Épilogue : La Neige tombe

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Mon père est mort.

Je n'ai plus de famille.

Je suis orpheline maintenant.

Tout ce qu'il me reste tient dans cette urne, sous mon bras.

Je gravis la colline, longe la route. La neige crisse sous mes pas.

Je ne comprends pas, cependant.

Pourquoi a-t-il préféré se faire incinérer, alors qu'il avait si peur du feu ?

Jusqu'au dernier moment, les flammes l'ont obsédé.

Le repos ne l'aura jamais atteint.

Et voici que je n'en aurai peut-être plus.

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Tous les jours, quand j'étais à la maison, mon père regardait devant chez nous.

Il me disait de faire attention si, un jour, une Chevrolet s'arrêtait devant.

Et la voici, tout en haut, garée sur le côté.

Un jeune homme se tient là, contre la rambarde.

Il a le teint halé.

Le son de mes pas cesse, alors que je l'observe.

Il a le visage tourné vers la ville, brillant de petites lumières jaunes dans la nuit.

C'est l'un des plus beaux endroits.

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Bonjour, me dit-il.

Et je comprends qu'un lien nous unit.

Je le salue, moi aussi. Et nous regardons les lampadaires et les salles éclairées.

Des milliers d'âmes, se mêlant aux étoiles.

Je suis désolé pour ton père, me confie-t-il.

Alors je lui réponds.

Il a tout fait pour se repentir, mais c'était trop tard. Je suis désolée.

Il me regarde, avec un sourire innocent. Ses yeux se plissent derrière ses petites lunettes rondes.

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Il y a de longs silences. On se comprend à travers eux.

Mon père a refait sa vie, malgré sa rancœur. Si la vengeance l'avait consumé, il n'aurait pas rencontré ma mère, et je ne serais pas là. Ton père a eu les bons mots.

Le fils de l'étranger.

Alors ce dernier n'avait pas vraiment disparu.

Je tremble.

J'ai peur qu'il veuille venger son père.

Qu'il veuille venger son peuple.

Qu'il fasse que mon père souffre

Pour l'éternité

Même après sa mort.

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Il s'approche de moi.

Je tressaille.

Mon parapluie m'échappe.

Je m'agrippe à l'urne.

Je ne peux fuir.

Je ne veux pas payer pour lui.

Je ne suis que l'enfant.

Je ne veux pas…

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Mais il attrape mes mains, avec douceur.

Il caresse l'urne, fait un pas encore,

Et je sens son souffle sur moi.

Il dit quelque chose dans une langue que je ne comprends pas.

Son haleine vient caresser le couvercle.

Et il me libère soudain.

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Mon père m'a longtemps parlé de son dieu de feu.

Il m'a longtemps parlé de cette vengeance, inassouvie.

Et les années passant, sa rancœur s'intensifiait.

Il regrettait de n'avoir pu tirer, même avec ton père en prison.

Alors je lui ai dit qu'il se reposerait seulement s'il lui pardonnait.

Il m'a entendu.

Mais il est mort avant de l'avoir fait.

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Avant d'expirer, il m'a dit que le dieu du feu l'avait vu, ton père.

Qu'il serait sur cette colline, au-dessus de la ville.

Que c'était là que tout se terminerait.

Alors voilà.

Tu peux te reposer maintenant.

Ton père est pardonné.

Il ne passera pas l'éternité à souffrir. Il peut fermer les yeux.

C'est peu, après toute une vie, je sais.

Mais c'est tout ce que je puis t'offrir.

Ça, et m'excuser pour la colère de mon père.

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J'ai retenu ma respiration.

D'un coup, mon souffle se libère.

Une épaisse buée se forme entre nos êtres.

Alors c'était si simple ?

Le Feu n'existe plus ?

Il est vraiment libre, maintenant ?

Nous nous tournons vers la ville.

Tout semble calme.

Des tonnes de neige flottent et se déposent doucement sur nous.

Après toute cette souffrance, je ressens la délicatesse du moment.

J'ai envie de pleurer.

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Ma voix tremble.

Je m'appelle Wanda.

Comme la femme que ton père a connue, avant, dans l'autre pays.

Il me fixe. Un sourcil se lève. Il me demande si c'est vrai, et je lui dis que oui.

Alors il se met à rire.

Je m'appelle…

Mais je l'interromps.

Comme mon père, je sais. Mais il ne faut pas le dire.

Il me demande pourquoi.

C'est un nom de feu. Et il en a eu peur toute sa vie.

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Il sourit, hoche la tête, et se tourne à nouveau vers la ville.

C'est un spectacle exceptionnel.

Les lumières se reflètent sur le blanc de la neige.

C'est une cité dorée, enveloppée dans la lumière.

La nuit n'est plus noire, elle brille d'une lueur blonde.

Je me dis que s'il était là,

Papa,

Alors en voyant la même chose que moi, il n'aurait plus peur du feu.

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J'ouvre le couvercle de l'urne.

Tout à coup, une grande bourrasque passe entre nous.

Il y a des éléments qui veulent que mon père s'éparpille.

Alors je vide tout.

Et ça y est.

Il est parti loin de moi.

Ses cendres se mélangent aux flocons,

Aux lumières,

Aux étoiles,

À la nuit.

###


Le fils de l'étranger me regarde.

Nos yeux se perdent dans ceux de l'autre.

Puis se perdent dans le ciel.

Bientôt, les flocons qui ont emporté les restes de mon sang disparaissent.

Je songe au repos de mon père,

Je pense au mien,

Et la neige tombe.

Et la neige tombe.

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