Premières constatations

5 minutes de lecture

Toulouse, boulevard de Strasbourg

Juliette Delhuine, chef du groupe un, s’apprêtait à quitter son bureau de l’hôtel de police, au bord du canal, lorsque l’appel arriva. Elle était l’Officier de Police Judiciaire de permanence ce week-end et elle trouvait le temps long. La journée du samedi avait été plutôt calme et la nuit tranquille. Après avoir passé un peu de temps à mettre à jour les procédures de son groupe et répondu à quelques messages de la hiérarchie, elle avait prévu de prendre son déjeuner dans le quartier des Chalets. Le message transmis par le permanencier à l’accueil était laconique. Une patrouille de la police municipale avait constaté un décès suspect à proximité du marché Cristal. Les agents circulaient à vélo aux abords du marché quand ils avaient remarqué un petit groupe d’individus rassemblés autour d’un camion garé sur la contre-allée. Il ne leur avait pas fallu longtemps pour comprendre que la situation n’était pas de leur ressort et appeler le commissariat central. La capitaine Delhuine sortit son arme du tiroir et l’ajusta dans l'étui avant d’enfiler son blouson. En sortant du bureau, elle demanda au gradé de service de lui adjoindre une équipe d’agents et un véhicule. Dix minutes après l’appel des municipaux, elle était sur place. Elle laissa les hommes qui l’accompagnaient sécuriser le périmètre et se présenta aux patrouilleurs. L’un d’eux lui résuma ce qu’il avait cru comprendre et lui désigna un homme assis à une table de la terrasse du Kebab Café.

« Capitaine Delhuine, police judiciaire. C’est votre fourgon ? fit-elle en désignant le véhicule.

— Oui, je m’appelle Ahmed Mansouri. J’ai un commerce de primeurs sur le marché.

— C’est vous qui avez découvert le corps ?

— Quand j’ai vu que Khaled ne revenait pas, je me suis inquiété, j’ai traversé la rue et j’ai vu le sang qui coulait. J’ai ouvert la porte et là… »

L’homme prit sa tête dans ses mains et sanglota.

« C’était horrible. Du sang partout et le corps de Khaled étendu sur le plancher. J’ai refermé la porte et j’ai vomi, là sur le trottoir.

— Vous n’êtes pas entré dans le camion ?

— Non, non. Je voyais bien qu’il n’y avait rien à faire pour le sauver. Qu’est-ce que je vais dire à mon cousin ?

— Votre cousin ?

— Aboubaker Belkacem, le père d’Ahmed. »

Juliette tira une chaise pour s’asseoir en face de l’homme accablé. Elle sortit un calepin de sa poche pour prendre des notes.

« Je vais avoir besoin de quelques informations Monsieur Mansouri. Parlez-moi d’abord de ce malheureux garçon.

— C’est un bon garçon, Khaled. Il ne faisait pas d’histoires.

— Pourriez-vous commencer par me donner son nom complet et son adresse ?

— Oui, bien sûr. Il s’appelle Khaled Belkacem. Il habite chez ses parents, Aboubaker et Fatima, rue Fragonard, près de la mosquée, aux Trois Cocus. Il est allé à l’école, au lycée même, mais il ne savait pas quelles études il pouvait faire, alors il travaillait pour des amis de la famille, pour moi et d’autres. Il faut bien s’entraider. C’est sûr que le soir il retrouvait ses copains pour écouter de la musique et fumer, mais tous les jeunes font ça non ?

— Il travaillait souvent pour vous ?

— Non, peut-être une fois par mois, quand Momo était absent. Momo c’est mon employé habituel, Mohamed Haddadi. Il m’a appelé hier pour me dire qu’il avait le Covid, alors j’ai demandé à Aboubaker de m’envoyer Khaled.

— Donc, à part son père et vous, personne ne savait que Khaled serait sur le marché ce matin.

— Il y avait Djamila, ma femme et aussi Momo, qui devait s’en douter, après je ne sais pas si Khaled en avait parlé à ses copains.

— Khaled avait l’habitude de venir au camion pendant le travail ?

— Il y allait pour chercher des caisses de fruits pour réapprovisionner l’étal et pour boire un café quand il faisait trop froid.

— Bien, je vais aller jeter un œil dans le véhicule, mieux vaut que vous restiez ici, enfin, à proximité. J'aurai encore quelques questions. »

L’officier de police enfila une paire de gants avant de manipuler la poignée. Il régnait une odeur mêlant les parfums de fruits et les émanations de fluides corporels, pas vraiment un plaisir pour le nez. Des mouches avaient déjà commencé leur travail sur le corps étendu. Juliette alluma la torche de son portable et la braqua sur la gorge du malheureux garçon. L’assassin n’avait pas raté son coup. La blessure était franche et nette. Du travail de pro, pensa la policière. En sortant du véhicule, elle appela le commissariat pour demander une équipe de techniciens et passa un appel au palais de justice.

« Capitaine Delhuine, police judiciaire. Je voudrais parler au substitut de permanence.

— Ne quittez pas Capitaine, je vous mets en relation avec le substitut Madur. »

Juliette fit la grimace. Elle avait déjà travaillé avec Laurent Madur et elle ne l’appréciait guère. Elle le trouvait hautain et macho, sans respect pour le travail des femmes OPJ. Les fliquettes, comme il prenait plaisir à dire.

« Capitaine Delhuine, je me doute que si vous m’appelez un dimanche midi, ce n’est malheureusement pas pour m’inviter à déjeuner. »

La capitaine fit un compte-rendu rapide de la situation.

« Restez sur place et commencez les constatations d’usage. J’arrive dans un quart d’heure. »

Juliette retourna auprès de son équipe pour faire le point sur la situation et leur donner de nouvelles instructions.

« La scientifique est en route, protégez le périmètre et éloignez autant que possible les badauds. Le substitut se déplace en personne, je veux une scène de crime irréprochable. Personne ne s’approche ni ne touche le camion. De mon côté, je vais essayer de trouver des témoins oculaires. »

À la terrasse du Kebab Café, les conversations allaient bon train, malheureusement dans des langues que l’officier ne comprenait pas. Elle songea à appeler sa collègue Samira Saada, qui dirigeait le groupe deux, mais préféra essayer de se débrouiller et ne pas gâcher son dimanche. Après quelques minutes, les informations se recoupaient. Personne n’avait été vu en train de monter dans le fourgon, dont la porte latérale n’était pas visible depuis le café. Par contre, un individu avait été aperçu descendant par la porte arrière, peu avant que quelqu’un remarque le sang qui s’écoulait sur la chaussée. Il devait être un peu plus de midi selon les témoins. Toutes les versions s’accordaient sur un homme, plutôt grand, d’allure sportive, vêtu de noir, une sorte d’uniforme de sécurité privée, avec des chaussures montant haut sur les chevilles. Les témoins n’avaient pas pu voir son visage dissimulé par un masque sanitaire. Il portait une casquette à visière fortement inclinée qui cachait son regard. Quelqu’un ajouta qu’il avait tourné à l’angle de la rue Saint Bernard. Juliette repensa à la remarque qu’elle s’était faite en examinant la blessure, un professionnel. Elle nota dans son carnet « ancien militaire ? » puis elle ajouta « cameras ».

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Eros Walker ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0