Chapitre 13 (troisième partie)

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C'est à peu près au moment où Limur se rend au Conseil des Gardiens que se termine la convalescence d'Owen. C'est encore le plein hiver en Lessar et le jeune homme a bien du mal à accepter l'idée d'y demeurer de longues semaines. Si sa bonne constitution l'a sauvé et si sa connaissance des herbes a permis qu'il se remette finalement assez vite, il a néanmoins perdu de sa musculature. Il profite de l'hiver pour passer quelques heures, plusieurs fois par semaine, avec le maître d'armes du roi et, parfois, le roi lui-même. Reprendre le maniement de l'épée lui fait du bien, il retrouve aisément sa souplesse, ses réflexes.

Il passe aussi chaque jour à l'écurie royale, pour voir Ingir. L'animal est un des mieux traités de tous. A chacune de ses sorties, il reçoit des sourires, des remerciements. Pour les gens de Lessar, il est celui qui a éloigné un grand danger, une menace effrayante. Les Gardiens des Origines bénéficiaient en ce royaume d'une certaine renommée, voire d'une influence, même si elle est moins marquée qu'en Rankir, or le combat d'Owen les place désormais sur un véritable piédestal. Leur aura en est puissamment renforcée et le jeune Gardien peut déjà deviner qu'une légende va désormais les entourer.

Chaque matin, sa première pensée est pour Kaïra. Chaque soir, la dernière de même. Hasard ou pas, sa chambre est orientée vers le sud. Quand il se place à la fenêtre, il peut voir en direction de Rankir, même si le royaume est très éloigné. "Des semaines de chevauchée", songe-t-il souvent. Il sait cependant que lorsqu'il pourra repartir, ce sera pour se rendre au Conseil des Gardiens. C'est là qu'il sera attendu par le Grand Maître.

Par la magie des disques, il espère l'avoir informé de la réussite de sa mission. Bien entendu, il n'a pu révéler en détails ce qu'il a affronté. Juste envoyer un message positif. Il espère aussi secrètement que Kaïra a bien regagné Rankir et qu'il ne lui est rien arrivé de fâcheux. Mais il ignore tout, en cette contrée lointaine, de ce qui se trame en Salarin.

Quand enfin l'hiver desserre son étau, la reine Eléanor le fait venir auprès d'elle.

**

- Maître Owen, je vous remercie d'avoir accepté de vous entretenir un moment avec moi. J'ai appris que vous alliez bientôt nous quitter pour rejoindre le Conseil de l'Ordre.

- Majesté, c'est un honneur pour moi de répondre à votre invitation. Avez-vous un message pour le Grand Maître ?

- Le roi se charge de cela, dit-elle avec un léger sourire. Pour ma part, je voulais vous remercier une dernière fois de ce que vous aviez réussi. Vous avez sauvé notre peuple et nous vous en serons toujours reconnaissants. Vous êtes jeune, vous nous aviez dit que faire appel, seul, aux Esprits, pouvait se révéler dangereux, au mieux difficile. Et pourtant, vous avez pris ce risque, comme vous avez pris celui d'aller affronter seul le dragon. Vous êtes très courageux, Maître Owen.

- Nous sommes formés depuis notre plus jeune âge à affronter bien des périls, de toute nature, Majesté. Un autre Gardien aurait agi de même.

- Peut-être... Je vous crois, reprend-elle. J'ignore, pardonnez-moi, si ce que je souhaite faire est possible. Je veux dire, si cela n'est pas contraire à votre Ordre, mais je souhaitais vous offrir quelque chose, en remerciement.

- Je peux accepter un présent, Majesté, s'il est modeste. Mon devoir, mon rôle, est d'être au service de tous, grands et petits, riches et pauvres, seigneurs et paysans. De soigner et d'apporter des messages de paix, d'aider quand nos connaissances et nos forces peuvent être utiles. C'est ce que j'ai fait ici.

- Alors, je pense que vous pourrez accepter ce que j'ai pensé vous offrir.

La reine se lève du fauteuil où elle était assise et se dirige vers un petit guéridon où repose un coffre de bois, posé sur un fin tissu rouge. Elle l'ouvre et en sort un petit objet, enveloppé dans un voile transparent, le découvre et s'approche d'Owen.

- C'est une feuille de l'Arbre Eternel, dit-elle en la lui tendant. C'est ainsi, du moins, que l'on appelle l'arbre qui jamais ne défleurit, dont jamais les feuilles ne tombent d'elles-mêmes et qui pousse dans les jardins de mon père, dans le royaume d'Inlachry, là où je suis née, là où j'ai grandi. Lorsque j'ai quitté cette terre pour devenir reine, j'ai emporté quelques souvenirs. Et parmi eux, j'ai pris cette feuille de l'Arbre Eternel. Acceptez-la en souvenir de ce que vous avez accompli ici.

Owen regarde la petite feuille qui lui apparaît aussi fraîche que si elle avait été cueillie à l'instant. Elle est d''un beau vert tendre et de forme arrondie. Mais sa texture est épaisse et comme recouverte de givre.

- Je ne pense pas qu'elle ait un quelconque "pouvoir", poursuit la reine. A part celui de me rappeler ma terre d'enfance.

- C'est un souvenir précieux pour vous que vous m'accordez là, Majesté, dit Owen, plus ému qu'il ne peut se l'avouer. Ne vous manquera-t-elle pas ?

- Non, car je l'offre à un cœur noble et généreux, courageux et volontaire. Et j'en suis heureuse.

- Merci, dit-il en s'inclinant cérémonieusement devant la reine Eléanor pour prendre congé.

Il rangera précieusement la petite feuille au côté de son propre disque, dans le sac de cuir qui ne quitte pas sa ceinture. Sans savoir qu'il emporte ainsi avec lui un bien plus précieux que ne pouvait l'imaginer la reine Eléanor.

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