Chapitre 2 : L'île de la destinée (première partie)

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Cela fait maintenant trois saisons que le jeune Owen a survécu à l'épreuve décisive. Il n'a pu parler de ce qui s'y est passé avec sa Maîtresse. Seul, peut-être, le Grand Maître pourrait répondre à ses questions. Il se peut aussi que le jeune homme choisisse de ne pas les poser ou que le Grand Maître décide de ne pas y répondre. Il est déjà certain d'une chose : il n'oubliera pas ce qui y est arrivé. Depuis ce jour, il perçoit aussi le monde qui l'entoure d'une manière différente. Il avait été préparé à cette perception nouvelle grâce aux longues années d'études et de formation inculquées par sa Maîtresse.

Allongé sur la couche, ses yeux ouverts fixent le plafond de la petite chambre. C'est la dernière fois qu'il dort ici, en tant que disciple. Dans quelques heures débutera la dernière épreuve, celle qui le fera à son tour Gardien des Origines. De cette épreuve, Adena n'a pu lui dire grand-chose. Ou plutôt, elle lui en a parlé comme elle lui a toujours parlé depuis qu'il lui a été confié. Il n'a pas été surpris de sa réponse. Cela fait longtemps qu'Adena ne le surprend plus dans ses réponses.

C'est aussi la seule épreuve dans laquelle elle ne l'accompagnera pas. Hier soir, ils ont échangé tous deux, plus ouvertement qu'elle ne l'avait fait jusqu'alors. Il sait qu'il aura l'occasion de la revoir, mais leurs relations seront désormais différentes. Elles seront d'égal à égale, et non plus de disciple à maîtresse.

A quelques heures de ce moment si important pour toute sa vie, il revoit ce jour où, alors qu'il était encore tout petit, était arrivé au village un homme, grand, vêtu comme le sont tous ceux qui font partie de l'Ordre. Un silence étrange avait couru entre les ruelles, jusqu'aux plus profondes caves et dans les moindres recoins. Les villageois s'étaient tous rassemblés, même les infirmes et les malades. Le chef avait été le premier à saluer le grand Gardien. Celui-ci l'avait salué encore plus respectueusement :

- Bienvenue à vous, Maître Ogav, c'est un grand honneur pour nous de vous recevoir.

- Bien à vous, Sage Kigour. C'est un grand honneur pour moi de venir jusqu'à vous. Notre Grand Maître, Sage parmi les Sages, m'a envoyé jusqu'à vous. Il a perçu un écho parmi les vôtres.

Owen se souvient très bien du regard étonné de Kigour. Il n'avait à l'époque que trois ans. Il était appuyé contre les jambes de sa mère, elle avait posé ses mains sur ses épaules. Le cavalier s'était retourné et s'était avancé jusqu'à eux, puis il s'était agenouillé devant lui. Leurs regards s'étaient croisés. Les yeux d'Ogav étaient d'un bleu perçant et il avait eu le sentiment qu'à travers ce regard, le Gardien voyait tout de lui. Il l'avait ainsi fixé pendant un long moment, Owen est incapable de dire combien de temps cela avait duré. Puis il s'était relevé, s'était retourné vers Kigour et avait alors prononcé des mots qui avaient résonné sur les murs du village, comme le silence peu auparavant s'était propagé.

- Cet enfant est un Appelé. Il doit venir avec moi auprès du Grand Maître.

Un Appelé ! Il était un Appelé ! Il ne comprenait pas ce que cela voulait dire, ce que cela impliquait, mais il se souvient parfaitement de la pression des mains de sa mère sur ses épaules. Il revoit aussi le regard, fier, heureux, de Kigour. Il entend encore les murmures des siens.

Ils étaient partis quelques heures plus tard, lui assis devant Ogav, se tenant à la crinière du beau cheval qu'il montait. Il avait quitté son village, les siens, pour une longue traversée de la contrée. Jusqu'à cet endroit, au cœur de la Grande Forêt, où se trouvait le Conseil des Gardiens. C'était là qu'il avait suivi une grande partie de sa formation. A y repenser, celle-ci avait commencé durant le voyage avec Ogav, mais il n'en avait pris conscience que plusieurs années après. Il pensait que le Gardien serait son Maître, mais à peine étaient-ils arrivés qu'ils avaient été reçus par le Grand Maître et que celui-ci l'avait confié à Adena. Et hier était la dernière journée où il était son disciple. Il était nécessaire que chaque jeune appelé(e) soit confié(e) très tôt à un Maître ou une Maîtresse, afin de suivre une formation adaptée à ses capacités, ses "pouvoirs". Il pouvait être dangereux, pour lui ou elle comme pour son entourage, qu'il ou elle restât en dehors du Conseil des Gardiens.

Il n'a pas vraiment peur de ce qui est à venir, hormis la dernière épreuve, il est plutôt curieux et intrigué de ce qu'il aura désormais à faire. Des missions diplomatiques, pour le compte du Grand Maître ou à la demande des différents peuples de leur monde. Il pourra être amené à soigner, à apporter paix et sagesse. Il sera aussi en perpétuelle écoute avec les éléments, liens entre ce monde, vivant, palpable, et celui des forces de la nature : eau, terre, feu, air. Il a appris à maîtriser chacun, à sentir la vie entre tous. Aucun n'est dominant, tous sont partenaires, complémentaires pour assurer la cohésion du monde. Leur Ordre est exigeant, il demande l'oubli de soi, l'abnégation, l'altruisme. Il exige la générosité, l'ouverture d'esprit, il fait appel à l'intelligence et à la sagesse. Il apporte une connaissance inégalée et des savoirs qu'aucun autre être ne peut acquérir. Cavalier infatigable, combattant hors pair, guérisseur, il possède désormais toutes ces qualités, tous ces savoirs. Il lui reste à ouvrir son propre esprit au monde inconnu, fluctuant, des ombres. L'épreuve de la grotte l'y a préparé. Mais une chose le rassure : si Adena ne sera pas avec lui, le Grand Maître, lui, le sera.

Il tourne son visage vers la petite ouverture. Il aperçoit les étoiles à la clarté si pure et si douce. Il sourit légèrement. Il se souvient encore du jour où, après une longue chevauchée, à travers un paysage accidenté, lui et Adena étaient descendus dans une gorge profonde. Ils avaient remonté le lit d'une rivière assez large, jusqu'au soir. Puis ils s'étaient arrêtés sur la rive, à un endroit où s'était formée une petite plage. Jusque-là, ils avaient chevauché soit dans la rivière-même, soit sur des galets. Ils avaient fait un petit feu. Adena lui avait demandé s'il sentait l'esprit du feu, de l'eau, de l'air et de la terre. Il s'était plongé dans une grande réflexion, laissant partir ses propres perceptions sensorielles pour ne plus se concentrer que sur son ressenti profond, son essence vitale. Puis il avait redressé la tête et avait acquiescé. Adena n'avait rien dit, souriant simplement. Elle l'avait alors invité à manger un peu, puis lui avait dit :

- Owen, regarde autour de nous. Malgré l'obscurité, tu "vois" ce qui nous entoure. Décris-moi ce lieu.

- Face à nous, il y a une haute falaise de couleur rouge qui flamboie quand les rayons du soleil s'y posent. Par endroits s'accrochent quelques arbustes. Derrière nous, une autre falaise, de couleur noire. Par là coule la rivière au chant sourd et joyeux. Son lit est régulier, sauf vers notre gauche, où s'ouvre comme une trouée, comme si quelque chose avait écarté les pans des falaises, créant ainsi un petit cirque. Celui-ci se referme par une autre haute falaise d'où se jette une cascade jamais à sec, même par les temps les plus chauds.

- Bien, Owen. Nous sommes à l'un des endroits d'union des éléments. Tu vas avoir un choix à faire. Regarde le ciel et choisis ton étoile. Tu as le temps, ne te précipite pas. Choisis-la bien. Elle sera ton guide dans ce monde et dans l'autre quand tu t'y aventureras.

Il avait levé les yeux vers la voûte étoilée. Respirant lentement, il avait longuement regardé les dessins formés par les constellations. Il connaissait leurs noms depuis longtemps, il avait commencé à les apprendre avec Ogav. Adena lui avait appris ce qu'il en ignorait encore. Il sait que chacun des Gardiens des Origines possède sa propre étoile. Même les esprits de ceux qui ne sont plus restent attachés à la leur. Il en sera de même pour lui, jusqu'à la fin des temps. Il en avait choisie une, non loin d'un amas brillant, assez facile à repérer. Mais la sienne semblait comme en chemin vers un alignement d'autres étoiles. Adena avait souri quand il lui avait révélé son choix.

- Elle est très belle.

- Sa lumière est douce.

- Tu peux dormir, maintenant.

Par la fenêtre, il la cherche, la trouve aisément. "Où que je sois, elle est là."

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