Café russe

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Toulouse, Quartier du Capitole

Juliette gara la voiture de service sur le quai, à proximité de la place Saint Pierre. Suivant en celà les mauvaises pratiques de son chef, elle abaissa le pare-soleil pour rendre l’inscription Police clairement lisible. Les deux femmes remontèrent la rue Pargaminières en direction du Capitole. Elles marchèrent quelques dizaines de mètres jusqu’à une maison sans caractère. Au rez-de-chaussée, un ancien garage avait été transformé pour créer une petite vitrine. De nombreuses affichettes proposaient des cours de russe, des conférences et des animations en français et en russe. Clem poussa la porte. À l’intérieur, un petit rayon proposait des ouvrages en langue russe et en français. Elle évalua quelques titres. La plupart étaient consacrés à l’histoire de la Russie, à la littérature ou à la culture du pays. Quelques ouvrages hostiles au pouvoir en place trouvaient également leur place dans un angle de la pièce.

« Cette boutique n’est clairement pas un relais d’influence du gouvernement actuel, murmura Juliette. »

Au fond de l'échoppe, une porte donnait sur un patio où quelques tables étaient installées. Malgré la température encore fraiche, plusieurs personnes y étaient installées.

« Quand on connait l’hiver russe, je suppose que le climat de Toulouse, c’est plutôt agréable, commenta Clem. »

Les clients étaient pour la plupart assez jeunes pour être encore étudiants, ils parlaient le russe en majorité, quelques uns l'anglais. Une jeune serveuse revenait vers la boutique avec un plateau vide à la main.

« Zdravstvuyte mogu ya vam pomoch' ?

— Excusez-nous, nous ne parlons pas encore le russe, répondit Juliette.

— Oui, bien sûr, reprit la jeune femme, je m’appelle Elena, comment est-ce que je peux aider ?

— Et bien, en nous servant un café, pour commencer. On peut s’installer dehors ?

— Allez-y ! où vous voulez. Je vous apporte les cafés tout de suite. Des cafés russes ?

— Euh… oui, bredouilla Juliette surprise.

— Tu sais ce que c’est le café russe ? demanda Clem.

— Non, aucune idée, nous allons bien voir. »

Les deux femmes s’installèrent à une table libre. La cour était petite, mais les hauts murs des constructions voisines l’isolaient de la rumeur du centre-ville. Le murmure des conversations dans cette langue incompréhensible achevait de créer une atmosphère particulière, un peu irréelle. Elena apporta les boissons, deux grandes tasses en verre, munies d’anses métalliques remplies d’une boisson fumante. Juliette huma les vapeurs qui montaient du breuvage.

« Vodka, bien sûr !

— Vous ne connaissez pas le café russe, demanda un jeune homme qui se rapprochait de leur table, sa propre tasse à la main. Permettez-moi de me présenter, je m’appelle Vladimir Semonov, je suis l’un des administrateurs de cet endroit. Pour la recette, c’est un peu comme l’Irish Coffee, mais avec de la vodka à la place du whisky. Dites-moi plutôt ce qui vous a mené jusqu’ici, je ne crois pas vous avoir jamais vues chez nous.

— En effet, répondit Clem, nous nous intéressons à la communauté russe à Toulouse et nous avons pensé que votre café pouvait être un point de départ.

— Vous n’êtes pas étudiantes, je présume. Journalistes ?

— En fait, nous aimerions comprendre qui sont les Russes qui ont choisi de vivre ici, précisa Juliette.

— Vous savez, ici nous accueillons principalement des jeunes, qui fréquentent les universités de la ville. La plupart ont quitté leur pays depuis quelques années et n’ont pas l’intention d’y rentrer. Moi-même, je suis parti dès que j’ai eu dix-huit ans. J’ai vécu en Allemagne, en Angleterre et maintenant ici. La Russie d'aujourd’hui, c’est pire que du temps de l’Union Soviétique et avec la guerre, ça ne risque pas de s’arranger avant des années.

— Vous voulez dire que ces gens se considèrent comme des exilés ou des réfugiés ?

— Non, pas vraiment, la plupart ont choisi de venir vivre ici. Ce n’est pas comme pour les migrants africains ou du Moyen-Orient. C’est tout de même plus facile pour nous, même si cette histoire avec l’Ukraine nous cause un grand préjudice moral. Les Russes qui vivent ici ne soutiennent pas le régime, à part une petite poignée de propagandistes à la solde du pouvoir, et qui ne sont généralement même pas Russes eux-mêmes.

— Il y a aussi quelques hommes d’affaires qui ont basé leurs activités ici !

— De quelles affaires voulez-vous parler ? demanda Vladimir avec un rictus. La mafia ou les avions ? Remarquez, ce sont les mêmes. L’une se sert de l’autre pour se cacher, mais ce n’est qu’une maskirovka de plus.

— Vous connaissez Alexander Leonorov ?

— Pourquoi me demandez-vous ça ? Vous êtes de la police ?

— En effet, répondit Juliette, mais ne vous inquiétez pas, nous n’avons rien contre vous ni contre vos clients. Nous nous intéressons à quelques individus qui sont soupçonnés d’activités criminelles.

— Leonorov est l’exemple même des individus qui ont corrompu notre pays. Il s’est enrichi honteusement dans la foulée des privatisations de Boris Eltsine, puis il a créé une nébuleuse d’activités illicites, mais soigneusement camouflées.

— Comment savez-vous cela ? demanda Clem.

— Nous avons des réseaux d’information en Russie et dans la diaspora. Ces hommes sont la honte de notre peuple. Ils pourrissent tout ce qu’ils touchent.

— Que savez-vous de ses activités à Toulouse ?

— Rien de précis, mais des étudiants nous rapportent que sur les campus, il y a de plus en plus de dealers venant d’Europe de l’Est, et nous avons remarqué que des prostituées venant de chez nous ont fait leur apparition autour de Matabiau.

— Comment savez-vous que c’est Leonorov qui est derrière ces trafics ?

— Nous sommes une petite communauté, les gens sont bavards. Leonorov fait des dons importants, en particulier à l’église orthodoxe, mais ses sbires ne sont pas très recommandables. »

Juliette sortit son téléphone et présenta une photo à Vladimir.

« Vous avez déjà vu cet homme ?

— Non, qui est-ce ?

— Igor Polounin, il travaille pour une société de sécurité qui appartient à Leonorov.

— Il a une tête d’ancien militaire.

— C'est juste, il a fait partie de l’armée russe et aussi de la milice Wagner.

— Un homme dangereux alors !

— Et celui-ci, excusez la qualité des photos !

— Je l’ai peut-être croisé, pas ici, mais dans le quartier, du côté des facs. Vous permettez que je le montre à quelques amis ?

— Allez-y, confirma Juliette. »

Vladimir interpella deux hommes jeunes assis à une table voisine. Il leur présenta la photo de Youri Mentov. Juliette entendit les trois hommes échanger quelques mots en russe et vit quelques hochements de tête.

« Anton l’a déjà vu. Il pense que c’est un gars qui deale de la drogue sur les campus, mais il a disparu depuis quelques jours.

— Il a été tué. Nous pensons qu’une guerre de gangs s’installe, entre les Russes et les Maghrébins.

— Vous voyez, c’est bien la preuve de ce que vous ai dit. Malheureusement, je ne peux pas vous aider d’avantage.

— Parlez autour de vous. Si des informations vous remontent, n’hésitez pas à nous en faire part.

— Je n’y manquerai pas. Nous n’avons pas besoin de ce genre de publicité. »

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