Chapitre 16 (deuxième partie)

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Au petit matin, Owen prend congé de Brendaw et des siens, et suit le jeune Eloan à travers les petits chemins de la forêt. S'il parle avec le garçon, le trajet lui permet aussi de réfléchir. Toute la nuit, des questions lui ont tourné dans la tête. Qu'est-ce qui a poussé Kaïra à lancer cette épreuve ? A-t-elle subi d'autres pressions de la part de ses voisins ? Quelle est la situation en Salarin ? Y a-t-il nécessité pour elle et son royaume de prendre maintenant époux ? Pourquoi l'a-t-elle appelé ? En quoi peut-il l'aider ? Et surtout… l'aime-t-elle encore ?

En un peu plus de deux heures, ils parviennent à un autre village, plus important.

Eloan le précède et le présente aussitôt aux villageois, mais Owen a à peine le temps de les saluer qu'une petite voix aiguë et rieuse se fait entendre.

- Et bien, Maître Owen, si je m'attendais à te revoir par ici ! Tu as bien digéré ta dernière soupe de racines de gluconol ?

Etonné, Owen se tourne dans la direction d'où provient la petite voix et son visage s'éclaire d'un large sourire. Assis sur une branche, balançant nonchalamment ses jambes dans le vide, un Gronfall au sourire malicieux le regarde et le salue en soulevant son petit chapeau.

Puis il saute souplement à terre et s'avance vers lui.

- Siwu ! Je suis autant surpris de te voir ! Que fais-tu par ici ?

- J'ai été mandaté par nos seigneurs Wino et Daïna pour porter un message à travers les forêts, je dois encore me rendre chez quelques cousins. Mais j'étais chargé de diffuser ce message à tous ceux que je rencontrerais.

- Ainsi est-ce toi qui portes partout la nouvelle de cette épreuve du Blanc Cerf ?

- Tu en as connaissance ?

- Je l'ai apprise hier soir, dans le village nobol où j'étais hébergé, par le père d'Eloan qui m'a conduit jusqu'ici.

Siwu s'avance jusqu'aux pieds d'Owen et regarde Ingir :

- Alors, belle pouliche, tu supportes encore de porter ce balourd ? Tu n'en as pas assez de parcourir la plaine en tout sens ?

La jument baisse la tête vers le petit être et lance un hennissement que chacun autour traduit par un rire.

- Siwu ! Tu es bien toujours le même ! Je crois avoir plutôt perdu du poids, ces derniers temps...

Siwu le regarde en biais, tourne autour de lui, se prend le menton dans la paume.

- Hum... c'est possible. Mais enfin, il me semble que tu es toujours aussi costaud. Un petit séjour par chez moi ne te ferait pas de mal.

- Je n'ai aucune envie de retourner dans tes profondeurs, soupire Owen. J'ai à faire en surface.

Son regard sérieux alerte Siwu, mais celui-ci ne relève pas. Il sait déjà qu'il fera un bout de route avec le Gardien et qu'il aura alors tout loisir de parler avec lui. Mais, pour l'heure, les villageois les accueillent et leur proposent de prendre un repas avec eux. Au cours de celui-ci, Owen apprend que son ami s'apprêtait à se remettre en route et il se dit qu'il a bien fait de venir à sa rencontre.

**

Owen et Siwu quittent le village en début d'après-midi. Pour Siwu, voyager avec Owen n'est pas un souci. Quelle que soit la direction prise par son ami, ce sera la bonne pour lui. Il grimpe avec souplesse sur le pommeau de la selle d'Ingir et s'installe à son aise, alors qu'Owen mène la jument jusqu'au chemin indiqué par les villageois. En deux journées, ils devraient voir l'orée de la forêt. Comme à son habitude et comme cela est propre aux gens de son peuple, Siwu ne cesse de parler. Il raconte beaucoup de choses à Owen, lui donne des nouvelles de Gronfalls qu'il a côtoyés, au point qu'Owen se perd parfois dans les méandres des familles des uns et des autres. Puis il lui raconte son voyage, ce qu'il a vu, les aventures qui lui sont arrivées, comment il s'est retrouvé nez à nez avec un loup, un renard, deux blaireaux, qu'il a eu la mauvaise idée de dormir sur une fourmilière ou sous un essaim d'abeilles... Cela fait souvent sourire Owen qui, lui, ne dit pas grand chose.

- Bon, dit finalement Siwu, alors que le jour commence à décliner, et toi, qu'as-tu fait ? Où vas-tu ? Et pourquoi ?

- Je te raconterai tout cela autour d'un bon feu, Siwu.

- Alors, arrêtons-nous bientôt. J'ai l'impression que tu as beaucoup de choses à me raconter. Moi, à côté, c'était trois fois rien... D'ailleurs, t'ai-je dit que...

Et il reprend son bavardage.

Ils s'arrêtent finalement une heure plus tard, près d'une source. Avec autant de dextérité et de rapidité qu'il est bavard, Siwu prépare un feu, trouve quelques baies pour agrémenter le repas. Les villageois leur ont donné des provisions pour plusieurs jours. Pendant ce temps, Owen défait le harnachement d'Ingir pour laisser la jument paître tranquillement. Elle s'éloigne un peu sous les arbres, à la recherche de nourriture.

Le jeune Gardien s'installe alors près du feu qui diffuse déjà une belle flambée et prépare leur repas. Puis il commence à raconter ces derniers mois à Siwu, sans en omettre grand-chose.

- Ainsi, tu as escorté une reine... avec Maître Olaf... Comment va-t-il, ce sacripant ?

- De ce que j'en sais, et j'en sais fort peu, il va bien. Je ne l'ai pas vu depuis la fin de l'été, il devait raccompagner la reine jusqu'en Rankir.

- Pourquoi as-tu été envoyé en Lessar ?

- Le Grand Maître avait reçu un appel du roi et...

- Oui, ça, tu me l'as déjà dit. N'as-tu pas compris le sens de ma question ?

Owen le fixe.

- Que veux-tu savoir ?

- La vérité.

Owen soupire.

- Et bien... Je n'en suis pas certain, mais je crois que le Grand Maître m'a choisi pour aller en Lessar pour m'éloigner.

- T'éloigner d'où ?

- Tu devrais plutôt demander : t'éloigner de qui ?

Cette fois, c'est Siwu qui le fixe avec sérieux.

- Alors donc, pour t'éloigner de qui ?

- De la reine.

- Tu l'aimes ?

- Oui. Et je suis allé au-delà de ce que je devais.

- Elle t'aime aussi ?

- Elle m'aimait aussi, oui. Maintenant... maintenant, je n'en suis plus aussi certain. Du moins, depuis que j'ai appris qu'elle avait demandé l'épreuve du Blanc Cerf pour trouver un époux.

- Raconte-moi ce qui se trame, du moins, ce que tu en sais.

Owen raconte. Leur voyage, l'arrêt à Ménaru, les ambitions de Bramé, la maladie du roi de Salarin. A cet instant du récit, Siwu l'interrompt :

- Le roi est mort. Et de ce que j'en ai appris, ses fils aînés sont prêts à se battre pour le trône. Les armées se rassemblent, les armes s'aiguisent, les chevaux se sellent. Et déjà la terre se prépare à recueillir des tombes.

- Alors l'heure est encore plus grave que je ne le pensais et qu'importe au fond les sentiments de Kaïra. Je dois aller là-bas car elle aura besoin de moi.

- Peut-être peux-tu l'aider autrement qu'en mettant ton épée à son service.

- Et comment à ton avis ?

- En relevant toi aussi l'épreuve du Blanc Cerf.

- Es-tu fou ? Oublies-tu qui je suis ? Ce que je suis ?

- Ne l'as-tu pas déjà oublié toi aussi ? Alors...

Owen baisse un peu la tête, regarde le feu.

- Je suis un Gardien des Origines. Mon devoir, mon rôle, pour l'équilibre de ce monde, est d'être au service de tous et non d'une seule personne, de traiter sur un même plan la demande d'un simple villageois comme celle d'un grand roi.

- L'équilibre de ce monde... Ce monde est en train de changer, Owen, dit Siwu en abandonnant cette fois son ton malicieux.

- Qu'as-tu perçu de ces changements ? interroge le Gardien vivement intéressé.

- Déjà qu'un Gardien tombe amoureux d'une reine, et une reine amoureuse d'un Gardien est un changement pour ce monde. Ensuite, tu as affronté un sinuire, puis un dragon. Que te faut-il d'autre comme preuve que ce monde change ?

- En as-tu d'autres que j'ignore à me fournir ?

- Oui. Et cette preuve peut être le présent que tu apporterais à la reine pour la lune d'été.

Owen lève un sourcil interrogateur.

- J'ai vu une licorne, dit Siwu. De mes yeux vu, et tu sais combien ils sont perçants.

- Je ne douterai jamais de ta parole, Siwu. Une licorne... Alors, oui, si tant est que j'avais besoin de preuves, ce monde change... En quel sens, Siwu, en quel sens ?

- Tout dépendra de la façon dont les hommes agiront.

Owen reporte son regard vers le feu. Entre les flammes qui lèchent doucement les morceaux de bois, il voit se dessiner le fin visage de Kaïra, ses yeux sombres, ses longs cheveux tels qu'ils s'étaient répandus sur ses épaules, à leur réveil, et qu'elle se tenait assise, nue, dans le lit qu'ils avaient partagé.

- Si tu as vu une licorne, cela peut-être un beau signe du destin.

- Oui. Une licorne a toujours un message à délivrer aux hommes. Mais encore faut-il qu'ils l'entendent...

- Etait-ce loin l'endroit où tu l'as vue ?

- Qu'importe où je l'ai vue. Ce qui importe est : où sera-t-elle quand nous la chercherons.

- Alors tu crois que nous devons nous mettre à sa recherche ?

- Je crois surtout que TU dois te mettre à sa recherche.

- Viendras-tu avec moi ?

- J'ai encore une mission à accomplir, mais... Pff... Je ne suis plus certain que ce soit très important de porter ce message jusque chez nos cousins. Je crois plutôt que je me suis mis en route pour que TU aies ce message. Alors maintenant, nous irons là où la licorne sera.

- Bien. Bien. Il me faut alors trouver un bon endroit.

Siwu reste silencieux, puis d'un geste vif et inattendu, il se saisit de son manteau, s'allonge à même le sol près du feu et s'endort aussitôt.

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