"Ils" arrivent

4 minutes de lecture

      - Non! Maman c'est hors de question! Ils ne vont tout de même pas s'installer ici!
Je vois ma mère lever les yeux au ciel, excédée.
- Madeleine, cela ne m'amuse pas plus que toi vois-tu. Mais nous n'avons pas le choix.
En rentrant du village en vélo il y a moins d'une heure j'ai rencontré une poignée d'allemands sortant du corps de ferme. Il semblerait que ce soit l'endroit idéal pour établir leur campement. Je savais qu'ils s'installaient chez des Français, mais je n'aurais jamais pensé qu'ils puissent s'installer chez nous.
Je dépose sur la table ce que je suis allée chercher au village. Le rationnement est dur et le pain infâme, si on peut encore appeler cela du pain. Il me reste encore beaucoup de travail aujourd'hui. Depuis que les hommes sont partis, nous les femmes, devons effectuer non seulement leur travail mais aussi le nôtre.
Alors que je suis en train de traire les vaches je repense à la dernière lettre que j'ai reçu de Georges.

Ma chère soeur,

Vous me manquez tous terriblement. Je n'ai pas revu papa depuis que nous sommes descendus du train, il semblerait qu'il soit affecté ailleurs, nous sommes si nombreux. Si tu as de ses nouvelles par maman, s'il te plaît rapporte les moi. La nourriture est atroce, tu diras à maman que je préfère largement ce qu'elle nous faisait à manger, même si je râlais parfois.

Mes chaussures sont trouées à force de marcher, et la boue n'arrange pas leur cas. La pluie a un effet terrible sur nous tous, nous sommes trempés jusqu'aux os et nous avons froid.

Ce matin nous avons été victime d'obus, certains d'entre nous ne s'en sont pas sortis.
Les journées sont longues et ennuyeuses. Mais je préfère m'ennuyer et jouer aux cartes plutôt que d'être envoyé sur le no man's land.

Mais rassure-toi, je tiens bon et je rentrerais bientôt.

Je t'embrasse très fort Mady

Georges

Je n'ai pas encore pris le temps de lui répondre, je ne sais pas trop quoi lui raconter. Ce qu'il vit est tellement atroce, qu'il n'y a rien qui puisse être comparé à la guerre.

Assise à la table de la cuisine je cherche mes mots

Mon très cher Georges,

Papa et toi êtes dans nos coeurs et nous pensons tout le temps à ce que vous endurez.
Maman a en effet reçu des nouvelles de papa, il semblerait que pour le moment tout se passe bien pour lui, enfin tout est relatif.

Ce matin maman m'a appris que les Allemands vont s'installer chez nous. Comme tu t'en doutes j'ai cette idée en horreur. Mais avons nous vraiment le choix? Maman dit que non. Nous sommes des femmes fortes. Nous nous devons d'être fortes si nous ne voulons pas nous écrouler.

Nous ne chaumons pas, il y a tellement de choses à faire en si peu de temps. Je suis en retard dans mes corvées, la liste s'est clairement allongée depuis votre départ. Le jardin où j'aimais tant planter mes fleurs est maintenant un potager.

Je suis écoeurée par tes conditions de vie, je comprends ce que tu peux ressentir. Tu es très courageux.

Je t'embrasse

Madeleine

      Je pose ma plume et prends une grande respiration. J'ai l'impression de ne pas avoir respiré depuis bien trop longtemps.
Par la fenêtre je vois le soleil décliner lentement dans le ciel. Bientôt la grange le cachera complètement. Demain les soldats allemands arrivent. Je n'ai pas envie de terminer cette journée, elle nous rapproche trop de l'inévitable.

Lorsque j'ouvre les yeux je sais que rien ne sera plus comme avant. Je descends petit déjeuner dans la cuisine, un morceau de ce pain immonde, noir et poisseux. Après avoir bu d'un trait le verre de lait posé sur la table j'entreprends d'aller à mon petit jardinet au fond de la cour. Les radis, les épinards et les petits pois sont en pleine croissance et je m'en réjouis d'avance. Pourtant mon coeur est lourd. J'appréhende le moment où tout ces hommes vont faire irruption chez nous.

     Il est trois heure de l'après midi, l'air est doux et le soleil apaise mon âme. Alors que je suis en train de donner le foin aux vaches, je les entends. J'entends non seulement le bruit des moteurs mais aussi celui des chants allemands. Je me force à les ignorer. Mais plus les chants se rapprochent plus j'ai de difficultés à respirer. Je monte en toute hâte dans ma chambre et me poste discrètement à la fenêtre. Je ne veux pas les accueillir, ils ne le méritent pas, je laisse donc ma mère seule dans cette tâche.
       Lorsqu'ils passent l'entrée du corps de ferme je les haï déjà. Ma mère quant à elle est déjà dehors, sur le pas de la porte. Ils sont bien plus nombreux que ce que j'imaginais et je me sens complètement envahie. Deux hommes se détachent clairement du groupe. Descendant de leur véhicule, habillés de façon impeccable ils ne font pas partie des rangs. Je vois leurs lèvres bouger mais je n'entends pas les mots qu'ils disent. L'un doit avoir dans les quarante-cinq ans, les cheveux gominés ondulant, le regard froid et la bouche cruelle. Quand à l'autre il est visiblement plus jeune, impeccablement coiffé, la mâchoire saillante et les yeux mobiles, il ne m'inspire pas plus confiance. Soudainement son regard se lève vers moi, plissant les yeux, je me recule vivement pour ne pas être vue.

Annotations

Vous aimez lire Ielerol_R ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0