Simple visite

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Alicante, Espagne

À deux heures du matin, Selima commençait à ressentir des picotements dans la nuque et elle percevait les premiers signes de perte d’attention. Elle préféra arrêter le poids lourd sur une aire de service un peu avant Barcelone. Elle n’était pas à une heure près. Malgré l’heure avancée, de nombreux chauffeurs étaient encore éveillés sur le parking et elle sentit les regards dans son dos comme elle se dirigeait vers le bâtiment éclairé. Elle avait fréquenté ce milieu pendant assez longtemps pour ne plus prêter attention à ces comportements. Les rares fois où un routier trop hardi n’avait pas perçu la dangerosité létale de la jeune femme, il avait reçu une leçon douloureuse, le plus souvent au niveau de ses organes génitaux. L’amazone avait été formée pour tuer et ces enseignements là ne s’oublient jamais. Après l’obligatoire passage aux toilettes, elle se fit servir un café serré à consommer sur place ainsi qu’un double à emporter. De retour dans sa cabine, elle verrouilla les portières et régla une alarme pour s’accorder un bref moment de repos.

Il était presque neuf heures lorsque Selima gara le Volvo sur le parking de l’entrepôt Belkacem à Alicante. Elle avait assez souvent fait la route à ses débuts et connaissait la plupart des employés. Elle se dirigea directement vers les bureaux, salua à la ronde et entra dans la pièce occupée par Radouane.

« Salam alaykoum, Radouane.

— Heureux de te revoir, Selima, répondit l’interpellé en arabe. Tu as fait bonne route ?

— Un peu long, je n’ai plus l’habitude de rouler toute la nuit.

— Tu peux aller te reposer, je suppose que tu ne vas pas repartir tout de suite.

— Non, je pense que je reprendrai la route en fin de journée. Pour le moment, une douche serait ce qui me ferait le plus plaisir.

— Tu peux aller chez moi, si tu veux. Il n’y a personne en ce moment.

— Tu n’es plus avec cette belle Andalouse ? Comment s’appelait-elle, Carmen ?

— Oh non, répondis Radouane en riant, j’ai préféré la quitter avant qu’elle ne me tue. Elle était trop jalouse. C’est encore calme pour le moment, je peux t’y conduire. Tu ne vas pas y aller avec ton bahut. Mes voisins n’apprécieraient pas.

— Je dois avouer que je suis très tentée. C’est loin ?

— En bord de mer, un peu au nord. À cette heure-ci, il y en a pour une vingtaine de minutes. Je préviens Moktar et on y va. »


Une demi-heure plus tard, Radouane arrêtait le roadster devant une villa moderne, dans un quartier calme près de las Mezquitas. Il guida Selima jusqu’à la salle de bains et lui sortit des serviettes propres.

« Excuse le désordre, je n’attendais pas de visite aujourd’hui. Prends ton temps, je vais faire du café. »

Radouane sorti, Selima se débarrassa de sa tenue de camionneur et détacha ses cheveux avant de se glisser sous la douche. Elle y resta de longues minutes, le temps de sentir la lassitude s’évacuer avec l’eau chaude et la mousse, puis elle noua une sortie de bain sur sa poitrine avant d’aller retrouver son hôte dans la cuisine. Durant la période où la Libyenne faisait la route deux fois par semaine, elle avait sympathisé avec celui qui l’accueillait aujourd’hui, mais sans aller plus loin que quelques plaisanteries grivoises échangées en buvant un verre après le travail. Radouane était pourtant un bel homme et Selima n'avait pas été indifférente à ses charmes, mais à l’époque il était engagé avec une femme excessivement possessive et le jeune homme avait préféré garder ses distances. Il semblait bien qu’il en aille différemment aujourd’hui.

« Le café est prêt, lança Radouane comme elle entrait dans la cuisine. Comment l’aimes-tu ? Noir et sans sucre ?

— C’est ça, ça n’a pas changé.

— Toi non plus tu n’as pas changé, ou plutôt si, je te trouve plus assurée, plus séduisante que lorsque tu conduisais toutes les nuits.

— Merci, la vie à Toulouse est plutôt agréable. Je dois avouer que j’en profite.

— Tu ne devais pas te marier ?

— Si, je le suis encore, mais plus pour longtemps j’espère. Abou m’a promis de me rendre ma liberté bientôt, quand toute cette affaire sera terminée. Raconte-moi ce qui s’est passé avec ces Russes. »

L’Algérien relata l’embuscade sur le parking.

« Vous avez pu identifier les morts ?

— Je crois qu’il y avait deux Russes et un Espagnol. La fille aussi était Espagnole. Ils circulaient dans une Renault minable, sans doute volée, mais aussi une Mercedes haut de gamme, immatriculée en Espagne. On a trouvé une clé de chambre de l’hôtel Meliá et celles d’un Range Rover Evoque dans les poches de ton client.

— J’irai faire un tour dans l’après-midi. Tu pourras me prêter une voiture ?

— Je repasserai te prendre à l’heure du déjeuner. Nous pourrons y aller ensemble.

— Ça marche, maintenant j’ai besoin de dormir un peu.

— Il y a une chambre d’amis, tu peux t’y installer. »

Peu avant quatorze heure, Selima entendit le bruit du cabriolet sur les graviers. Elle était habillée d’une tenue de ville élégante qui contrastait avec sa tenue du matin.

« On va déjeuner sur le Vieux Port ? proposa Radouane.

— Comme tu veux, tu connais l’endroit mieux que moi.

— La Brújula, alors, ça fait un peu cliché, mais la paëlla y est excellente.

— OK, va pour la boussole. »

Le jeune homme ne s’était pas trompé. La table était excellente. Il ne leur restait que quelques mètres à faire pour atteindre l’hôtel de Polounin. Ne connaissant pas le patronyme du Russe, Selima suggéra de commencer par le parking pour visiter la voiture avant la chambre. Grace à la commande à distance, ils n’eurent pas de mal à repérer le SUV du Russe. Le véhicule ne contenait rien de particulier, mais ils y trouvèrent néanmoins l’identité de leur cible. Munie de l’information, Selima se présenta à la réception de l’hôtel.

« Pouvez-vous me donner le numéro de la chambre de Monsieur Polounin je vous prie, demanda Selima en français, il m’attend.

Le réceptionniste considéra un instant la femme en face de lui qui lui proposait un grand sourire et une vue charmante sur son décolleté, puis il consulta son écran.

« C’est la chambre 504, au cinquième étage, les ascenseurs sont sur votre gauche. Voulez-vous que je le prévienne ?

— Surtout pas, répliqua Selima avec un clin d’œil, c’est une surprise ! »

Radouane rejoignit Selima comme elle pénétrait dans l’ascenseur.

« On dirait que tu as fait ça toute ta vie, une vraie call-girl !

— Je ne sais pas si je dois te remercier pour ce compliment. »

La chambre avait été nettoyée, mais des vêtements avaient été soigneusement rangés sur l’un des fauteuils. Selima remarqua des dessous féminins.

« Notre ami a visiblement passé du bon temps ici avant de lancer son opération suicide, remarqua l’amazone.

— Il n’y a que des vêtements d’homme dans le placard, remarqua Radouane, la fille devait être venue avec le Russe à la Mercedes. Tiens regarde, il y a un ordinateur dans le sac de voyage.

— Allume-le ! »

L’écran afficha immédiatement une demande d’identification.

« Il faut un mot de passe, commenta l’Algérien. J’essaie 0000 ?

— Il n’est sûrement pas si con ! Emporte-le on essaiera de lui faire cracher tout à l’heure. »

Selima remarqua une petite zone à côté du clavier.

« Il y a une identification biométrique. J’espère que vous ne lui avez pas coupé tous les doigts !

— Non, brisé seulement, ricana Radouane, il va gueuler, mais ça devrait encore marcher.

— Allez, on se tire, il n’y a rien d’autre à trouver ici. »

Selima avait remis ses vêtements de travail avant de retourner à l’entrepôt. Radouane la fit entrer dans la petite pièce sans fenêtre au fond du bâtiment. Le prisonnier était assis dans un angle de la pièce, les deux mains grossièrement bandées. Il avait franchement mauvaise mine.

« J’espère que vous ne l’avez pas trop esquinté, ce serait trop con d’avoir fait toute cette route pour rien. Abou le veut vivant.

— Dans l’état où il est, il ne risque pas de te violer pendant le retour, mais je crois que la tête fonctionne encore. »

Igor regarda l’amazone d’un regard neutre. Il avait tout de suite perçu cette femme comme étant son égale, du moins sur le plan professionnel. Il en avait côtoyé quelques unes dans les centres de formation soviétiques. Il était un soldat, elle aussi. À une autre époque, ils auraient pu se retrouver dans le même camp.

« Donnez-lui à boire et à manger et préparez le camion pour le retour. Je n’ai pas prévu de m’éterniser ici. »

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