Chapitre 30 : Wain

9 minutes de lecture

Alors qu’ils arrivaient près du bourg, Wain s’arrêta sans prévenir.

— Je suis navré, malheureusement c’est ici que je vous abandonne, annonça-t-il.

— Oh non ! déjà ? lança Aniah déçue.

— Oui, hélas, je dois me rendre chez un collègue qui habite à la sortie Nord de la ville. Je dois lui restituer ce somptueux costume noir qu’il m’a prêté pour votre journée d’intégration.

— Ah, parce que vous vous êtes préparé exprès pour moi ? C’est de la folie, voyons, vous n’auriez pas dû. Je ne suis pas une personne de haut rang, déclara-t-elle gênée.

— Ce n’est rien, et puis je n’avais pas tellement le choix. Comme je n’aime pas les polémiques, je me suis exécuté.

— Vous appréciez votre travail ? interrogea-t-elle.

— Je n’existe que pour ça. D’ailleurs, je ne me souviens plus de quand date la dernière fois que j’ai quitté l’enceinte de l’Y.

— Mais vous ne possédez pas de maison, de famille ou encore d’amis ?

— Rien de tout ça, madame.

— Ça ne vous rend pas triste ? questionna Aniah.

— Pas vraiment, d’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours vécu en solitaire. Bien, je suis navré, je dois vous abandonner. On pourrait se revoir au laboratoire, proposa-t-il.

Wain s’en alla en direction de chez son collègue, c’est donc seule qu’Aniah rentra. À son arrivée à la maison, pour la première fois, Seth ne vint pas l’accueillir.

— Dis, Maman, il est où Seth ? demanda Aniah.

— Il n’a pas quitté sa chambre depuis que je suis allée le chercher à l’école.

— Tu crois qu’il m’en veut de ne pas l’avoir récupéré moi-même ?

— Je te conseille de lui rendre une petite visite, seul lui peut te donner les réponses à tes questions.

Aniah déposa ses affaires puis se dirigea à l’étage, voir son fils.

— Mon cœur, tu dors ?

— Non, je ne suis pas là, rétorqua-t-il nerveusement.

— Comment fais-tu pour réussir à me parler ?

Il resta silencieux. Soudainement, la porte s’ouvrit. Il portait un baluchon sur l’épaule gauche.

— Mais enfin, trésor, qu’est-ce qu’il se passe ?

— Je pars ! Personne ne m’aime ici !

— Mais pourquoi penses-tu une telle chose ?

— Papa s’est éloigné et toi tu ne viens plus me chercher à l’école.

Aniah serra fort son fils en pleurs dans ses bras. Elle lui expliqua que si son père s’en était allé c’était justement parce qu’il le chérissait et qu’il souhaitait le protéger. Toutefois, il refusa d’y croire un seul instant. Et elle ne pouvait pas lui décrire la réalité de la situation. Il avait à peine quatre ans, il risquerait de n’y rien comprendre. Quant à elle, elle lui raconta que son nouveau travail ne se trouvait plus à côté de son école maternelle et qu’elle ne pouvait pas aller le chercher tous les soirs. C’était pour cette raison que sa grand-mère s’en était chargée aujourd’hui. La peine de l’enfant commença à se dissiper. Néanmoins, la rancœur envers Seneth semblait intacte, voire plus grande.

À l’heure du repas, Aniah relata à ses parents les progrès qu’elle avait réalisés pour leur venir en aide.

— Hum, laissa-t-elle échapper avant d’avaler sa bouchée pour interpeller son père. Tu avais raison à propos de Wain. Il ne quitte jamais son lieu de travail, et pour cause, il vit sur place.

— Ah ah, je te l’avais bien dit.

— Comment le sais-tu ? s’enquit sa mère.

— C’est un de mes collègues. J’ai acquis la confiance du M13 et ils m’ont affectée à l’ancien poste de Seneth. Je m’occupe du projet concernant Jeysus.

— Tu as fait une incroyable affaire, félicita son père. Il ne reste plus qu’à obtenir des informations auprès de Wain.

Le lendemain, Aniah avait hâte de retourner au laboratoire, et plus particulièrement, elle voulait terminer sa discussion avec Wain. Surtout, plus tôt elle recueillerait les données dont elle avait besoin, plus vite Seneth pourrait revenir. Une fois rendue à l’Y, elle commença sa journée par donner des cours. Ses élèves se trouvaient en première année. À la pause repas, elle se mit à la recherche de Wain. Elle se dirigea vers la salle gardée par les deux vigiles imposants. À l’intérieur, elle ne vit aucune trace de celui-ci. Elle se renseigna auprès d’un des savants sur place.

— Excusez-moi ! Auriez-vous croisé Wain, nous étions supposés déjeuner ensemble ?

— Wain ? Attendez… Vous parlez de l’autre idiot qui a ruiné des mois de recherches sur les greffes de rémanences ? demanda exaspéré le laborantin.

— Comment ça ? s’enquit Aniah.

— Les supérieurs n’ont pas trouvé mieux que de nous coller un technicien plus bête que ses pieds pour nous aider. Toute la collecte des rémanences depuis le début a été détruite par cet incompétent. Je ne parviens même pas à comprendre qu’on puisse le qualifier de « technicien ». Et maintenant, nous sommes coincés sur l’avancement du projet Phoenix. On peut dire que vous arrivez à point nommé. Ah, j’allais oublier, l’autre imbécile doit dormir à l’infirmerie.

— Ah bon ? demanda Aniah étonnée.

— Oui, j’ai perdu mon sang-froid et me suis quelque peu emporté. Disons qu’il m’a permis de me détendre.

Aniah remercia son allocutaire et se rendit donc à l’infirmerie pour retrouver Wain. Heureusement qu’elle avait en tête le plan des lieux, cela lui évitait de devoir poser trop de questions aux personnes qui l’entouraient. Lorsqu’elle arriva, elle aperçut Wain inanimé sur un lit avec de multiples bandages.

— Oh ! Est-ce que son état demeure grave, se renseigna-t-elle auprès du médecin.

— C’est la première fois dans ma carrière que je vois un patient aussi abîmé. Vous tombez bien, je ne peux malgré moi m’occuper de lui. Vous devez le conduire auprès d’un autre confrère. En connaissez-vous un ?

— Oui, mon père s’avère le chef de service à la Polyclinique de Zenfei. Je me charge de l’emmener chez moi pour qu’il puisse prendre soin de lui.

Aussitôt dit aussitôt fait. Le médecin installa Wain dans une sorte de fauteuil équipé de roues pour qu’Aniah puisse le transporter. Elle alla voir son supérieur pour l’avertir de son absence. Celui-ci semblait en émoi devant Aniah, comme si elle était la disciple idéale. Les formalités réglées, elle s’empressa de rentrer chez elle avec l’objet de sa mission, Wain.

C’est son père qui s’avérerait content. Lui qui n’avait pas réussi à mettre la main sur ce technicien, Aniah allait le lui apporter sur un plateau. La position de médecin rendait plus facile la tâche d’obtenir des informations, car l’interrogatoire pouvait servir de prétexte à un diagnostic. Le rôle d’Aniah semblait donc parfaitement rempli. À présent, c’est au tour de son père de faire progresser la situation. Si la chance se trouvait encore de leur côté, cette histoire serait vite terminée et toute la famille à nouveau réunie.

Aniah traversa le bourg en poussant Wain, sans connaissance, sur un fauteuil roulant jusque chez elle. Ses parents furent étonnés en la voyant arriver en compagnie d’un mystérieux individu.

— Explique-moi, depuis quand tu ramènes des étrangers à la maison, et de surcroît sur ton temps de travail ? l’interrogea son père.

— Il est loin de paraître un quidam. Je te présente le fameux Wain, précisa-t-elle enthousiaste.

— Sérieusement ! Ne me dis pas que tu l’as roué de coups puis enlevé ?

— On aura tout entendu avec toi. Tu crois vraiment qu’une jeune femme comme moi peut mettre dans un tel état un type de cette envergure ? Quoi qu’il en soit, il t’appartient, c’est ton nouveau patient. Quant à moi, je dois retourner au travail réparer les dégâts qu’il a causés aux laboratoires sur lesquels je m’affaire.

Aniah repartit à l’Y participer à un bilan d’avancement du projet Phoenix. De son côté, son père pouvait enfin commencer sa mission. Il se dirigea vers la chambre d’ami pour l’aménager afin de recevoir Wain. Sa vie demeurait heureusement hors de danger. Il n’aurait pas nécessairement besoin de matériel spécifique. Du temps et de l’attention devraient amplement suffire durant sa convalescence. Une fois son patient installé, il profita de son état léthargique pour effectuer quelques petites courses.

Pendant ce temps, à l’Y, l’heure semblait grave. Le stock de rémanences accidentellement détruit par Wain plongeait le projet Phoenix dans une profonde crise. Les greffons actuellement en place maintenaient une stabilité précaire. Hélas, les tout derniers relevés indiquaient un déclin du taux général d’hyloplasme. Toutefois, quelque chose de curieux interpella Aniah. On lui annonçait des constats, mais personne ne les présentait de manière concrète. Elle essaya donc de se procurer un document qui compilait l’ensemble des rapports de tests. En se dirigeant vers le forum du laboratoire transbiotique, elle trouva une pile d’ouvrages. Celui du haut mentionnait non pas le projet Phœnix, mais Neophoenix. Elle lut le manuscrit et ce qu’elle y découvrit la terrifia.

En réalité, le véritable objectif du Majestic 13 n’avait pas l’air de ressusciter Jeysus, celui-ci servait uniquement de cobaye. L’intention première s’avérait la conception d’un être parfait et immortel. À l’instar des Primas, ces savants jouaient aux apprentis créateurs. Le projet Neophoenix représentait le balbutiement de leurs recherches. Il semblait symboliser une évolution du projet Phoenix, car la seule différence demeurait l’usage d’un sujet nouvellement né plutôt que moribond. En effet, la treizième Chambre n’avait pas hésité à se servir de l’enfant d’un couple parmi ses propres employés.

De toute évidence, les résultats qui lui avaient été exposés concernaient le projet Neophoenix. Wain aurait volontairement détruit le stock de rémanences, car il ne cautionnait pas ce qu’ils manigançaient. Il n’y avait qu’une seule façon de le savoir. Voyant qu’elle se trouvait mise à l’écart, elle décida de rentrer chez elle pour tenir au courant sa famille. Elle souhaitait surtout poursuivre sa conversation avec Wain, puisque vraisemblablement, il semblait connaître beaucoup de faits intéressants à propos du Majestic 13.

Aniah et son père arrivèrent au même moment à la maison.

— Tu étais parti où ? demanda Aniah.

— Je suis allé à l’hôpital récupérer un peu de matériel. J’ai pris autant de temps pour que tu reviennes avant moi ?

— Non, j’ai quitté le travail plus tôt. Nous en reparlerons plus tard.

Le père s’empara des affaires de Wain et les emporta à la chambre où il reposait. Après une succincte observation, la capacité de guérison de ce dernier l’étonna. Si sa rémission gardait le même rythme, dans un à deux jours il pourrait reprendre connaissance. Encore une fois, la chance se trouvait de leur côté. Ayant terminé avec son patient, il partit auprès de sa fille pour parler de la mission.

— Bien, encore une bonne nouvelle ! Wain devrait être complètement rétabli d’ici peu de temps.

— C’est magnifique tout ça ! Je possède tellement de questions à lui poser.

Alors que les deux discutaient autour d’un goûter, la mère rentra.

— Tiens ! Tu es déjà revenue ? demanda-t-elle étonnée.

— Comme tu peux le voir. Mais je ne suis pas venue seule, j’ai amené une excellente surprise avec moi.

— C’est époustouflant mon amour, elle a réussi à mettre la main sur Wain. À l’heure où je te parle, il se trouve dans la chambre d’ami.

La mère n’y croyait pas. Le fait d’avoir capturé la cible de leur mission signifiait que le retour des garçons se précisait davantage. Aniah laissa ses parents pour aller chercher Seth à l’école. Ce dernier allait être agréablement surpris, car il ne savait pas qu’elle viendrait le récupérer. Finalement, la journée pouvait être qualifiée dans l’ensemble de très bonne.

Arrivé devant les grilles de la maternelle, Seth fut ébahi de voir sa mère l’attendre. On pouvait lire le bonheur sur son visage. Sur le chemin du retour, Aniah aperçut d’étranges individus rôder de nouveau autour de la maison familiale. En rentrant, elle mit immédiatement ses parents au courant.

— Bizarre, je pensais qu’ils te considéraient comme loyal désormais, ajouta le père.

— À moins que… à moins qu’ils nous surveillent, nous, suggéra la mère.

— Tu crois qu’ils en auraient après… Wain ? demanda Aniah.

— C’est tout à fait logique, sa naïveté et sa simplicité d’esprit représentent des éléments pouvant justifier leur manque de confiance en lui, expliqua la mère.

— Mais comment vont-ils s’assurer que leurs secrets sont bien gardés ? Ce n’est pas en nous observant de l’extérieur qu’ils vont réussir à déterminer si Wain nous livre des informations.

— Dans ce cas, il ne nous reste qu’une chose à faire, redoubler de vigilance, déclara Aniah.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Le Chon ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0