Chapitre 7 - 2/2

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Retourner à la gare ne fut pas une tâche bien compliquée. Je suivais de loin mon voisin qui se dirigeait de toute évidence vers le croisement. Arrivée au carrefour quasi désert, je le perdis de vue, chose à laquelle je ne m’attendais pas. Avec sa démarche paresseuse, comment avait-il fait pour disparaître ? Toutefois, je ne restai pas en plan bien longtemps : Andrei me pêcha en chemin. D’une humeur massacrante, il but le café du gobelet qu’il tenait dès qu’il me vit.

— J’ai des consignes à prendre, ronchonna-t-il. La Capitaine m’attend.

Je tentais de faire la conversation le temps de traverser le tunnel central. Cette histoire d’ordinateur et de clé pouvait bien se terminer par quelques remerciements, non ?

— Andrei, à propos de ma clé USB…

Le jeune homme trébucha soudain, manquant de justesse de s’étaler sur le béton. Quand il fut debout sur ses pieds, ses oreilles étaient devenues rouge vif.

— Comment le sais-tu ? beugla-t-il en écarquillant les yeux. Qui te l’a dit ? Myria ? Chert ! Elle ne peut rien garder pour elle, celle-la !

Je ne saisissais pas ce qui le préoccupait ainsi. Je m’attendais à ce qu’il soit peut-être gêné et non bouleversé comme si sa vie en dépendait. Ma confusion devait le perturber davantage car il fit un tour sur lui-même comme s’il cherchait un échappatoire.

— Je la retrouverai, déclara-t-il d’un ton résigné, les mains jointes devant lui. Je t’assure que je vais le faire, d’accord ?

— Tu as perdu ma clé ?

Mon incrédulité apparente ne fit que l’ébranler de plus belle.

— Elle doit être dans le bureau informatique, je ne sais pas ! glapit-il avant que je ne puisse en placer une.

Son état ne s’améliora pas à mesure qu’il repassait son chemin de la veille dans sa mémoire, loin de là. Il se mit à parler en russe et je ne pus à aucun moment le rattraper dans le malentendu. Il m’avait distancée par de grandes enjambées, sans doute dans l’espoir de ne plus avoir à me confronter.

Nous arrivâmes ainsi à la gare. Le brusque changement d’espace parut donner à Andrei l’occasion de se reprendre.

Un seul vieux diesel ronronnant attendait. Comme hier, une poignée d’hommes s'affairaient à décharger ce qui devait l’être. Vanika se tenait près d’un wagon à compartiments. Elle discutait très sérieusement avec un type qui, à mesure que mon guide et moi approchions, n’était pas très serein. Il avait les jambes carrément tremblantes et restait muet comme une tombe. Ma sœur renvoyait l’impression qu’elle lui lisait ses droits. Deux types armées d’IRIX encadraient le malheureux, chacun un fusil entre les mains : des gardes.

Andrei me fit signe de ne pas approcher plus. Un dogra se trouvait tout près du groupe, la gueule entrouverte, en posture semi-défensive. Il communiquait par intermittence de sa voix grésillante. Vanika lui rétorquait toujours la même chose : “ c’est une décision hiérarchique “, d’après ce que j’entendais.

— Votre bateau restera à quai jusqu’à nouvel ordre, conclut-elle enfin.

Le dogra claqua la mâchoire et fit demi-tour sans attendre. Ce ne fut que lorsque le robot se trouva assez loin du train qu’Andrei m’autorisa à avancer. Les gardes poussèrent l’homme plus qu’apeuré dans le wagon et montèrent à sa suite alors que Vanika se tourna vers nous.

— Tout va bien ? demanda-t-elle à Andrei lorsqu’elle vit la mine grincheuse de celui-ci.

— J’ai mal dormi, c’est tout.

Il se garda bien de lui parler de la clé. Je ne tenais pas non plus à remettre le sujet sur la table – que mon guide ne déraille à nouveau, surtout –, alors je gardais le silence sur l’affaire.

Vanika lança une énième discussion en russe, preuve que celle-ci ne m’était pas destinée et je m’en agaçais. Mon peu de vocabulaire n’isola que les mots “ capitaine “, “ bateau “, “immobile” – je n’étais pas certaine de celui-ci –, IRIX, et le verbe “ attendre “. Andrei hochait la tête à coup de da atones.

Les manutentionnaires se mirent à crier entre eux en faisant de grands gestes. Quelqu’un à côté de la locomotive répondit en agitant vigoureusement les bras puis, un premier coup de sifflet retentit. Vanika jeta son sac dans le wagon avant de mettre un pied sur les marches. Elle scruta un instant tout autour de nous.

— Mon Béhémoth n’est pas là ? interrogea-t-elle. Mince, je voulais le voir hier… j’ai oublié de l’avertir.

— Je crois qu’il est parti en patrouille, supposa Andrei.

— Vraiment ? Il ne sort pas, d’habitude.

— Ce n’était peut-être pas lui, alors…

Vanika haussa les épaules tandis que le jeune homme se dandinait sur ses pieds. Le malaise n’avait définitivement pas envie de le quitter. Un deuxième coup de sifflet retentit. Les ouvriers nous hurlaient de nous éloigner du train. Ma soeur grimpa dans le sas avant que les marches escamotables ne se rabattent sur ses jambes.

— Tant pis, abandonna-t-elle. Je le contacterai quand je pourrais. Et, Naila, tu as bien compris toutes mes consignes ?

Je fis “oui” de la tête en faisant trois pas en arrière quand mon guide me le demanda d’un mouvement de main.

— J’espère que tout se passera bien, s’inquiéta-t-elle.

Elle avait retrouvé ce visage aimant que son court séjour lui avait dérobé. La voir ainsi me soulagea, j’en vins presque à me demander ce qui m’avait pris de partir aussi loin d’elle et de la sécurité qu’elle représentait. Qui allait rouspeter avec Carceris, désormais ? Existait-il au moins quelqu’un capable de lui tenir tête comme le faisait ma soeur ?

La porte du wagon se referma sur elle dans un bruit de pressurisation. Deux hommes s’étaient rapprochés de nous au troisième coup de sifflet et hurlaient encore pour que l’on s’écarte. Andrei s’excusa puis me tira quelques mètres de plus quand le train se mit en branle. Vanika nous salua derrière la vitre et bientôt, le wagon fut remplacé par un autre, puis un autre… jusqu’à la locomotive de queue, puis plus rien. La machine s‘engouffra dans le tunnel et ses phares jaunes s’évanouirent bien vite dans l’obscurité.

Le vide laissé par le train se ressentit de suite dans mes entrailles. Il s’amenuisa quand mon attention se porta sur Andrei, reparti vers le tunnel central sans un mot, insouciant de m’abandonner ici.

— Attends-moi !

Niet, maugréa-t-il en fourrant ses mains dans ses poches. Il faut que je fasse un rapport à Carceris. C’est moi qu’il va engueuler, grâce à cette conne !

— De quoi ?

— La Capitaine vient de partir avec notre commandant de bord pour une durée indéterminée. Elle a transmis l’ordre d’arrêt du Mutnaya mais pas qu’elle prennait Sergei pour l’interroger !

Une fois encore, il baragouinait pratiquement pour lui-même.

— Ça veut dire que vous avez un bateau ? lui demandai-je, le souffle court.

Mon rythme restait bien inférieur à la cadence élevée du sien.

— Pas en ce moment ! s’énerva-t-il.

À nouveau, il me distança sans que je puisse y changer quelque chose. Il marchait si vite que le croisement approchait plus tôt qu’il ne s’était éloigné lorsque nous l’avons quitté. Andrei replongea dans une diatribe russophone effrénée. Elle ne pris fin que quand je le vis s’engager dans le corridor en direction de ma chambre et, par extension, du puits. L’antre de Carceris se trouvait-elle de ce côté-là ?

Ma question tourna un temps dans mon esprit, juste assez pour que je réalise que je campais seule et sans autre repère au centre du carrefour.

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