Reconnaissance

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De Toulouse à Alicante

Igor arrêta sa voiture sur une aire de service à proximité de Tarragone. Malgré les amphets, il venait de ressentir un coup de fatigue et de toute façon, il lui fallait refaire le plein. Il avait quitté Toulouse au milieu de la nuit et espérait atteindre Alicante pour le déjeuner, à l’heure espagnole. Plutôt que de passer par Madrid, où il n’avait rien de spécial à faire, il avait demandé à Maxim de le rejoindre directement sur la Costa Blanca afin d’étudier la situation au plus près du point de départ des opérations algériennes. Alexander avait convaincu son jeune cousin de se faire accompagner de quelques hommes sûrs, bien intégrés dans la société espagnole. Peu soucieux du budget de son patron, Igor avait jeté son dévolu sur l’hôtel Meliá, sur le vieux port, face au casino.

Après avoir rempli le réservoir et avalé un double expresso, la Range Rover noire avait repris l’autoroute côtière en direction de Valence. Tout en conduisant, il essayait d’échafauder des plans d’attaque. Il ne lui fût pas difficile d’imaginer les scénarios d’abordage du camion désigné. Bien entendu, il n’était pas question d’arraisonner un poids lourd lancé à plus de cent kilomètres-heure sur l’autoroute. Il faudrait donc agir lors d’un arrêt. L’une des inconnues était la question de l’accompagnement éventuel de la cargaison par un ou plusieurs véhicules de soutien. L’ancien spetsnaz savait que l’effet de surprise provoqué par un commando déterminé permettrait de décupler l’impact de l’attaque, mais si le camion faisait halte dans un endroit très fréquenté, une bataille rangée n’était pas envisageable. L’idéal serait une attaque de nuit, lorsque l’attention de la cible est à son point le plus bas. En tout état de cause, tout cela n’était que conjectures, la vraie question était de cibler le bon véhicule. Malgré la piètre opinion du Russe à l’égard de ses adversaires, il savait que Belkacem n’avait pas préservé son business sans un minimum de précautions. Il comptait sur les hommes de Maxim pour essayer de soudoyer un chauffeur afin d’obtenir des précisions sur l’organisation des convois. Plus il ajoutait d’éléments dans le scénario, et plus l’opération imaginée un verre à la main, autour de la cheminée, à Vieille-Toulouse se révélait aléatoire.

Lorsqu’il atteignit Valence, il décida de cesser de monter des plans sans disposer de suffisamment d’informations. Il passa un coup de fil à Alexander pour obtenir confirmation que la partie espagnole était bien en route puis il contacta Maxim pour lui préciser qu’il l’attendrait à l’hôtel. Celui-ci lui répondit qu’il serait sur place en milieu d’après-midi.

Il était un peu plus de quatorze heures lorsque l’Evoque franchit les limites de la ville d’Alicante. Igor décida de se rendre au Meliá et d’y prendre un bon repas avant d’aller repérer la zone d’activités dans laquelle Belkacem avait son entrepôt. Maxim annonça son arrivée trois heures plus tard. Il proposa à Igor de le retrouver au bar pour faire connaissance autour d’un verre. L’équipe était réunie dans une zone un peu à l’écart des autres clients. Maxim présenta son groupe. Leonid avait une allure familière aux yeux d'Igor qui reconnut aussitôt un ancien militaire, Ramon, lui, avait le look typique d’un Andalou, cheveux et barbe sombres, regard noir brillant. Pour compléter le trio, une femme étonnante, irradiant à la fois la sensualité et le danger à l’état brut. Marcia planta son regard de braise dans celui d’Igor. Le signal était explicite. Le spetsnaz présenta l’objectif du groupe, dans un premier temps, la collecte d’informations sur les opérations logistiques de Belkacem, puis si la première phase se révélait positive, l’interception du camion durant sa remontée vers Toulouse.

Une heure plus tard, deux véhicules se dirigeaient vers la zone d’activités à l’est du port marchand. Sans surprise, Marcia avait pris place aux côtés d’Igor, tandis que Maxim se faisait accompagner de Leonid et Ramon.

« Tu parles le russe ? demanda Igor.

— Nemnogo, répondit Marcia avec un accent épouvantable, mais je peux parler français.

— Parfait, continuons en français alors. Ça fait longtemps que tu travailles avec Maxim ?

— Deux ans bientôt.

— Qu’est-ce que tu fais pour lui ?

— Beaucoup de choses, en fait. Je suis en même temps secrétaire, comptable et agent de liaison.

— Agent de liaison ?

— Et bien comme ici, je peux aider à entrer en contact avec des personnes, je me débrouille bien de ce côté-là.

— J’imagine, oui, commenta Igor. Tu es aussi sa maîtresse ?

Marcia se mit à rire.

— Sa maîtresse ? Il me faudrait des couilles pour ça ! »

Igor ne releva pas. Alexander ne lui avait pas parlé de cette orientation de son cousin. L’ancien militaire n’avait pas de problème avec cela, même si ses goûts étaient beaucoup plus conventionnels.

« Tu as déjà eu l’occasion de participer à des opérations de terrain ?

— Tu veux dire en dehors de coucher avec un homme sur commande ? Je sais me servir d’une arme, si c’est ta question, et j’ai fait des arts martiaux. Mieux vaut ne pas me chercher des noises dans une rue sombre.

— Parfait ! Je ne sais pas encore comment nous allons procéder, mais chacun aura son rôle à jouer. »

La voiture de Maxim, une berline Mercedes qui les précédait, ralentit et s’engagea entre les entrepôts. De tous côtés, des semi-remorques portant la marque de transporteurs internationaux ou de gros négociants de primeurs entraient et sortaient des immenses parkings. Le téléphone d’Igor sonna.

« Nous sommes arrivés, annonça Maxim. L’entrepôt de Belkacem est de l’autre côté de la rue.»

Igor observa le site. Le bâtiment comportait une dizaine de quais de chargement, quatre remorques y étaient actuellement positionnées. Deux autres véhicules attendaient leur tour. Une construction attenante semblait accueillir les bureaux. Plusieurs voitures étaient parquées à proximité. Deux d’entre elles détonaient, une BMW X5 et un roadster Mazda.

« Ramon va aller voir à l’intérieur. Il va se faire passer pour un chauffeur qui cherche du travail. Nous on va bouger pour ne pas nous faire trop remarquer. »

Igor vit la portière passager s’ouvrir et Ramon descendre, puis la Mercedes repartit à faible vitesse. Il la suivit sur quelques centaines de mètres.

« Attends-moi dans la voiture, dit-il à Marcia. »

Igor alla retrouver Maxim dans la Mercedes.

« Ce serait trop beau que l’on puisse pénétrer dans la place aussi simplement, mais au moins, on aura une idée de la disposition des lieux et des effectifs.

— Marcia est habituée à participer à des actions musclées ?

— Ne te fie pas à ses yeux de biche ni à ses nichons. Elle vaut largement un homme s’il y a de la bagarre et elle peut faire des choses qu’aucun de nous ne peut effectuer, si tu vois ce que je veux dire.

— Je comprends parfaitement, oui.

— J’ai vu son regard tout à l’heure. Je dirais que tu es tout à fait son genre d’homme.

— Nous verrons, éluda Igor, pour le moment, on se concentre sur notre mission. »

Quelques minutes plus tard, Ramon revint et monta à l’arrière de la voiture, à côté de Leonid qui n’avait pas prononcé un mot.

« Alors ? demanda Igor.

— J’ai jeté un œil sur la zone de manœuvre et j’ai pu aussi regarder dans l’entrepôt, par les portes ouvertes. La surface est au deux-tiers occupée par des palettes de fruits et de légumes qui bougent sans cesse. Il y a une zone froide, du côté du bâtiment administratif. Il y a aussi un petit local fermé à l’opposé, devant le quai le plus éloigné, actuellement libre. Il n’y a pas de marchandises dans ce secteur.

— Tu crois que c’est là qu’ils stockent la came ? demanda Maxim.

— Je n’en sais rien, mais ce ne serait pas idiot. De toute façon, elle ne doit pas rester là bien longtemps. Ce serait trop dangereux.

— Tu as parlé aux chauffeurs ?

— Oui, ils n’emploient que des Espagnols ou des Algériens. Pas de Bulgares ou de Lettons. Les départs se font généralement en début de soirée et les gars roulent une bonne partie de la nuit. Le matin, c’est la réception des marchandises. Il n’y a qu’un chauffeur par camion, ils partent dès qu’ils sont chargés et que les papiers sont prêts.

— Tu es allé voir les bureaux ? demanda Igor.

— J’ai demandé s’ils avaient besoin d’un conducteur expérimenté. Ils m’ont répondu que pour le moment ils n’avaient rien à m’offrir, mais ils m’ont proposé de laisser mes coordonnées. Il y a deux personnes à la réception, des jeunes femmes qui gèrent la paperasse, et deux bureaux fermés derrière, j’ai aperçu un homme assez âgé, je dirais plus de cinquante ans, pas un Espagnol et un autre plus jeune, style play-boy.

— Le conducteur de la Mazda, fit Igor.

— Les magasiniers ne cessent d’entrer et sortir pour prendre des bordereaux et rapporter les papiers.

— On va coller des traceurs sur la BMW et le cabriolet, ce sera suffisant pour ce soir, déclara Igor. J’ai ça dans ma voiture, j’en ai pour dix minutes. »

Sur le chemin du retour, comme Marcia s’inquiétait du programme de la soirée, Igor lui proposa d’aller faire un tour au casino.

« De toute façon, il nous faut attendre que les camions soient tous partis pour voir où les patrons vont aller. Il y en a encore pour un moment.

— Super, je vais aller me changer alors ! »

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