Chapitre 4 (quatrième partie)

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- Que dites-vous, Majesté ? Mais c'est impensable !

- Je n'ai omis aucun détail, Seigneur Van'dal. Et Maître Owen peut confirmer mes dires...

Le jeune homme se tient debout dans l'antichambre d'Hilayna, où le Conseil de la reine est rassemblé, ainsi que Limur et Bosserin. Tous ont écouté avec attention le récit de leur souveraine.

- Cela s'est passé ainsi, dit-il simplement en croisant le regard de Kaïra.

- Que devons-nous faire ? s'interroge Lorrek. Partir dès aujourd'hui ? Nous ne pouvons pas faire comme si de rien n'était ! Comment rester en ces murs en toute confiance ?

- Cela semble difficile, en effet, dit Olaf qui, tout le long du récit, a réfléchi aux mesures à prendre.

Il était déjà plus ou moins au courant de ce qui s'était produit, car, dès son réveil, Owen l'en avait informé. Owen avait vu le front d'Olaf se plisser avec inquiétude. La traversée de Salarin s'annonçait beaucoup plus compliquée qu'il ne l'avait imaginé...

- Maître Bosserin, pensez-vous qu'il soit possible de faire les approvisionnements et pouvoir repartir en début d'après-midi ?

- C'est possible, en effet. Nous avons de quoi traverser Salarin sans avoir besoin de puiser dans les provisions proposées par le prince. Hormis l'eau, bien entendu, mais nous trouverons des sources en route.

- Bien, alors, vous allez préparer notre départ. Nous, nous allons en informer le prince. Majesté, je préconise que vous restiez dans votre chambre, jusqu'à ce que nous soyons prêts à partir. Compte tenu de ce qui s'est passé, il vaut mieux éviter que vous ne vous retrouviez en présence du prince Bramé.

- Merci, Maître Olaf, je n'en ai guère envie de toute façon.

- Bien, Owen, tu resteras en veille ici avec Limur. Dame Hilayna, acceptez-vous de nous accompagner ?

Le visage sévère s'éclaire d'un mince sourire.

- Volontiers, Maître Olaf. J'ai un petit compte à régler avec ce prince... Mais je vous rassure, je ne mettrai pas en danger la suite de notre voyage et notre reine... Je vais simplement lui faire comprendre que je n'apprécie guère que l'on se charge de mon sommeil !

Olaf et Hilayna, accompagnés de Van'dal et de Lorrek, quittent alors la chambre et se rendent auprès du prince. Pendant ce temps, Limur donne des ordres à un de ses archers qui accompagne Bosserin pour préparer le départ. Durant quelques minutes, Owen reste seul avec Kaïra et ses suivantes. A peine la porte s'est-elle refermée que Naïna se permet d'imiter Hilayna, déclenchant ainsi l'hilarité parmi les cinq jeunes filles. Cela surprend Owen qui les regarde tour à tour avec étonnement. Elles ont l'air d'un petit groupe d'amies riant et s'amusant d'un rien, et non de l'entourage d'une altesse royale et de celle-là même.

- Maître Owen, sourit Kaïra, ne soyez pas surpris... Il arrive que Naïna nous fasse rire ainsi... Dame Hilayna a beaucoup de qualités, mais il est aussi de temps en temps plaisant de rire un peu à ses dépens...

- Je comprends, sourit-il, heureux de se sentir complice de cet instant de détente.

- Bien, reprend Kaïra. Il va nous falloir être un peu sérieuses cependant. Nous allons nous préparer à partir nous aussi.

**

Deux heures plus tard, c'est un homme en colère qui assiste au départ de tout le convoi des gens de Rankir, depuis la fenêtre des appartements royaux du palais de Ménaru. Alors que la file de chariots et de cavaliers s'étire dans la plaine, en direction du nord-est, il serre les poings, puis se retourne avec rage.

- Il faut trouver le moyen de la faire plier ! Galiané ne doit pas l'emporter ! Delork !

- Oui, votre Altesse ?

- Nous devons organiser un piège... une fausse attaque par des brigands... Vous avez des hommes pour cela, n'est-ce pas ?

- A condition de bien les payer, oui.

- Parfait. Débrouillez-vous pour qu'ils interviennent dans quelques jours. Il leur faudra plus d'une semaine pour atteindre nos frontières. Il faut endormir leur méfiance. Les Gardiens seront attentifs, les premiers jours. Rien ne doit leur arriver tant qu'ils ne se seront pas suffisamment éloignés de Ménaru.

- La traversée de la région de Solesi se prête particulièrement à ce genre d'aventure..., suggère le roué Delork.

- En effet... La forêt regorge de pièges, le défilé...

- Nous ferons intervenir nos troupes... pour les aider...

- Si vous pouviez en laisser quelques-uns pour morts au passage...

- Les deux Gardiens seront de redoutables adversaires, votre Altesse.

- Ils ne sont pas invincibles. Vous mettrez vos meilleurs hommes contre eux, et en particulier, contre ce jeune Owen... Il est trop fidèle à son devoir... C'est un homme dangereux pour nous.

**

C'est avec un profond soulagement que le convoi s'éloigne des murs de Ménaru. Même si les hommes de troupes n'ont pas été informés des détails des mésaventures de la reine et de son entourage, les rumeurs vont bon train au sein du convoi. Mais chacun se garde bien de parler à proximité des oreilles des chefs, de la reine, ou pire encore, de Dame Hilayna. La jeune souveraine a quitté la ville à bord de son lit à porteurs, pour être à l'abri des regards du prince et de ses gens. Elle n'avait de toute façon aucune envie de parader, mais si elle l'avait pu, elle aurait aimé galoper à vive allure, loin en avant du convoi pour mettre le plus rapidement possible une grande distance entre elle et Bramé.

Elle somnole un moment, bercée par le rythme lent de son escorte. Elle est réveillée par un rayon de lumière qui filtre à travers le rideau de son lit qui s'est légèrement ouvert au fil de la marche. Sans bouger, elle reste étendue, calme, profitant de ces moments de solitude et de tranquillité, comme elle sait si bien le faire. Elle fixe le petit morceau de ciel, un peu rêveuse. Puis elle se redresse légèrement et elle distingue alors la haute silhouette d'Owen, chevauchant non loin d'elle, le regard aux aguets, l'esprit tendu vers elle ne sait quelles ondes ou prémonitions. Son regard s'attarde sur ses mains qui tiennent fermement les rênes de sa monture, sans paraître pour autant tendues. D'ailleurs, de toute sa personne, il émane un calme trompeur. Elle revoit ces mains, tenant l'épée face à Bramé, alors qu'Owen s'apprêtait à combattre si nécessaire. "Que serait-il arrivé si le prince avait engagé le combat ? Owen aurait été capable de le tuer, j'en suis certaine ! Je pense qu'il l'aurait seulement désarmé, du moins, il s'y serait efforcé, mais... un combat est un combat ! Et qui sait en quel sens il peut tourner..."

Son regard se porte ensuite sur le visage du jeune homme. Elle le distingue de profil seulement. Ses cheveux courts et châtain, dans lesquels la lumière réveille parfois un éclat roux et doré, sa mâchoire un peu allongée, son nez bien dessiné et ses yeux toujours en éveil, attentifs, volontaires aussi. Elle remarque un petit pli soucieux, au-dessus de son sourcil gauche. "Il est bien différent de Maître Olaf. Et même de tous les hommes que j'ai pu croiser, au palais, ou parmi nos visiteurs. Il est courageux, mais je sais que Maître Olaf, Limur et d'autres le sont tout autant. Non, il est plus que cela, je crois..."

Elle baisse les yeux un instant, saisie par une émotion étrange et inconnue. Elle sent son cœur battre un peu plus rapidement et, très vite, elle ressent l'envie de le regarder à nouveau. Comme à son réveil, quand elle a profité du calme que lui offre son lit clos pour se reposer encore un peu, elle profite aussi de cette intimité permise par l'épais rideau pour regarder le jeune homme sans crainte d'être vue. Ni par lui, ni par quiconque dans le convoi. Pas même un des archers présents au-dessus de son lit, et encore moins par Hilayna dont la perspicacité et la vivacité ne manqueraient pas de remarquer son intérêt naissant pour le Gardien.

"Il est... si fier et droit, juste et fort." Elle déglutit, porte une de ses mains vers son visage pour faire glisser une courte mèche de ses cheveux derrière son oreille. "Et puis, il est si beau..."

Un frisson la parcourt alors qu'elle se fait cet aveu. Sans savoir encore que cette émotion va bouleverser sa vie entière.

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