Découverte

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Vieille-Toulouse

Selima et Meriem avaient soigneusement peaufiné leur scénario. La veille, après avoir passé la matinée au salon de coiffure et chez l’esthéticienne, elles avaient fait l’achat de tenues leur donnant l’allure de jeunes femmes de la bonne société de l’Europe méditerranéenne. Elles auraient ainsi toutes deux pu se présenter comme Italiennes ou Espagnoles sans que cela ne pose question. Par téléphone, elles avaient pris rendez-vous avec la négociatrice d’une agence immobilière haut de gamme de la rue Ozenne pour visiter des propriétés d’exception dans le secteur de Vieille-Toulouse et de Pechbusque. Elles avaient décliné l’offre qui leur avait été faite du co-voiturage depuis le centre ville, préférant se rendre elles-mêmes dans le secteur en voiture, pour pouvoir apprécier l’ambiance générale des communes. Elle avaient donc rendez-vous au cœur du vieux village, à proximité de la mairie. Avec l’aide de Kamel, elles avaient préparé une petite couverture devant servir à justifier leur démarche, se prétendant mandatées par un homme d’affaires libanais, cherchant une nouvelle résidence pour lui-même et sa famille, à proximité de Toulouse.

Quelques minutes après onze heures, Selima parqua sa Mini Countryman à coté d'une Toyota CH-R verte. Une femme d’une cinquantaine d’années en tailleur chic en descendit et les accueillit.

« Bonjour, je suis Sylvie Malcousinat. Nous nous sommes parlées au téléphone hier. J’ai sélectionné trois propriétés qui pourraient répondre à votre recherche. Deux sont sur la commune de Vieille-Toulouse, je vous propose que l’on commence par celles-ci. La troisième est sur la commune voisine de Pechbusque.

— C’est parfait répondit Selima, avec un léger accent levantin qu’elle ne chercha pas à déguiser.

— Si vous le voulez, nous pouvons prendre ma voiture, j’en profiterai pour vous faire découvrir les différents centres d’intérêt de la commune. Vous avez des enfants à scolariser ?

— Personnellement, non, répondit Selima, mais la personne que nous représentons a deux jeunes garçons de sept et onze ans.

— Très bien, je vous montrerai où se situe l’école élémentaire. Pour le collège, le plus proche est dans le quartier de Pouvourville, à Toulouse. Il y a un bus qui y amène les élèves.

— Ce ne sera pas nécessaire, le chauffeur les y conduira, affirma Meriem.

— Il y a également de nombreuses installations sportives avec entre autres un golf particulièrement réputé.

— C’est une des raisons pour lesquelles notre mandant a choisi ce secteur, confirma Selima.

— Alors, allons-y ! proposa Sylvie Malcousinat. »

Une heure plus tard, les trois femmes terminaient la visite de la deuxième villa sur le flanc de la colline. Selima interrogea la négociatrice.

« Notre employeur est en relation avec Monsieur Alexander Leonorov, c'est bien par ici qu'il habite ?

— En effet, la propriété de Monsieur Leonorov est bien connue par ici, elle occupe toute une parcelle sur le versant opposé. Vous voyez la grande construction en verre et en béton là-bas ? C’est celle-là. Monsieur Leonorov a acheté tout le terrain qui descend jusqu’à la route en contre-bas, pour être certain que personne ne viendra masquer la vue sur le fleuve et sur les Pyrénées. »

Selima et Meriem s’imprégnèrent de la disposition générale de la propriété, prenant même quelques photos, prétextant le souhait de présenter le panorama à leur employeur. Par politesse, et pour préserver la crédibilité de leur démarche, elles acceptèrent de visiter la troisième maison à Pechbusque. À midi et demi, leur guide les raccompagna jusqu’à leur véhicule. Selima promit de la tenir au courant très rapidement de leurs conclusions. Lorsque la voiture verte se fut éloignée, les deux jeunes femmes reprirent la Mini avec l’intention d’affiner leur repérage. Selima avait un excellent sens de l’orientation, éduqué par ses nombreux entrainements militaires dans le désert libyen. Elle n’eut aucun mal à retrouver les voies passant aux limites de la propriété du Russe. Depuis la route serpentant le long de la Garonne, elle trouva un emplacement offrant un bon point de vue sur la construction et Meriem prit de nouvelles photos, puis elle remonta vers le centre du village afin de trouver le chemin menant à l’entrée du domaine. Avant même d’atteindre le portail, leur voiture fut interceptée par un homme qui leur fit signe de s’arrêter, leur demandant le motif de leur visite. Selima récita une réponse préparée d’avance avec un sourire ravageur et fit faire demi-tour à son véhicule avant de s’éloigner.

« Leonorov semble bien protégé. On ne peut pas arriver à l’improviste et sonner à la porte, fit remarquer Meriem.

— En effet, je ne sais pas ce que Kamel a en tête, mais ce ne sera pas facile d’approcher cette villa. Je crois que nous en avons assez vu. Ça te dirait d’aller déjeuner en ville, entre copines ? On mettra ça sur notre note de frais !

— Avec plaisir, ça me changera des gargotes du MIN. »

Selima et Meriem laissèrent la Mini au parking Victor Hugo et se dirigèrent vers un bar à tapas de la rue du Rempart Villeneuve. En les voyant entrer, le serveur s’empressa de leur trouver une table agréable et ne tarda pas à venir prendre leur commande.

« Tu permets que je te pose une question, demanda Meriem ?

— Bien sûr, répondit Selima.

— Quand tu es arrivée à Toulouse, tu conduisais des camions d’oranges. Comment fais-tu pour être si naturelle en jeune bourgeoise ?

— Je préférerais que tu ne répètes pas ce que je vais te dire.

— Tu peux me faire confiance !

— Et bien, s’il est vrai que j’ai quitté la Libye au moment de la chute du régime de Kadhafi, je n’étais en réalité pas étudiante, enfin comme on l'entend habituellement. J’ai suivi une formation militaire, à mi-chemin entre les commandos et les services secrets. On nous a appris à nous battre, mais aussi des langues étrangères et des techniques nous permettant de nous adapter et de nous fondre dans les pays que nous visitions.

— Tu ne regrettes pas cette époque ?

— Oui et non. Bien sûr, pour moi qui n'avais pas vingt ans, c’était l’aventure et la reconnaissance de l’appartenance à une élite, mais il y avait énormément d’exigences. Nous devions également répondre aux attentes des dignitaires du pays, y compris le Colonel, si tu vois ce que je veux dire. De toute façon, si j’étais restée dans le pays, c’était au mieux le bordel et au pire la mort, ou l’inverse après tout. Des femmes comme nous n’avaient plus de place dans la société musulmane. »

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