Deuxième Partie

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 Elle se figea : elle venait de m’apercevoir. Des yeux de toutes les nuances de bleu et pailletés de doré se fixèrent sur moi, s’écarquillèrent de frayeur, et me dévisagèrent avec prudence. J’ébauchai un sourire, que j’espérais avenant, sur mes lèvres et m’assis en tailleur pour que ma présence en impose moins à ma nouvelle compagne.

 « Vous étiez là, je vous rencontre enfin. Je vous cherchais depuis si longtemps, lui dis-je sans formalités. Je suis heureux de faire enfin votre connaissance. »

 Elle laissa échapper un soupir rassuré, me sourit en retour et s’avança vers moi.

 « Nous nous rencontrons enfin, oui, il était temps. Je suis heureux de faire votre connaissance, moi aussi. »

 Elle me tendit une main frêle et hésitante aux doigts blancs, son sourire s’accentua comme une sorte d’invitation intrinsèque. Je glissai d’un air gauche ma propre main dans la sienne et la surprit à grimacer. Je baissai les yeux : je venais de lui griffer le poignet. Alarmé, je me retirai et me confondis en excuses.

 « Non, ce n’est rien ! Vraiment rien, voulut-elle me rassurer alors que du sang gouttait de sa blessure. Tenez, recommençons. S’il vous plaît ? »

 Je la blessai à nouveau mais elle se retint de grimacer à grand-peine, et pressa ma main griffue avec tendresse. Je levai la sienne sans la lâcher pour déposer un baiser sur le poignet meurtri par ma maladresse, pour me faire pardonner. Ses joues s’empourprèrent, et je la trouvai infiniment mignonne. Nos doigts s’entrelacèrent comme une promesse à ne plus jamais se quitter.

 « Nous nous sommes cherchés longtemps, me dit-elle de sa douce voix, alors ne nous quittons plus à partir de maintenant.

 — Oui, après tout, ne sommes-nous pas appelés à régner sur ce monde ensemble ? »

 Elle parcourut les alentours du regard d’un air perdu, puis une lueur d’espièglerie s’alluma dans ses yeux.

 « À quoi bon régner sur un monde vide ? Mais ensemble, nous pourrions créer quelque chose à notre image. Qu’en dites-vous ?

 — J’en dis que c’est une merveilleuse idée. Par quoi commencerons-nous ?

 — Eh bien… »

 J’étais fasciné par ses yeux, son visage, ses sourires, sa douceur. Je l’ai adorée depuis la toute première minute, depuis le tout premier instant.

Je t’ai trouvée, toi à laquelle mon existence est liée. Nous régnerons sur ce monde ensemble et à jamais.

 Pour créer ce monde, il nous fallait en semer les premières graines afin d’en récolter les fruits de nos labeurs. Je lui présentai ma dernière création que nous plantâmes ensemble au centre de la plaine. Malheureusement, nos efforts s’avérèrent vains : rien n’émergea de la terre. M’étais-je trompé ?

 « Ce n’est pas grave, me consola-t-elle en apercevant ma mine affligée, nous essaierons encore et encore. Nous ne devons pas nous décourager. Ce monde sera le nôtre, tôt ou tard.

 — Si nous ne pouvons créer, toutes nos tentatives seront vouées à l’échec. Tu le sais tout autant que moi. À quoi bon s’échiner si le résultat n’en vaut jamais la peine ? »

 J’avais déjà baissé les bras, j’étais découragé. Tant d’efforts, tant d’idées. J’avais tant voulu la surprendre, j’aurais tellement aimé voir apparaître ce monde idéal. J’éclatai en sanglots devant mon inutilité, mon incapacité à apporter quelque chose de concret à ce monde, mon impuissance à satisfaire ma partenaire de vie.

 Elle posa une main réconfortante sur mon épaule, m’attrapa le menton de l’autre pour me faire tourner la tête et déposa un baiser frais comme une brise sur mon front offert, entre mes cornes. Je fermai les yeux, laissai échapper une sorte de ronronnement de contentement lorsqu’elle épongea mes larmes de ses pouces, puis caressa affectueusement mes joues en plongeant son regard dans le mien. Elle souriait, aussi lumineuse que le jour, aussi radieuse qu’à l’accoutumée.

 « Regarde-moi. Ne regarde que moi. Je vais t’offrir le plus précieux des présents. »

 Elle s’éloigna, battit le sol de ses pieds nus et blancs, tourna en une pirouette gracieuse, les yeux fixés sur moi. Elle voltigeait dans la poussière avec une telle légèreté qu’elle me fit l’effet d’être irréelle, inaccessible. Elle tournait, dansait au son d’une musique qu’elle était seule à entendre. Le vent la parait d’une aura céleste alors qu’elle tournoyait à nouveau sur elle-même puis bondissait soudain pour atterrir en parfait équilibre sur la pointe de ses pieds. Et jamais les beaux yeux bleus ne se détournèrent de moi.

 Il m’était impossible de détourner le regard du corps qu’elle m’offrait avec toute sa simplicité espiègle. Je désirais la rejoindre du plus profond de mon âme, mais je n’aurais jamais égalé la beauté qui s’ouvrait devant moi, et j’avais peur de briser ce moment intime que j’avais le privilège d’admirer.

 Quelque chose tomba du ciel et suscita sur ma peau une vive douleur, cuisante, brûlante. Je poussai un cri, levai des yeux paniqués vers le ciel devenu gris et courus me réfugier sous terre. Ma compagne continuait de danser en riant aux éclats et en offrant son visage à ce qui tombait des cieux. Je me créai un toit fait de terre et d’argile pour m’y réfugier et continuer à l’observer avec une admiration des plus respectueuses. Elle avait fermé les yeux, s’abandonnant tout entière aux pleurs du ciel venus saluer sa beauté et son audace. J’étais toujours incapable de détourner les yeux d’elle, tout en m’estimant chanceux de l’avoir rencontrée.

 La danse prit fin brusquement : ma compagne pointait du doigt quelque chose dans le sol et poussait de petits cris surexcités. Les pleurs du ciel s’étaient arrêtés. Je m’extirpai de mon refuge pour rejoindre ma compagne et comprendre les raisons de son excitation : une pousse avait émergé de la terre où j’avais planté mes précieuses graines. Elle était lisse, spiralée et une feuille dentelée prenait même toute la place. Une seconde pousse, comme jalouse du succès de sa sœur, la rejoignit, ardente, couverte d’épines, et se mêla à la première pour ne plus former qu’une seule et même tige, un seul et même cœur, une seule et même essence.

 « Ma graine a… éclos.

 — Oui ! Oui ! Elle a éclos ! »

 Nous avions les larmes aux yeux de joie. Je pris les bras de ma compagne et l’entraînai dans une valse maladroite où nous tournâmes ensemble en riant comme des enfants, avant de nous enlacer avec affection.

 « Nous avons réussi, scandai-je avec émotion. Nous avons réussi ! Ce présent était une idée merveilleuse. Je ne pourrais jamais assez te remercier.

 — Ce que nous avons fait, nous l’avons fait ensemble. C’est donc ensemble qu’il nous faut continuer sur cette voie. »

 Ses yeux brillèrent d’une étrange manière lorsqu’elle caressa ma joue, mais je n’y prêtai aucune attention. Nous allions créer notre monde idéal.

 « Oui, nous allons régner sur ce monde ensemble, et le forger à notre image et à notre idéal. »

 Nos doigts s’entrelacèrent.

 Ensemble.

 Nous échangeâmes un sourire complice.

 Ensemble.

 Et à jamais.

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