Chapitre 15 : Dame Hilayna (première partie)

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Dame Hilayna regarde Maîtresse Alana sans oser croire à ce qu'elle vient d'entendre. Les envoyés du Grand Maître sont arrivés le matin-même et, dès la fin du Conseil matinal, la reine les a fait venir auprès d'elle. Et elle se dit que Kaïra a bien fait de l'appeler, car elle n'est pas sûre qu'elle aurait cru quiconque lui aurait rapporté les propos de Maîtresse Alana. Son cœur, pourtant rarement émotif, bat fort. Cela ne se peut ! La paix en échange de la main de leur reine ! Leur reine mariée à ce rustre de Bramé ! Impossible ! Tout simplement impossible ! Elle ne laissera pas faire cela, elle se l'était déjà juré. Elle avait espéré, elle aussi, un peu de tranquillité à leur retour en Rankir. Le répit a été de courte durée.

Maîtresse Alana poursuit son exposé, rappelant les paroles du Grand Maître, décrivant avec précision la situation qu'ils ont constatée en Salarin. Mais Hilayna ne l'écoute déjà plus. Elle ne pense qu'à une chose : empêcher ce mariage. Elle sait que sa jeune souveraine rebute profondément à épouser l'un des deux princes de Salarin, et Bramé en particulier.

"Pourquoi le Grand Maître a-t-il envoyé Maîtresse Alana jusqu'à nous ? Pourquoi ne fait-il pas venir Maître Olaf ? Et Maître Owen ? Eux songeaient vraiment à la protection de notre souveraine ! Ils pensaient à elle avant tout ! Elle n'était pas une simple monnaie d'échange !"

Elle rumine toujours ses pensées, sans se rendre compte que Kaïra a pris la parole et que les Gardiens s'apprêtent à prendre congé.

- Un repas sera donné en votre honneur, ce soir, dans les jardins, dit la reine avec une certaine lenteur, presque de la raideur. Nous nous y reverrons. Je vous demande simplement de ne parler à quiconque de la situation. Nous avons connu des troubles, nous aussi. Nous avons envoyé une troupe à la frontière, pour protéger nos villages qui étaient attaqués par des brigands venus de Salarin. Je veux éviter que la peur ne s'installe parmi mon peuple.

- Soyez assurée de notre discrétion, Majesté, dit Maîtresse Alana en la saluant avec respect.

Ce n'est qu'une fois qu'ils ont quitté la pièce qu'Hilayna sort de son silence. Et c'est une véritable explosion qui surprend les quatre personnes présentes. Dame Hilayna, toute rigide et dure qu'elle est, se départit rarement de son calme autoritaire.

- Ce n'est pas possible ! Ce n'est tout simplement pas possible ! Majesté !

- Dame Hilayna, s'il vous plaît, commence Van'dal, calmez-vous...

- Messire Van'dal, comprenez-vous bien ce qui arrive ? On veut forcer la main de notre reine ! On veut l'obliger à un mariage qui la rebute ! Et pourquoi ? Pour acheter à tout prix la paix dans un royaume voisin ! Et cela déboucherait sur quoi, au-delà d'une véritable mésalliance ? A ce que nos propres peuples deviennent les vassaux des rois de Salarin ? Voilà ce qui est en jeu ! Véritablement en jeu !

Van'dal se tait. Il n'est pas loin de penser que Dame Hilayna a raison. En effet, en cas de mariage avec un royaume aussi étendu et puissant que Salarin, il n'y aurait plus alors deux royaumes, mais un seul et la reine pourrait perdre ses prérogatives.

Flonara bouge légèrement dans son bassin, fixe sa souveraine, le front marqué d'un pli soucieux. Kaïra se lève et dit :

- Nous ne prendrons aucune décision à la légère. Je veux déjà savoir ce qu'il en est à nos frontières, ce que nos troupes ont trouvé, avant d'agir. Vous avez raison, Dame Hilayna, ce mariage me rebute profondément, mais pour la paix entre nos royaumes, je devrai peut-être me résoudre à prendre époux. Nul ne pourra plus alors revendiquer ma main, ni mes terres. En attendant, et même s'ils ont été porteurs de nouvelles surprenantes, je vous demande de faire bonne figure devant les Gardiens des Origines ici présents. Nous les honorerons comme nous avons toujours honoré les représentants de leur Ordre. Le Grand Maître a certainement trouvé une situation complexe pour en venir à proposer une telle solution. Je ne peux lui en vouloir. Mais je resterai maîtresse de mes décisions et de mon destin. Je n'oublierai cependant pas que je suis responsable de trois peuples. Et si mon sacrifice personnel garantit la paix pour eux, alors je l'assumerai avec force et courage. Maintenant, allons. Je voudrais me reposer avant le repas de ce soir. Dame Hilayna, allons nous promener un peu dans les jardins, s'il vous plaît, cela nous fera du bien.

Cette dernière incline légèrement la tête en signe d'assentiment, alors que les trois conseillers prennent congé à leur tour. Peu après, Lorrek, Van'dal et Flonara les verront parcourir les allées, marchant tranquillement, mais ils percevront aussi, à la façon dont elle se tient et dont elle s'agite que Dame Hilayna est loin d'être calmée.

**

Le repas donné en l'honneur des Gardiens a été très agréable, malgré les nouvelles qu'ils ont apportées. Comme ils l'ont promis à la reine et à son Conseil, aucun mot ne filtre sur le contenu de leur mission. Mais, en portant à ses lèvres le verre d'accueil, Kaïra ne peut s'empêcher de repenser à un autre dîner donné moins d'un an plus tôt, en l'honneur de Maîtres Olaf et Owen.

Le verre à la main, elle reste un instant songeuse avant de boire, revoyant encore le regard qu'Owen avait posé sur elle ce soir-là. Mais ses invités l'attendent et elle chasse ce souvenir heureux pour porter la coupe à ses lèvres. Le repas peut alors commencer.

Elle n'a révélé à personne avoir fait usage du disque sacré pour appeler Owen. Elle se demande s'il arrivera à temps pour pouvoir faire quelque chose, et s'inquiète aussi de ce que le Grand Maître pensera de son initiative. En a-t-il eu connaissance ? Ou cet appel n'est-il connu que d'Owen ? Elle se rassure en se disant que cela doit être le cas, sinon le jeune homme le lui aurait précisé.

Maître Olek, qui est un des trois Gardiens envoyés par le Grand Maître, observe à plusieurs reprises la jeune souveraine. Malgré son visage fermé, son autorité, il perçoit son trouble intérieur.

"Ses pensées sont tournées vers ailleurs. Elle cherche du réconfort. Les nouvelles que nous apportons sont difficiles à entendre, j'en conviens. Mais ce n'est pas de gaieté de cœur que le Grand Maître a accepté cette solution. Si elle n'est pas bonne, elle est en tout cas la moins mauvaise que l'on puisse trouver."

C'est du moins ce que pense Olek, mais Dame Hilayna, elle, n'a pas dit son dernier mot. Et c'est lors du repas que lui vient justement à l'esprit une idée. Une idée si incroyable, si originale, que la hautaine gouvernante en reste immobile un moment en fixant la tranche de terrine de cerf aux cèpes qui lui a été servie, accompagnée d'une mousse blanche et délicatement onctueuse. Si cette idée est acceptée, elle se jure de ne plus jamais faire de reproches au chef cuisinier pour ses mariages étranges auxquels elle a toujours eu un peu de mal à s'habituer et qu'il propose lors des grandes réceptions.

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