Enfumage

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Alicante, Espagne

Moktar Ben Salam raccrocha son téléphone intrigué. Originaires du même village, sa famille et celle d’Aboubaker Belkacem étaient apparentées, il avait toujours travaillé avec Abou. Lorsque Belkacem avait organisé le transit des stupéfiants depuis le Maghreb vers la France, il avait naturellement confié la plaque tournante d’Alicante à Moktar. Cette mécanique était bien rodée et ils n’avaient jamais eu d’incident de parcours. Pourquoi fallait-il que ces Russes viennent perturber leur business lucratif ? Il appela Radouane qui travaillait dans le bureau voisin.

« Je viens d’avoir une conversation avec Abou. Il est en conflit à Toulouse avec un gang russe qui aurait fait tuer son fils Khaled.

— Je n’étais pas au courant pour Khaled, tu transmettras mes condoléances à Abou.

— Je n’y manquerai pas, mais ce n’est pas le plus important pour nous. Il se pourrait que les Russes s’intéressent à notre organisation. Abou nous demande d’être vigilants et d’agir si nécessaire.

— Ça n’a peut-être rien à voir, mais justement, hier soir, après le travail, je suis allé retrouver des amis dans un bar sur la plage de San Juan. Normalement, à cette période il n’y a que des habitués, mais là, un couple est arrivé après moi, ce qui est plutôt rare. La fille était Espagnole, à coup sûr, mais le type avait plutôt le genre slave, avec une allure d’ancien militaire. Ils ne sont pas restés longtemps, ils ont bu un verre et ils ont filé.

— Nous avons également eu la visite d’un gars, hier en fin de journée, qui cherchait du boulot comme chauffeur. C’est assez peu fréquent qu’on vienne directement chez nous pour ça. Ça sent le repérage.

— On va prévenir les gars, qu’ils ouvrent l’œil et qu’ils nous avertissent s’ils revoient des têtes inconnues dans le secteur. De toute façon, on n’a pas de marchandise en ce moment.

— On pourrait leur tendre une embuscade, proposa Moktar.

— Quoi ?

— Si on ne prend pas l’initiative, ces gars là vont être sans cesse sur notre dos, jusqu’au moment où nous baisserons la garde.

— Comment comptes-tu t’y prendre ? demanda Radouane.

— Je n’ai pas encore de plan détaillé, mais on pourrait organiser une livraison fictive et leur tomber dessus quand ils attaqueront le camion.

— Comme à Chicago pendant la prohibition !

— Oui, je sais, comme ça c’est un peu fumeux, mais on doit affiner l’idée. Comment t’y prendrais-tu si tu voulais piquer un camion chargé durant son trajet ?

— Je ne sais pas trop, je braquerais le conducteur sur un parking, pendant une pause.

— Tu as raison, ce serait difficile d’obliger un semi-remorque sur l’autoroute à s’arrêter. Si on a des hommes dans le camion et un deuxième véhicule en soutien, on les prend par surprise au moment où ils se croient maîtres du jeu.

— Mais comment vont-ils savoir quel camion il faut suivre ?

— C’est à nous de leur indiquer. On ne va pas leur envoyer un texto, bien sûr, mais s’ils nous surveillent, donnons leur l’impression que quelque chose se prépare. »

Leonid et Ramon s’étaient procuré un véhicule discret, une Clio ayant déjà vécu, auprès d’un loueur à bas coût. Ils avaient fait un premier passage en début de matinée, sans rien remarquer de particulier. Plusieurs camions étaient en cours de déchargement dans la cour et toutes les baies de l’entrepôt étaient ouvertes, à l’exception de la plus éloignée des bureaux. Par les ouvertures, les deux hommes pouvaient distinguer l’animation des caristes qui déplaçaient les palettes chargées de primeurs, la vie normale d’un entrepôt. Sur le parking, la BMW et la Mazda étaient à la même place que la veille. Il y avait une dizaine d’autres véhicules particuliers garés à proximité du local administratif.

« Il y a au moins une quinzaine de personnes là-dedans, commenta Ramon.

— On va faire un tour et on repasse un peu plus tard. Pour le moment, tout à l’air normal.

— Tu crois que ce gars de Toulouse s’est fait Marcia hier soir ?

— Ça ne m’étonnerait pas, répondit Leonid, tu as vu comme ils ne se sont pas quittés depuis qu’on est arrivés. Faut dire qu’elle est canon, Marcia, et chaude comme un braséro.

— C’est pas trop mon style !

— Tu dis ça parce que tu sais que tu n’as aucune chance. Une fille comme ça ne baise pas avec les sous-fifres.

— Peut-être bien, mais de toute façon, c’est plus simple. Je ne crois pas que Maxim apprécierait. »

Leonid mit un terme à la discussion en garant la Clio sur le parking d’un MacDo.

« Il est pas un peu tôt ? demanda Ramon.

— Je ne suis pas Espagnol, moi, je ne tiendrai pas jusqu’à l’heure du déjeuner.

— Bon, ce sera juste un café pour moi.

— Ici ? Tu aimes le danger ? demanda Leonid en riant. »

Peu avant midi, les deux hommes étaient de retour devant l’entrepôt des Belkacem. Les semi-remorques étaient toutes reparties, comme les voitures des employés, à l’exception de la BMW et du cabriolet. Seul restait dans la zone de manutentions un camion de dix tonnes, stationné au niveau de la dernière baie.

« C’est peut-être notre jour de chance, après tout, commenta Leonid.

— Il faut voir de plus près, si ça se trouve, il n’y a que des oranges dans ce bahut, répondit Ramon. Il y a un espace entre le mur de l’entrepôt et la clôture. Si je peux me glisser par là, personne ne me verra. Fais le tour, on va voir si on peut entrer par derrière. »

Leonid passa devant les bureaux puis tourna dans la première rue à gauche, puis de nouveau à gauche. La parcelle mitoyenne de l’entrepôt hébergeait un atelier de réparation de poids lourds. Leonid se gara sur le parking visiteurs et entra dans le bureau de réception, pendant que Ramon se faufilait sur l’arrière. Le téléphone du Russe sonna. Ramon lui confirma qu’il avait réussi à s’infiltrer au travers de la clôture. Leonid attendit son tour et demanda quelques renseignements anodins pour justifier sa présence, puis il ressortit pour attendre Ramon à l’extérieur. Il n’eut pas à patienter longtemps, après une dizaine de minutes son comparse se glissa dans la voiture.

« C’est bon, tu peux y aller.

— Alors, qu’est-ce que tu as vu ?

— Je peux te dire que ce ne sont pas des cageots de légumes qui se trouvaient dans ce camion et ce ne sont pas non plus les magasiniers habituels qui font le transbordement.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Tu n’as pas remarqué ? Le parking est presque vide. De plus, les gars de l’entreprise portent des vêtements avec le nom de la boîte dans le dos alors que ceux-là sont habillés comme toi et moi. Ils déchargent des cartons qui n’ont pas l’air de peser très lourd et ils les déposent dans le local isolé que j’ai remarqué hier.

— OK, dit Leonid. On va avertir Igor et Maxim de ce qu’on a repéré.

— Il vaut mieux qu’on leur explique au téléphone et qu’on reste ici à surveiller les lieux discrètement.

— D’accord, je vais chercher un coin discret pour la bagnole. »

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