Route de nuit

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Entre Alicante et Saissac

Le camion roulait sur l’autoroute depuis plus de deux heures. Selima s’adressa à Samir qui somnolait à sa droite.

« Tu peux me servir une tasse de café, la route est encore longue.

— Je peux conduire si tu veux.

— Non, je te remercie, plus tard peut-être, j’ai juste envie d’un café. »

Radouane avait insisté pour que la jeune femme ne reparte pas seule. Elle avait d’abord protesté, mais avait fini par accepter l’aide proposée. Même blessé, le Russe restait un adversaire à ne pas sous-estimer et il faudrait bien à un moment ou un autre le sortir du camion pour qu’il se dégourdisse un peu les jambes.

Pour le moment, Igor était enfermé dans une caisse, à l’arrière du véhicule. Il n’avait pas cherché à résister lorsque Samir et Radouane lui avaient donné l’ordre de s’y glisser, conscient que cela ne pourrait que provoquer de nouvelles blessures. Il ne se faisait guère d’illusions sur son sort, mais voulait malgré tout préserver les maigres chances qui lui restaient.

« Où est-ce qu’on va exactement, demanda Samir ?

— Aboubaker a une vieille ferme dans la montagne, pas très loin de Toulouse. C’est là qu’on l’emmène.

— Avec ce camion, ce n’est pas très discret.

— Tu as raison, on a un rendez-vous sur une aire d’autoroute près de Carcassonne, on va changer de véhicule.

— C’est plus prudent. Au fait, je rentre comment à Alicante ?

— Tu resteras avec le camion, le chauffeur te conduira à Toulouse. Abou te prêtera une voiture ou bien tu pourras prendre le train !

— Je préfère conduire.

— Pas de problème. »


Selima quitta l’autoroute peu après Tarragone et se mit en quête d’un endroit isolé pour faire une pause. À deux heures du matin, il n’y avait plus de circulation et elle n’avait pas prévu de s’arrêter plus de quelques minutes. Elle trouva une zone favorable et stoppa le Volvo. Samir sortit une arme pendant que la Libyenne ouvrait la geôle du spetsnaz.

« Sors de là, c’est le moment de déplier les jambes ! Pas d’embrouilles où Samir te colle une balle dans le genou.

— C’est bon, j’ai compris, grogna l’homme en montrant ses mains bandées, mais il va falloir m’aider.

— Samir, passe moi le flingue et occupe-toi de lui !

— Les mecs, c’est pas trop mon truc, répondit l’interpellé surpris.

— Je te demande pas de le branler. Juste de baisser son froc !

— Ok, j’y vais ! grommela Samir. »

Cinq minutes plus tard, le Russe était assis à l’arrière du camion, Selima avait trouvé des cigarettes et lui en avait allumé une. Elle lui avait aussi offert un peu de café.

« C’est bon maintenant, tu remontes dans la caisse, il reste de la route ! »


Il était presque huit heures, le matin, lorsque le véhicule arriva à la hauteur de Perpignan. Après avoir consulté le GPS, Selima appela Abou.

« J’ai le colis, je viens de passer Perpignan. Je serai à la hauteur de Carcassonne dans à peu près deux heures.

— Je t’envoie Meriem avec une voiture. Elle vous conduira à la ferme.

— Tu crois que c’est suffisant ?

— Tu n’auras qu’à surveiller le transfert du camion jusqu’à la malle de la voiture. À l’arrivée, il y aura quelqu’un pour t’aider.

— On se retrouve où exactement ?

— Meriem t’enverra les coordonnées lorsqu’elle sera sur place.

— J’ai Samir, un homme de Radouane avec moi. Il faudra lui trouver un moyen de retour jusqu’à Alicante.

— Garde-le avec toi pour la journée, si ça peut te rassurer.

— Non, non, c’est bon. Je pourrai gérer, admit l’amazone.

— Alors, c’est parti, rappelle-moi quand vous serez à la ferme. »


C’est peu après avoir passé la sortie vers Lézignan que Selima reçut le message de Meriem. Elle demanda à Samir de programmer le GPS vers l’adresse indiquée. Un peu après dix heures, elle gara le poids lourd à proximité d’une station-service désaffectée. Une Peugeot 508 noire était garée un peu en retrait de la route. Elle prit soin de manœuvrer afin de masquer l’activité à l’arrière du véhicule. Le transfert du passager ne prit que quelques minutes et le Russe se retrouva dans le coffre de la Peugeot sans avoir droit à une nouvelle cigarette.

Un homme que Selima connaissait de vue se mit au volant du camion tandis que Samir montait à côté de lui. Les deux femmes laissèrent le Volvo s’éloigner vers Toulouse avant de prendre place dans la berline.

« Où va-t-on ? demanda Selima.

— Dans la Montagne Noire, près de Saissac. Tu connais ?

— Non, pas du tout. C’est dans les Pyrénées ?

— Tout à l’opposé, les Pyrénées sont au sud et nous on file au nord. On n’en a pas pour longtemps. Si tu as faim ou soif, il y a un sac sur la banquette arrière. N’hésites pas à te servir.

— Merci, mais j’ai surtout envie d’une douche et de vêtements propres.

— On va trouver ça la-haut !

— J’ai récupéré l’ordinateur du Russe, il faudrait regarder ce qu’il y a à l’intérieur, mais il est protégé par un mot de passe et une clé biométrique.

— On verra ce qu’on peut faire quand on sera installées à la ferme. »


Selima se laissa conduire en somnolant sur le siège passager. C’est l’arrêt de la voiture qui la tira de sa torpeur.

« Voilà, nous y sommes ! annonça Meriem. »

Selima regarda autour d’elle. L’endroit était complètement isolé, situé au bout d’un long chemin empierré. Le bâtiment principal était construit en pierres, grossièrement assemblées, la construction était basse, les pignons recouverts de lauzes de schiste. Sur le côté, un hangar ouvert abritait encore de vieilles machines agricoles et un tracteur hors d’âge. Une autre construction, plus petite, devait servir d’entrepôt.

Comme les deux femmes descendaient de voiture, un vieil homme sortit de la maison et se dirigea vers elles.

« Bienvenue, je m’appelle Mounir, je suis le gardien de cette endroit. Fatima, ma femme vous attend à l’intérieur.

— On a un passager dans le coffre, précisa Selima.

— Je sais, je sais, Abou m’a annoncé votre visite. Il peut bien rester encore un peu là, il ne va pas s’enfuir. Venez d’abord boire un peu de thé. »

Les jeunes femmes suivirent leur hôte jusqu’à la maison. Elles pénétrèrent dans une grande pièce basse et sombre. La cuisine était aménagée dans un angle, à proximité d’une grande cheminée de pierres noircies par le temps. Une femme chenue s’y affairait et vint poser une théière fumante sur la grande table de bois. Elle s’éloigna et quitta la pièce sans prononcer une parole. Après avoir servi trois verres, l’homme reprit la parole.

« Abou va venir nous rejoindre plus tard. D’ici là, on va installer votre client dans la remise à côté. Il n’y a qu’une seule issue et la porte est solide.

— Il faut qu’on essaie de démarrer l’ordinateur du Russe, annonça Meriem.

— Pas de problème, j’ai un petit bureau à côté, vous pouvez vous y installer. La connexion n’est pas formidable, mais on a quand même accès à Internet.

— Comment vas-tu résoudre le problème du mot de passe ? demanda Selima.

— On va aller lui demander, de toute façon il nous faut ses doigts, précisa Meriem.

— Vous voulez que je lui coupe la main ? demanda Mounir.

— Non, je ne crois pas que ce soit nécessaire, répondit Selima.

— Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à m’appeler, j’ai tout ce qu’il faut ici. »

Igor parcourut du regard les murs du local, de grosses pierres sur tous les côtés, à l’exception de la porte de bois massif, munie d’une robuste serrure. Il comprit rapidement qu'il n'avait aucune chance de s'évader. Il se résigna à attendre la suite des évenements. Il ne s'écoula que peu de temps avant que la porte s'ouvre sur les deux femmes et le vieil arabe. Selima entreprit d’ôter les bandages grossiers posés par les Espagnols après avoir pris soin de lier les poignets à l’aide de colliers de rilsan.

« Aussi efficace que des menottes, précisa Selima, et en vente libre dans toutes les boutiques de bricolage. »

Pendant ce temps, Meriem avait lancé l’ordinateur.

« On va tout de suite essayer les doigts, c’est peut-être suffisant. »

Le Russe grimaça de douleur lorsque la jeune femme étira son index pour le passer sur le lecteur. La machine émit un bip et l’écran s’anima. Une phrase d’accueil s’afficha en cyrillique.

« Merde, j’aurais du m’en douter, tout est en russe ! s’exclama Meriem.

— Je l’ai appris à l’école, en Libye, nos pays étaient très proche à cette époque. Si ce n’est pas trop littéraire, je devrais me débrouiller.

— Bon courage ! »

Mounir regardait les deux femmes s’affairer sur la machine tandis que l’homme entravé lui tendait ses mains blessées.

« Vous pouvez aller faire ce qu’il faut à l’intérieur, dit-il aux deux femmes. Demandez à Fatima de me rejoindre avec la trousse à pharmacie. »

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