Quelques jours avec eux - 01

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Je traversais une sale période à ce moment-là. J’allais avoir 37 ans. Dès que j’essayais d’analyser ma vie, je me sentais mal. J’avais foiré tellement de choses par le passé que je me retrouvais désormais comme un con, seul, triste et en colère.

Je n’avais pas pris les bonnes routes. Je n’avais pas fait les bons choix, n’avais pas croisé les bonnes personnes. Je ne savais pas où était le problème. J’en étais arrivé à penser que ce pouvait très bien être moi.

Quand je me trainais dans mon studio, à tourner en rond comme un chien dans sa niche, j’avais tout le temps de réfléchir à tout ça. Au parcours et au destin de chacun.

Le soir, je m’enroulais dans ma robe de chambre, je dépliais mon clic-clac et je m’abrutissais devant la télé. Je m’endormais au milieu de la nuit, les yeux encore rougis de larmes. Le matin, j’étais épuisé. J’adorais lire mais, sur le trajet, souvent, je ne tenais pas. Mon livre entre les mains me regardait dormir sans qu’aucune page ne se tourne.

J’habitais dans la lointaine banlieue parisienne, à la limite de la campagne. Pas trop de béton, pas trop de cités. De l’air à respirer. Et surtout un appartement dans mes prix. Il me fallait 1h30 pour rejoindre mon bureau. C’était très long mais je vivais ce trajet dans un état second. Parfois j’observais mes compagnons de route. Je me demandais alors quelle était leur vie et si, comme moi, ils avaient envie de tout foutre en l’air.

Depuis trois mois, je vivais seul. J’avais quitté mon appartement, ma femme, Isa, et mes deux enfants, Gabriel et Thomas. Pas du jour au lendemain. Plutôt après une longue réflexion. Plusieurs années à vrai dire. Ma femme ne m’aimait plus depuis longtemps déjà. Je m’étais accroché à un mince espoir. Pour les liens sacrés du mariage. Pour les enfants surtout. Je ne m’étais pas du tout imaginé les laisser, ne plus les voir et vivre loin d’eux. J’avais tenu alors qu’Isa et moi étions les plus distants possibles dans le lit, alors que nous ne faisions plus l’amour, alors que, plus tard, je dormais dans le canapé du salon, alors que je savais qu’elle avait un amant… J’avais tenu pour continuer à embrasser mes garçons, les emmener à l’école, leur lire une histoire avant de les coucher. J’avais tenu jusqu’à perdre toute envie de vivre pour moi, jusqu’à ne plus manger, jusqu’à tellement souffrir d’être devenu un moins que rien que je m’imaginais tomber sur les rails à l’arrivée du train, que j’espérais parfois un accident de voiture qui me tuerait sur le coup. Pour ma santé, pour que mes enfants aient toujours un père, il avait fallu partir.

La mort dans l’âme, j’avais alors informé mon ex-femme qui, elle, n’attendait que cela. J’avais trouvé un appartement à 40 kilomètres. Puis quelques semaines plus tard, j’avais rassemblé mes affaires, rempli la voiture et expliqué aux garçons pourquoi je partais. Ils n’avaient pas vraiment compris de qui cette situation était la faute mais c’était moi qu’ils voyaient partir et pas leur mère. À leur âge, il n’en fallait pas plus, croyais-je pour me juger coupable.

Pendant ces trois mois, j’avais tenté d’instaurer de nouvelles habitudes, une nouvelle vie coupée en deux : quand ils n’étaient pas là et quand ils étaient là. D’un côté, je ne vivais pas, je respirais à peine. De l’autre, j’étais omniprésent, partout, à l’écoute de chacun de leurs désirs. Je voulais profiter d’eux comme jamais je ne l’avais fait avant. Un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Ou comment un jugement pouvait te séparer légalement de tes enfants. 4 jours par mois pour les voir. 4 jours par mois pour vivre normalement, ça laissait un peu trop de temps à l’abandon, au laisser-aller, à l’ennui, à la dépression. J’avais trop de jours pour penser à combien ils me manquaient. Et pas assez de jours pour rattraper le temps perdu.

Surtout que j’avais déjà connu ça. Je venais de foirer mon second mariage en fait.

Plus jeune, j’avais été marié neuf mois à Martine, une amie qui avait vu en moi un mec que je n’étais pas. J’avais espéré une femme qu’elle n’était jamais devenue. Bref, nous nous étions fourvoyés sur cet amour. Et je l’avais trompée, avec la première pimbêche qui était passée par là. Sûrement pas l’acte dont j’étais le plus fier. Surtout qu’elle était déjà enceinte de moi et que je le savais. J’avais assumé mon geste, persuadé d’avoir découvert le vrai amour avec la jeune délurée, et je lui avais tout avoué. Martine m’avait prié de faire mes bagages et de ne plus jamais revenir. Je m’étais finalement retrouvé seul comme jamais, ma fugitive maitresse s’étant révélée très vite sous son vrai visage.

Un garçon, Damien, avait vu le jour six mois plus tard.

Un juge avait statué sur notre divorce et sur mon droit de visite.

Un an plus tard, j’étais remarié.

Treize ans plus tard et deux enfants supplémentaires, je divorçais à nouveau. Une belle réussite !

Je me reconstruisais tant bien que mal mais le processus était lent. Souvent, quand je ne les avais pas, surtout le week-end, avec deux jours qui n’étaient pas comblés par le travail, je plongeais dans une profonde déprime. Je me disais que les morceaux étaient encore bien loin d’être recollés.

J’avais en ligne de mire les vacances d’été. Nous étions en 1994. La France n’était pas à la Coupe du monde aux États-Unis. Nous pouvions désormais aller en Angleterre en empruntant un tunnel. Senna s’était tué sous mes yeux alors que je regardais tranquillement le grand prix de San-Marin. Un semestre assez merdique pour moi mais le monde avait continué de tourner.

Habituellement, quand nous étions encore une famille ou que nous faisions semblant de l’être, nous passions un mois au Portugal, chez les parents d’Isa.

C’était la première fois depuis 13 ans que je ne faisais pas ce voyage. Je ressentais un vide immense. Je misais tout sur ces trois semaines avec les garçons. Pour reprendre des forces et partager des choses ensemble.

J’avais vraiment attendu ces vacances. Comme un homme perdu dans le désert, espère l’eau. C’était vital pour moi. Ne plus travailler. Me reposer. Et surtout retrouver les enfants. Nous avions prévu de passer les trois semaines serrés les uns contre les autres, comme une meute, à nous respirer, nous envelopper, lécher nos plaies. Enfin, c’était surtout moi qui avais ce projet. Les enfants, eux, voulaient seulement passer du bon temps, profiter, rire et s’amuser.

Nous sommes partis très tôt le samedi, pour éviter à la fois la chaleur et les embouteillages. Les garçons étaient très excités. Ils parlaient fort, chahutaient mais je ne disais rien. J’étais trop heureux de les entendre, que leurs voix me remplissent la tête, après tous ces silences.

Nous nous sommes tout de même retrouvés coincés sur l’autoroute, sous un soleil de plomb, mais nous approchions de notre but. À l’horizon, les premières montagnes des Alpes apparaissaient. Chaque kilomètre parcouru me soulageait et me libérait.

La première semaine devait se passer dans cette station. Les deux suivantes, j’avais loué une maison avec vue sur la mer, près du Lavandou. Pour une fois, j’avais profité du CE de ma boite et avec ma situation financière actuelle, on me l’avait laissée pour trois fois rien.

Cet appartement à la montagne appartenait à la sœur de Martine. C’était Damien, mon aîné, qui m’avait proposé d’aller là-bas. Il y allait souvent l’hiver, il aimait beaucoup cet endroit et pensait pouvoir obtenir facilement l’accord de sa tante. J’avais dû l’appeler directement pour lui faire une demande plus officielle. Elle avait accepté de nous le prêter gracieusement. « Je fais ça pour mon neveu. Pas pour toi. » avait-elle précisé avant de raccrocher. Les rancœurs sont tenaces. J’avais blessé sa petite sœur, j’étais impardonnable. Je m’étais alors souvenu de son appel, le jour de la naissance de Damien, alors que ma présence n’avait pas été sollicitée à la maternité, alors qu’on m’avait clairement signifié de ne pas pointer le bout de mon nez. J’avais attrapé le combiné chez mes parents pour entendre sa voix froide m’annoncer : « Le fils de Martine vient de naitre, il s’appelle Damien ». J’avais raccroché, fou de joie, et mal à l’aise en même temps. Je venais d’être effacé. Je n’avais pas calculé à ce moment la difficulté que cela me demanderait de rappeler à tout ce petit monde mon existence, de rappeler que cet enfant avait un père.

Au niveau de ma fierté, cet appel pour l’appartement m’avait coûté. Financièrement, c’était une aubaine, la tante de Damien me le laissait gratuitement. C’était pour faire plaisir à son neveu. C’était aussi pour me faire la charité et pour appuyer sur le fait que finalement, tromper Martine avait été la meilleure chose qui pouvait lui arriver, vu le moins que rien que j’étais devenu.

Ma fierté, je m’étais assis dessus depuis longtemps déjà.

Par exemple, quand je m’étais recroquevillé sous les couvertures, dans mon clic-clac, alors que j’avais quitté Isa depuis seulement un mois, pour pleurer toutes les larmes de mon corps parce que j’avais marché sur un lego abandonné par les garçons. Ce petit bout de jouet qui m’avait percé la plante du pied m’avait rappelé à quel point leur absence me pesait, à quel point le silence et la solitude me tuaient. Dans la position du fœtus, je m’étais cru perdu à jamais. J’avais pensé être en train de tomber dans la folie. Un long moment après, j’étais remonté à la surface de mon existence.

Je me devais de tenir le coup pour les enfants. Ce qui était pire qu’un père absent, c’était un père mort.

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