Chapitre 20 : Un cheval dans la plaine (première partie)

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Une ombre se glisse avant l'aube hors du palais, gagne les jardins. Owen entre dans le bosquet d'arbres que Kaïra lui a désigné. La nuit a été courte, car il a eu du mal à trouver le sommeil, entre leurs retrouvailles ô combien heureuses et la perspective de ce qui les attend, les choix à faire, les décisions. Il a passé une partie de la nuit à scruter les étoiles, à regarder la sienne, cherchant une réponse ou du moins une aide. Il sait parfaitement qu'il va à l'encontre de l'enseignement qu'il a reçu, mais ce qui le guide n'est pas seulement l'amour qu'il porte à la reine. Autre chose est en jeu, même s'il n'en a pour l'heure qu'une perception confuse. Il a le sentiment qu'il ne peut faire d'autre choix que celui d'être à ses côtés. Le message délivré par la licorne est clair pour lui.

Mais aussi pour les trois Gardiens qui l'ont entendu.

Une aube claire se lève sur le royaume de Rankir et les jardins paisibles du palais royal. Kaïra s'est réveillée tôt, presque aussi tôt qu'Owen, mais elle ne descend aux jardins qu'une fois le jour bien levé. Elle est simplement accompagnée de Nijma.

- Vous avez raison de vouloir profiter de cette heure calme, Majesté, se permet de dire la jeune suivante. Voyez ce rayon de soleil ! On dirait qu'il se fait doux pour caresser vos fleurs…

- C'est en effet mon impression, Nijma. Oui, cette heure est bien l'une des plus agréables de la journée. Et il est bon de pouvoir profiter de ces moments de paix.

- Vos journées sont chargées, et heu… si je peux me permettre, Majesté, compliquées, en ce moment.

- Les journées d'une reine ne sont jamais simples, tu le sais bien, toi qui m'accompagnes depuis si longtemps.

- Nous sommes à vos côtés, Majesté, pour vous aider au mieux.

- Je le sais, répond-elle avec un léger sourire. Et vous avez ma confiance. C'est aussi pour cela que j'ai voulu que tu m'accompagnes, seule. Tu ne devras rien dire de ce que tu verras ou devineras.

- Un secret, Majesté ?

- Qui ne le restera pas longtemps, mais doit encore le demeurer.

- Vous pouvez compter sur moi...

Et les deux silhouettes poursuivent leur promenade, presque nonchalante. Si elle l'avait pu, Kaïra aurait traversé ses jardins en courant, se précipitant vers les arbres dont elle voit la haute silhouette, au-delà d'un grand bassin. Mais elle doit se montrer prudente. On peut la voir encore depuis le palais. Soudain, à cette pensée, son cœur s'affole. N'a-t-elle pas été trop impulsive ? Mais Owen et elle doivent aussi parler. Avant le Conseil. Elle calme les battements de son cœur en étant certaine qu'il a pris de son côté toutes ses précautions. Quant à elle… n'a-t-elle pas le droit de se promener, tôt, dans ses jardins ? Elle redresse la tête, avec fierté. Elle est reine. Ici, elle est chez elle.

Et elle va décider de sa vie future.

Elles approchent tranquillement du bosquet. Avant d'y entrer, par un chemin joliment aménagé, Kaïra dit à Nijma :

- Tu vas rester à l'orée, mais en prenant soin qu'on ne te voie pas. Si quiconque te demande ce que nous avons fait là, tu diras simplement que j'avais envie de passer un moment auprès de la source claire. Et que son chant nous a charmées.

- Bien, Majesté. Mais…

- Mais ?

- Il n'y a pas que la source à nous y attendre, ou plutôt, à vous y attendre, n'est-ce pas ?

- Non. Mais tu sauras. Maintenant, allons.

Et elles pénètrent sous la voûte encore sombre des arbres.

**

Elles font quelques pas sur le chemin, avançant toujours au même rythme, s'enfonçant tranquillement sous les arbres qui les cachent maintenant à la vue de tous, sauf à celle d'un seul homme. Celui qui attend la reine. Il l'a vue cheminer dans les allées, s'arrêter près d'une fleur, regarder l'envol d'un premier papillon. Son cœur bat fort, mais tendrement, en la voyant venir ainsi vers lui, belle jeune femme au port altier, à la démarche assurée, silhouette ravissante, vêtue d'une robe d'un vert un peu sombre. Kaïra n'a pas choisi cette robe par hasard, ce matin, quand les suivantes l'ont habillée : ainsi, on la remarquera moins sous les arbres.

Au bout d'une dizaine de mètres, Nijma s'arrête et laisse sa souveraine s'avancer plus loin dans le bosquet. La jeune suivante aperçoit déjà une haute silhouette, cachée par un manteau sombre. C'est l'étranger d'hier, elle en est certaine. Sa curiosité est aiguisée, mais elle ne veut pas non plus désobéir. La reine lui a assuré qu'elle ne courait aucun danger et qu'elle apprendrait bien vite l'identité de celui qu'elle va retrouver. Elle choisit donc de leur tourner le dos, mais même si ses yeux se portent ailleurs, ses oreilles peuvent entendre clairement la voix grave de celui qui accueille la reine. Elle frémit. Elle aussi, à l'instant, reconnaît cette voix. La même qu'hier. Oui, cet homme est bien celui qui a amené la licorne. Mais pas seulement : maintenant, elle peut clairement l'identifier. Hier, elle n'y était pas parvenue. Cet homme est le Gardien, Maître Owen.

Alors, elle s'éloigne un peu, revient sur ses pas pour leur laisser plus d'intimité. Mais en ne pouvant réprimer un frisson de joie.

Kaïra s'approchant, Owen a laissé retomber sa capuche. Elle vient aussitôt se blottir entre ses bras, il ferme les yeux un instant, heureux de la tenir tout contre lui. Puis il l'entraîne un peu plus loin encore sous le couvert des arbres.

Ils s'abandonnent un instant l'un à l'autre, au plaisir de se retrouver. Puis Kaïra s'écarte un peu et dit :

- Owen, le Conseil va se réunir ce matin. Comme vous me le disiez hier soir, les Gardiens viendront aussi. Je vais faire en sorte que nous ayons avancé dans notre choix avant leur venue. Avant qu'ils ne nous révèlent votre présence. Pour moi, le message de la licorne est clair.

- Pour moi aussi, dit-il en fronçant des sourcils. Je crois que trop de choses sont en jeu, des choses qui nous dépassent, qui vont au-delà de vous et moi. Mais que nous sommes partie prenante de ce qui s'annonce.

- Que dirait le Grand Maître ? Comment interpréterait-il le message de la licorne, à votre avis ?

- C'est une question difficile. J'y réfléchis depuis hier. Ce qui est certain, c'est que pour mes compagnons, ce message est important, et la présence de la licorne les soucie. Ce qui m'interpelle, c'est aussi qu'elle ait souhaité demeurer auprès de vous. Mais elle peut décider, d'un jour à l'autre, de partir.

- Elle est libre...

- Oui, mais fragile et n'est pas à l'abri d'une menace.

- De quelle sorte ? s'inquiète soudain Kaïra.

- Mon aimée, j'ai affronté une autre créature de l'autre monde, en Lessar. Une créature maléfique. Un dragon. Comme le sinuire qui s'en était pris à vous, ces êtres n'avaient plus été vus par ici depuis une éternité.

- Un danger nous menacerait donc ?

- Je le crains. Mais je n'en mesure pas encore l'ampleur. Le Grand Maître en a peut-être une plus grande connaissance, mais je ne l'ai pas vu depuis mon départ d'Altassaïr.

- Il se trouve à Sala.

- Oui, c'est ce que m'ont dit mes compagnons. Si, hier, j'étais soulagé de ne pas le voir, car il aurait perçu ma présence, je regrette aujourd'hui qu'il ne soit pas ici.

- S'il était ici, il s'opposerait à mon choix, dit Kaïra amèrement.

- Qui sait ?

- Owen... Ne me mentez pas... Vous savez comme moi quelles sont les règles.

- Oui, mais elles sont en vigueur pour un monde en paix. Pas pour un monde qui va mener je ne sais encore quel combat...

- C'est le sens du message de la licorne ?

- Je crois que cela en fait partie. Mais je ne suis pas habilité à traduire ce genre de signes. Je ne peux qu'en avoir des impressions.

Elle se tait, réfléchit. Se demande si elle doit lui parler de ses rêves. Puis se décide :

- Owen, j'ai souvent rêvé de vous au cours des mois passés, certains rêves m'ont marquée plus que d'autres. Il en est un qui m'a fait craindre le pire. J'entendais les sabots d'Ingir, mon cœur se remplissait d'espérance car vous veniez… Et puis, je découvrais Ingir seule, sans vous, sans cavalier…

Owen l'écoute avec attention, puis sourit :

- Dès que ce sera possible, je vous montrerai le sens de ce rêve. Soyez sans crainte. Je suis là.

Elle lui sourit en retour, et il se dit qu'elle est vraiment ravissante ainsi. Qu'il est regrettable qu'elle ne puisse pas, plus souvent, montrer un visage aussi rayonnant ! Mais il se dit aussi que ce visage lui est en fait réservé, comme un cadeau pour lui seul.

- Owen, je vais devoir rentrer. Une journée difficile s'annonce. Je ne veux pas tarder à tenir le Conseil. Nous demanderons certainement à voir les Gardiens dans la matinée. Peut-être devrez-vous venir aussi…

- Soyez assurée. Et sereine.

Il la fixe avec tendresse.

- Mon aimée, croyez en vous, en moi, en nous.

- Je le ferai. Je dois vous quitter, maintenant.

- Allez. Nous nous reverrons plus tard.

Mais il l'embrasse longuement une dernière fois, avant de la laisser repartir vers Nijma qui attend, leur tournant le dos, mais surveillant, attentive, les allées du jardin.

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