plus légères sur des podiums bordés de photographes. Et ça ne l'avait pas dérangée. Néanmoins, elle se sentait mal à l'aise. Quelque chose la rendait nerveuse. Elle tourna sur elle-même, sa longue chevelure blonde valsant autour d'elle. Soudain, elle s'arrêta. Le tatouage. C'était toujours ça, le problème : ce fichu tatouage qu'elle n'arrivait pas à regretter.

Antonio entra à la va-vite dans la salle d'eau. Il avait oublié sa serviette. En voyant Ekaterina face au miroir, il se stoppa. Elle était à couper le souffle.

— Magnifique, chuchota-t-il au creux de son oreille, la faisant frissonner.

Il capta sa main et la fit tournoyer une fois, puis deux. Il était fasciné par la beauté qui se dégageait de son corps. Il la lâcha enfin et posa ses mains sur les hanches de la jeune fille. Inconsciemment, ses pouces bougèrent et il caressa le tatouage. Comme brûlée par le contact, Ekaterina sursauta. Il ne remarqua rien.

— Est-ce que tu as déjà pensé à te raccourcir les cheveux ? demanda-t-il soudain, pris d'une impulsion.

Elle répondit par la négative : son contrat lui interdisait tout changement sur son corps. Le petit tatouage qu'elle s'était fait était déjà une entorse au règlement.

— Tu devrais y songer, lança-t-il seulement. Une coupe au carré te mettrait plus en valeur.

Il la laissa sur ces paroles. Son tatouage la brûlait.

Lorsque tout le monde fut prêt – à l'exception de Sun Mei et Maisie qui préféraient rester seules à la maison – on se dirigea à pied vers la plage la plus proche. La villa des Tkachenko étant éloignée de Marseille même, la mer était elle aussi à une grande distance. Quelqu'un avait proposé de prendre la voiture mais elle ne contenait que cinq places et personne ne voulait se battre pour y monter. En vérité, presque chacun fondait secrètement de grands espoirs sur cette journée.

Ils marchèrent une demi-heure, leurs sacs de plage sous le bras. Honor, Blake et Soraya ouvraient la marche. Edward traînassait deux mètres derrière elles, portant la serviette de plage de sa copine. Ekaterina, sa robe de plage passée par-dessus son maillot de bain, riait à voix basse avec Antonio. Bons derniers, bien qu'ils ne cherchaient pas à combler leur retard, Andris, Nik et Felicia discutaient calmement comme ils le faisaient depuis trois jours.

La plage fut enfin en vue. Et miracle, elle était vide. Seule une femme faisait son jogging et une mamy regardait ses deux-petits enfants patauger dans l'eau. Aucun joueur de volley-ball ni nageur-dragueur en vue. La plage était à eux.

Ils allèrent déposer leurs affaires dans un coin. Puis, chacun se sépara. Un petit groupe décida de jouer au ballon. Ils installèrent leur filet sur la plage et constituèrent deux équipes. Andris, Nik et Blake dans l'une. Antonio, Edward et Soraya dans l'autre.

— La dernière à la mer a perdu ! lança Honor à Felicia, assise à côté d'elle.

Elles se levèrent toutes deux d'un bond et se jetèrent dans les vagues calmes. Une seconde plus tard, un grand cri de joie résonna :

— J'ai gagné !

Puis des éclaboussures vinrent humidifier leurs hauts de maillot de bains. Elles riaient aux éclats, se jetant de l'eau les unes, les autres.

Ekaterina était restée seule, allongée sur une serviette de plage. Elle regardait ses amies sauter dans tous les sens, danser dans l'eau de mer. Elle aurait voulu les rejoindre. Mais elle avait aussi peur. Sous sa robe de plage, son tatouage était bien visible. Il ressortait même énormément.

— Viens avec nous, Kat ! cria Honor.

Elle couru vers elle, ses longues boucles brunes jetant une traînée de gouttelettes d'eau dans son sillage. Sa peau presque métisse – on racontait qu'elle avait une ascendance polynésienne du côté de son père – profitait du soleil à merveille. Elle n'aurait pas de coups de soleil. On doutait même qu'elle n'en ai jamais eu.

— Allez Kat ! Tu ne vas pas rester là toute la journée. Viens un peu t'amuser !

La jeune ukrainienne hésita. Il fallait d'abord qu'elle teste l'effet qu'avait son tatouage sur un regard extérieur.

— Est-ce que tu peux appeler Nik ? Je voudrais vous montrer quelque chose à tous les deux...

Bien que sa requête lui parut bien saugrenue, Honor accepta et s'en alla, trottinant, rapporter son message à Nik. Ils revinrent bientôt tous les deux. Nik haussa un sourcil à l'intention d'Ekaterina. Il n'était pas sûr de savoir ce qu'elle voulait. Elle lui répondit par un simple regard et se retourna, montrant son dos.

— Honor, promet-moi de ne pas crier.

— Je te le promets mais...

Elle n'eut pas le temps de rajouter quelque chose. Ekaterina souleva sa robe de plage et l'enleva. Son dos, scindé en deux parties par le cordon sombre du maillot de bain, brillait au soleil. Mais ce qui retint l'intention des jeunes gens, ce fut le tatouage. Ce sosem felejteni gravé à même sa peau.

Honor se mordit l'intérieur de sa joue pour ne pas rompre sa promesse. Elle avait une terrible envie de crier. À la place, elle demanda presque trop posément :

— Quand est-ce que tu t'es fait ça ?

Son moi intérieur voulait hurler que c'était la plus grosse bêtise jamais commise mais elle se tut.

— À San Fransisco, le jour où j'ai rencontré Antonio.

— Et il signifie...

— N'oublie jamais. C'est du hongrois.

Cette fois-là, c'était Nik qui avait pris la parole pour lui répondre.

— Du hongrois, comme...

Là aussi, elle ne finit pas sa phrase, attendant qu'un des deux la complète à sa place. Nik hocha la tête et Honor étouffa une exclamation.

— Kat, tu es folle ? Un tatouage, c'est permanent !

Elle continuait à parler alors qu'en elle, elle vociférait. Comment pouvait-elle tourner la page si elle se donnait un moyen d'y repenser toujours ? N'était-elle pas censée passer à autre chose ? Comprendre qu'entre elle et Andris, c'était fini depuis longtemps ?

— Merci de me rappeler que je n'ai plus toute ma tête ! grogna-t-elle en leur faisant de nouveau face.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, s'excusa Honor. Mais...

Ekaterina, comprenant ce qu'elle voulait dire, soupira.

— Ouais, je sais.

Elle se laissa tomber sur le sable.

— Est-ce qu'il le sait ? demande timidement l'anglaise en se posant à ses côtés.

Les vociférations de la voix de ses entrailles s'étaient appaisées. Elle pouvait enfin penser calmement, sans que son côté démoniaque ne prenne le dessus.

— Antonio ? Oui, il était là. Il s'en ai fait un en même temps. Par contre, je ne pense pas qu'il sache ce qu'il signifie.

— Non, non. Je voulais dire Andris.

Ekaterina tressaillit en entendant son nom. Après toutes ses années, elle n'était toujours pas à l'aise avec le fait d'entendre son nom. Le voir tous les jours était un supplice.

— Grand dieu, non !

Et elle se tut. Resté debout jusque là, Nik se décida enfin à s'asseoir à sa gauche. Ses orteils nus s'enfonçaient dans le sable. Il entoura ses genoux de son bras.

— Qu'est-ce que t'attends ? trancha-t-il brusquement.

Ekaterina n'eut pas l'air de savoir de quoi il parlait. Honor renchérit.

— Tu es là, sur la plage, seule dans ton coin alors que tous tes amis s'amusent. Qu'est-ce que tu attends pour te jeter dans les vagues ou taper dans le ballon ?

— Mais, mon tatouage...

— Quoi, ton tatouage ? Tu l'as fait, bon. Assume-le, maintenant.

Honor se leva d'un bond et tendit la main vers Ekaterina.

— Allez viens ! insista-t-elle.

Une dernière tentative la fit céder. Elle se remit debout, lâcha sa robe de plage et couru vers la mer. À chaque pas qu'elle faisait, son sourire s'élargissait un peu plus, si bien qu'en arrivant dans l'eau, il éclairait même ses yeux.

Elle se jeta dans les vagues, Honor sur les talons, avec la même fougue qu'un enfant lors de son premier jour de vacances. Elle rejoignit bientôt Maisie et Felicia qui pataugeaient en riant. Elle s'arrêta devant Felicia qui s'interrompit brutalement. Puis, sans prévenir, elle lui balança une giclée d'eau salée.

— Ça, c'est pour l'avoir amené ici.

Honor et Maisie se turent, regardant d'un œil inquiet l'échange entre Felicia et Kat. Qui sait ce qu'il pouvait advenir ? On sentait comme une ambiance glaciale, bien que le soleil tapait fort.

— Et ça, c'est pour être l'amie de toute le monde.

Ekaterina se jeta sur elle et lui déposa un bisou sonore sur la joue. Stupéfaite, Felicia n'osait plus bouger.

— Est-ce que tu m'en veux encore ? demanda-t-elle tout doucement.

— Oui, mais ça ne va pas nous empêcher d'être amies.

Et elle lui balança une nouvelle giclée d'eau, détendant l'atmosphère d'un mouvement.

Nik rejoignit le terrain de volley-ball amateur au pas de course.

— Qu'est-ce qu'il se passait ? demanda Andris lorsque son ami se plaça à ses côtés.

— Des histoires de filles.

Il se décala sur la droite pour intercepter le ballon et le renvoyer de l'autre côté du filet d'un coup de manchette.

— Et tu es une fille, maintenant ? répliqua-t-il du tac au tac, un sourcil levé.

— Qui sait ? rit-il.

Ekaterina ne voulait pas qu'il sache, alors Andris n'aurait pas connaissance de ce tatouage. Il en faisait une histoire personnelle.

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