Rapprochements

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Toulouse, Hôtel de Police

« C’est toi qui enquêtes sur les Russes, demanda le lieutenant Berroyer à Juliette Delhuine ? »

Juliette reconnut le jeune officier qui passait la tête dans le local de son groupe. Il était arrivé depuis peu à Toulouse et avait été affecté au groupe 3, sous les ordres de Kevin N’Guyen.

« Oui, tu as quelque chose qui pourrait concerner cette affaire ?

— C’est bien possible oui. J’étais de permanence cette nuit et j’ai été appelé par la BAC qui patrouillait dans le quartier de la Cartoucherie. Un couple qui rentrait un peu tard en voiture avait cru apercevoir un corps sur le trottoir, devant l’église Russe, avenue de Grande-Bretagne. Les baqueux ont découvert le cadavre d’un type, salement amoché. Blessures à l’arme blanche, bestiales, et une balle dans la tête. Le corps était à moitié emballé dans du plastique à bulles. J’ai tout de suite demandé les vidéosurveillances du quartier. On voit une vieille Peugeot s’arrêter devant l’église et trois personnes qui en sortent ou peut-être deux hommes et une femme. Il sortent le cadavre du coffre et le déposent devant l’église avant de repartir. Il était à peu près minuit.

— Je crains, en effet, que ce soit lié aux affaires concernant les Russes et les Algériens. J’en parlerai avec Kevin et le commissaire au briefing tout à l’heure, merci de m’avoir prévenue. »

Dans son bureau, Ange était au téléphone avec le procureur.

« Commissaire, j’apprends qu’un nouveau cadavre a été retrouvé sur la voie publique, devant l’église Russe cette fois. C’est intolérable. Le maire est fou de rage, il faut absolument mettre fin à cette guerre.

— Monsieur le Procureur, sauf votre respect, nous sommes une division de police judiciaire, pas une force d’interposition. Nous avons établi les chronologies en nous basant sur la vidéosurveillance, mais ça ne nous donne pas l’identité des victimes, ni celles des assassins. Nous avons mobilisé plusieurs officiers pour faire du porte-à-porte dans le quartier Matabiau. Nous continuons à étudier les vidéos pour trouver où le fourgon a pu se rendre après l’enlèvement de la prostituée, mais c’est un travail de fourmi. Nous sommes à peu près certains que du côté des Izards, c’est Belkacem qui est aux commandes, mais pour le moment, il se cantonne dans son statut de victime indirecte. Pour ce qui est de l’autre parti, nous ne savons pas qui est le chef de la faction russe. Notre seul lien est la fille blessée à Rangueil, hélas, pour le moment, les médecins ne nous permettent pas de l’interroger.

— Je ne vous dis pas que c’est facile, mais le temps joue contre nous. Il faut absolument agir avant qu’ils ne passent à un niveau supérieur d’affrontements. Mettez plus d’homme sur le terrain. J’en parlerai au commissaire divisionnaire s’il le faut.

— Merci Monsieur le Procureur, mais je crois que j’ai assez de ressources pour ce que nous avons comme indices. »

Ange eut du mal à formuler une formule de politesse sincère. Il détestait ces moments, mais il savait que c’était à lui d’absorber la pression afin de laisser ses troupes travailler sereinement. Il sortit de son bureau pour demander à ses chefs de groupe de le rejoindre en salle de briefing. Quelques minutes plus tard, les trois officiers étaient réunis en face de leur chef.

« Tout d’abord, je veux partager avec vous, et ce sera la seule évocation de ce point, la pression que nous met le Parquet, mais j’imagine que ça ne vous surprend pas. Passons donc tout de suite aux différents volets de cette affaire. Qui veut commencer ?

— On peut suivre l’ordre chronologique, proposa Juliette. Il y a deux concessionnaires Land Rover à Toulouse. Un dans le quartier des Etats-Unis et l’autre à Labège. Le garage des Etats-Unis a reconnu un modèle récent, deux ans maximum selon certains détails, mais il ne se souvient pas en avoir vendu de cette couleur, encore moins à un client d’origine russe. On a eu plus de chance à Labège, le gars a reconnu un véhicule qu’il a vendu. Le client est une société de sécurité privée, immatriculée au registre du commerce depuis trois ans, Homeland Security. Le représentant légal semble être un prête-nom, Louis Marin, soixante dix-huit ans, ancien légionnaire rangé des voitures depuis dix ans. La personne qui a pris livraison de l'Evoque pourrait par contre coller avec notre profil, quadragénaire, grand, sportif, allure de militaire. On a l’immatriculation officielle et un lieu de garage dans le quartier du Busca. Si tu es d’accord, je vais envoyer une équipe sur place pour essayer de trouver ce véhicule et le mettre sous surveillance.

— OK, dit Ange, si tu as besoin de monde, vois d’abord avec Kevin et Sam. Si besoin, j’irai demander des renforts au divisionnaire.

— Pour ce qui concerne l’enlèvement de la prostituée, Pagès a interrogé ses contacts à Matabiau. Le camion taggué pourrait avoir tourné dans le quartier un peu avant l’heure du rapt. Ils ont aussi remarqué une activité anormale dans un café, tenu par un certain Medhi Salah, connu des Mœurs comme une des bases arrières des macs du secteur. Un voisin noctambule a décrit un grand black qui tapait sur le volet baissé peu avant minuit. Peut-être celui que l’on voit sur les vidéos courir dans la rue un peu plus tard.

— Trouvez un prétexte quelconque avec Pagès pour lui faire fermer son claque et amenez ce Salah. Cuisinez-le un peu pour qu’il nous parle de ses visiteurs du soir. Secouez aussi les indics pour essayer de savoir qui est ce géant noir. Qu’est-ce qu’on a comme gangs africains ?

— Les plus actifs sont surtout les Nigérians.

— Cherchez de ce côté-là. Ce gaillard n’est pas banal. Du côté du camion, on avance sur son itinéraire ?

— On a resserré le périmètre. Le fourgon a tourné dans les rues du quartier des Chalets, sans doute pour rompre une éventuelle filature, puis il a remonté l’avenue des Minimes jusqu’au niveau du métro Claude Nougaro. Là il a viré à gauche et on le perd dans les petites rues. Il réapparait une demi-heure après à l’angle de la rue Gelibert et redescends vers le canal, puis il part vers l’est.

— Ça ne rapportera peut-être rien, mais il faut essayer. Envoyez du monde dans le secteur et interrogez tout ceux qui pourraient avoir remarqué le véhicule dans la soirée. Croisez les données du cadastre avec les actifs de Belkacem et de ses sociétés, cherchez un local qui pourrait lui appartenir dans ce bloc. Sam parle-nous de Rangueil.

— La fille blessée est toujours dans le coma artificiel. Nous ne l’avons pas identifiée, mais nous avons obtenu des photos de ses tatouages et autres modifications. J’ai envoyé un gars faire le tour des officines spécialisées, il n’y en a pas tant qui font ce genre de choses assez extrêmes. On a un tatoueur qui opère dans le quartier Saint-Michel qui pense avoir reconnu son travail. Il a parlé d’une femme dans le genre punk, avec une coupe iroquoise. Ça matche bien. Malheureusement, il n’a pas son identité complète. Il a juste noté « Tania » dans son carnet de rendez-vous et les règlements ont été effectués en espèces. Il confirme qu’elle pourrait être Russe « ou quelque chose comme ça ».

— Bon, ce n’est pas grand-chose, mais tout de même un élément de cohérence, apprécia Ange. Tu as retrouvé le téléphone ?

— Oui, sous une voiture. Un portable prépayé, un seul numéro programmé, correspondant lui aussi à un mobile anonyme qui a borné au Busca avant de se rapprocher de la zone de l’attaque et de disparaitre vers la rocade. Le type au Range Rover ?

— Possible ! La fille l’a sûrement appelé au secours, mais il est arrivé trop tard et il est reparti sans s’arrêter. Ensuite, il a coupé le téléphone. Il l’aura probablement jeté.

— Mets-le sur écoute quand même, on ne sait jamais. Revérifie les vidéos, cherche un Evoque noir. Il nous reste le cadavre de l’église !

— En effet, répondit Kevin, c’est un de mes gars, le lieutenant Berroyer, qui a été averti cette nuit. La BAC a remarqué un cadavre devant l’église Russe, ça ne peut pas être une coïncidence. Mort violente, une balle dans la tête, après des blessures barbares à l’arme blanche sur le visage. Bien sûr, pas d’éléments d’identification. La victime est caucasienne, grande, sportive, mais le plus intéressant, ce sont les images. Sam, tu as la vidéo de l’agression ? »

Samira lança l’enregistrement réalisé par les caméras du parking de Rangueil.

« Regardez le groupe qui arrive par derrière, deux hommes et une femme. Et regardez maintenant ! »

Kevin lança sa propre vidéo.

« Vous voyez la voiture qui s’arrête devant l’église et qui en descend ? Deux hommes et une femme, je suis presque certain que c’est le même commando.

—C’est possible en effet, et donc la victime serait le type enlevé plus tôt dans l’après-midi et « rendu » aux Russes devant leur église. C’est particulièrement cynique comme signal.

— Au vu de l’état du corps, ils ont dû s’acharner pour le faire parler. S’ils avaient juste voulu le tuer, une balle aurait suffi.

— Belkacem est sur la même piste que nous. Il veut le commanditaire russe. »

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