En avant les vacances VI - Cheveux

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21 juillet, Marseille, France, Europe.

En baillant, Ekaterina descendit l'escalier. Cette nuit-là, elle avait fait un étrange rêve. Les événements de la veille s'étaient transformés dans son esprit en un vague méli-mélo de souvenirs. Baillant, elle se rendit jusqu'à la salle à manger où la table du petit déjeuner avait été installée. Elle se laissa tomber sur une chaise. En face, Blake et Sun Mei, les deux seules levées, étaient déjà attablées, un verre de jus d'orange posé entre elles.

— Vous pensez que je devrais me couper les cheveux ? demanda soudain Ekaterina.

Blake posa la pomme dans laquelle elle s'apprêtait à planter ses dents et croisa ses bras sur la table. Sun Mei finit de mâcher sa tartine avant d'adopter la même position. Elles faisaient face à Ekaterina.

— Courts à quel point ? questionna doucement Blake.

Ekaterina tendit la main, se saisit d'un petit pain dans la corbeille tandis que de l'autre bras, elle désignait son épaule.

— Si courts ! s'exclama Sun Mei.

La jeune ukrainienne s’apprêta à lui lancer une réplique bien vache à la figure mais Blake l'en empêcha :

— Pas la peine de s'énerver, on n'est que le matin.

Elle s'interrompit avant de lancer brusquement :

— Attends Kat, j'ai une idée !

Le sourire qui dévoilait ses dents blanches était horriblement contagieux. Elle se leva d'un bond et attrapa le poignet d'Ekaterina avant de courir vers les escaliers, l'entraînant derrière elle. Ekaterina suivait tant bien que mal la course de Blake qui ne cessait de grimper. Sun Mei, après avoir finit son bol, les suivit, légèrement ronchon de devoir se presser si tôt le matin.

Enfin, l'australienne s'arrêta devant la porte de sa propre chambre, au deuxième étage. Elle en poussa rapidement le battant, sans penser à ne pas faire de bruit pour éviter de réveiller l'étage entier. Ekaterina et Sun Mei entrèrent à sa suite.

Si Blake paraissait être une fille soigneuse, sa chambre était un véritable bazar. Des vêtements – pour la plupart portés dans les jours précédents – jonchaient le sol. Ils formait une couche de tissu entre les pieds et le parquet.

— Il y a un lave-linge, tu sais ? remarqua Sun Mei.

Blake lui lança un regard noir avant de se pencher sous le lit défait. Elle farfouilla dessous et les filles profitèrent de ce moment pour observer un peu plus le décor. En réalité, si la chambre semblait être sale et en fouillis au premier abord, elles s’aperçurent que les vêtements n'étaient pas disposés au hasard sur le sol. Ils suivaient un ordre de couleurs bien particulier : colorés, noirs et blancs.

— C'est la chambre de qui, normalement ? demanda Sun Mei.

— Celle d'Oksana, lui répondit Ekaterina.

Cela lui faisait étrange de venir dans cette chambre sans que sa sœur ne l'occupe. De la même façon, bien que ce soit la chambre qu'elle avait attribuée à Antonio, elle n'y avait pas mis un pied de tout l'été. Lorsqu'ils étaient enfants, c'était là qu'Andris logeait et il l'empêchait toujours d'y pénétrer. Elle chassa ces souvenirs pour revenir au visage de Blake qui venait d'émerger de sous le lit.

— J'ai trouvé !

Elle lui tendit une perruque blonde. Elle avait l'air propre. Ekaterina la prit, ne sachant pas quoi faire.

— Que veux-tu que j'en fasse ? J'ai pas l'intention de me déguiser !

Sun Mei aussi était perplexe. Blake leva les yeux au ciel.

— Mais non, c'est pour que tu vois ce que ça donnerai si tu te coupais les cheveux.

L'idée n'était pas si mauvaise que ça, en réalité ! Ekaterina se précipita vers la salle de bains. Sa bouche accueillait un sourire prodigieux. Elle s'installa sur le tabouret devant le miroir. Ses cheveux longs tombaient dans son dos. Elle calqua ses yeux sur ceux que lui renvoyaient la glace.

Doucement, et sans cesser de sourire, Blake s'empara de la perruque et d'une main experte la glissa sur la tête d'Ekaterina avant de rentrer ses cheveux qui dépassaient à l'intérieur. Elle la fixa avec deux barrettes.

— Tadam !

Sun Mei éclata de rire. Il faut dire que le spectacle était des plus comiques. Blake avait posé les cheveux synthétiques de travers si bien que la frange tombait vers la droite.

— Qu'est-ce que vous en dites ? demanda Ekaterina, la banane jusqu'aux oreilles.

Elle s'amusait comme une folle.

— Encore quelques centimètres en moins et tu ressembleras à un champignon ! lâcha Sun Mei d'une voix un peu trop forte.

Elle ne pouvait plus s'arrêter de rire. Ekaterina se tourna brusquement vers elle et agita un doigt menaçant sous son nez.

— Toi, tu vas voir. À ton tour !

Elle se leva du tabouret et poussa Sun Mei dessus, la forçant à s'asseoir. Après s'être débattue avec quelques cris, elle se laissa enfin faire. Blake attrapa une mèche de ses cheveux noir de jais et marmonna, toujours souriante :

— Qu'est-ce que je vais pourvoir faire de ça ? Les couper ? Je dois avoir une paire de ciseaux par ici...

— Même pas en rêve ! Tu ne couperas pas mes cheveux !

— D'accord, d'accord ! rit Blake, les deux mains en l'air en signe de reddition.

Juste derrière elle, Ekaterina ne pouvait s'arrêter de rire. Blake tressa quelques petites nattes irrégulières dans les cheveux de la chinoise avant de lui montrer le résultat. Elle ressemblait aux petites fées qu'on trouvait sur les boîtes de goûter, mignonnes mais à l'apparence stupide. Sun Mei s'étouffa sur le tabouret tandis que le rire d'Ekaterina devenait de plus en plus bruyant.

Soudain, la seconde porte de salle de bains, celle qui donnait accès à la chambre de Soraya, s'ouvrit.

— C'est quoi ce souk ? s'énerva-t-elle.

Elle venait d'être tirée de son lit par les éclats de rire incessants des filles. La moitié gauche de ses cheveux était plaquée contre son crâne alors que l'autre partait dans tous les sens. Ses t-shirt était froissé et son visage sans maquillage, couvert de boutons.

Elle attendit que les filles arrêtent de rire, leur jetant un regard noir avant de quitter la salle de bains en claquant la porte. À peine eut-elle fait ça que les trois amies éclatèrent de rire, encore plus fort. En jetant un coup d'œil dans la glace, l'hilarité d'Ekaterina redoubla.

— Il faut... absolument... que Maisie... voit ça..., put-elle enfin dire en reculant vers la porte de la chambre de Blake.

Sun Mei tenta de l'en empêcher mais ne réussit qu'à basculer de son tabouret avec un grand bruit sourd. Ekaterina dégringola les escaliers, évacuant les marches quatre à quatre. Elle arriva enfin en bas, à bout de souffle. La table du petit-déjeuner qu'elles avaient entamée était désormais pleine. Tout le monde était levé à l'exception de Soraya qui se préparait dans une salle de bains non-remplie de chanteuses internationales gloussantes.

— Maisie ! Il faut absolument que tu vois ça !

Elle peinait à reprendre le souffle perdu dans son hilarité et sa course si bien que son discours était entre-coupé de souffle saccadé. Tous les regards étaient tournés vers elle. Maisie se leva de sa chaise. Ses yeux étaient écarquillés de terreur.

— T'inquiète pas, Maisie. Absolument rien de grave. C'est même le contraire.

Maisie l'avait rejointe, soulagée par les mots de Kat. Elles s'apprêtèrent à remonter les escaliers lorsque le bras d'Ekaterina se retrouva bloqué dans un étau. Elle se retourna, surprise. Andris, entre sa main serrée, tenait son avant-bras. Il se pencha vers elle.

— Ne fais pas ça, dit-il, si bas, que seule Ekaterina l'entendit.

C'était la première fois qu'il lui adressait la parole depuis... une éternité. Elle serra les dents, son sourire disparut.

— De quoi tu parles ?

Chaque mot qu'elle prononçait la renvoyait trois ans en arrière, lorsqu'il l'avait retenue par le bras, la suppliant. Quelques minutes plus tard, il lui avait sorti la pire insulte qu'elle puisse entendre de sa bouche. Puis il était parti.

— Tes cheveux, bredouilla Andris avec un geste en direction du haut de sa tête.

Elle portait encore sa perruque. Elle rompit le cycle de son souffle une seconde à peine pour penser, au plus profond d'elle : Est-ce qu'il se soucie encore de moi ? Il venait de planter une graine d'espoir planté au milieu de son désespoir.

Reprenant ses esprits à temps, elle se dégagea.

— Tu me fais mal, martela-t-elle.

Il la lâcha, comme brûlé par les mots et le contact. Se détournant enfin, elle fuit son regard, et rejoignit Maisie au pied de l'escalier, un nouveau sourire aux lèvres. Celui-ci, contrairement à celui qui avait pris naissance dans la chambre de Blake, était purement factice.

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