A la maison de retraite d'Au fil du temps.
La tueuse aux fortimels était bien une assistante sociale ! La seule chose qui restait à faire à Raymond était de découvrir le visage de cette meurtrière.
Cela faisait quelques mois que l’affaire avait défrayé les chroniques. A la télévision, toute la population n’arrêtait pas de voir circuler ce message en bas de leur écran : « Une enquête a été ouverte pour une série de meurtres dans la maison de retraite de la ville. Méfiance. »
De nombreuses personnes avaient pris peur, et avaient donc accueilli momentanément leurs parents chez elles. Mais pas Raymond. Quand bien même sa fille, qui travaillait dans les bureaux de la maison de retraite, lui aurait proposé, il aurait refusé. Il ne supportait pas le mari qu’elle s’était choisi. Celui-ci était pharmacien. Raymond trouvait que c’était un type malsain qui menait sa fille à la baguette.
C’est donc les couloirs quasiment vides que Raymond arpentait avec son déambulateur tous les matins après son petit-déjeuner. Après une énième tentative des aides-soignantes le suppliant de manger le fortimel qui lui était attribué. Mais depuis quelques temps, il ne supportait plus le lait. Cela le rendait malade. Alors, quand l’heure de la bataille arrivait, il se contentait de refuser très poliment et de demander un jus d’orange avec du pain et de la confiture. Devant ce flot de gentillesse, les aides-soignantes, rapidement tombées sous son charme, acceptaient de le laisser tranquille.
Les autres résidents de la maison de retraite, quant à eux, adoraient récupérer les fortimels quotidiens que Raymond ne voulait pas manger. Cela leur permettait d’avoir une double ration au petit déjeuner. Surtout Lucien, le meilleur ami du grand-père « anti-yaourt ». Lui, se faisait une joie de les manger. D’autant plus qu’il n’avait presque plus de dents et que ce laitage lui facilitait la vie. Il profitait également de cette situation pour utiliser le mot « rab » à tout bout de champs. Abréviation familière du mot rabiot, voulant dire supplément. Lucien aimait parler comme un jeune. Il disait toujours : « Ça m’aide à garder ma jeunesse ». Raymond était le seul à le comprendre, malgré ses dents en moins.
Tous deux se connaissaient depuis l’époque du lycée. Ils avaient fait les quatre cents coups ensemble… Quatre cents, c’est peu dire ! Ils avaient même été bien au-delà ! Ils s’étaient toujours aidés mutuellement. C’est donc tout naturellement que Raymond donnait ses fortimels à Lucien.
Petit à petit, Raymond apprenait que des résidents de la maison de retraite s’en étaient allés. « Ce n’est pas étonnant, ils étaient bien trop vieux », pensait-il à voix basse avant de se raisonner et de s’exprimer publiquement « Quelle triste perte… Que s’est-il passé ? ».
Bien évidemment, personne ne le savait.
Jusqu’à cette fameuse nuit où Raymond avait été pris d’une mystérieuse fringale (lui qui n’avait jamais faim). Il s’était donc rendu en douce au réfectoire et avait été témoin d’une scène digne de série policière.
Deux individus lui tournaient le dos et étaient bien trop occupés pour sentir une présence derrière eux. En effet, ils s’affairaient à mettre un liquide douteux dans quelque chose. Raymond s’était alors rapproché afin de voir de quoi il s’agissait.
Quand soudain, la veilleuse de nuit avait débarqué dans le réfectoire, suivi de la police. Ces derniers avaient été prévenus par Lucien, qui avait fait un malaise dans la matinée et avait été transporté d’urgence à l’hôpital. Malheureusement, Lucien ne s’en était pas sorti. Mais il avait, une fois de plus, sauvé la vie de Raymond.
Les coupables, eux, avaient été arrêtés. Ce n'étaient autres que le gendre et la fille de Raymond qui empoisonnaient les fortimels de ce dernier car ils voulaient le voir mort afin de pouvoir toucher son héritage… Quelle tristesse !
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