Chapitre 28 (deuxième partie)

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Il est difficile pour Olaf et Alora de dire combien de temps Owen reste prostré, agenouillé devant Gafori et la licorne. Il était comme tétanisé, il avait le sentiment d'avoir failli à son devoir. De ne pas avoir su protéger la licorne, alors qu'il lui avait fait la promesse de la ramener dans son monde. La main réconfortante d'Olaf se pose sur son épaule, et il se redresse un peu. Il va pour se relever quand son ami lui rappelle :

- Elle t'a dit de prendre sa corne, Owen. Ne l'oublie pas.

- C'est vrai.

Et il s'agenouille à nouveau, hésite, ne sachant comment la retirer. Mais à leur grande surprise, la corne se détache toute seule du front de la licorne.

- Nous ne pouvons nous occuper de tous les morts, dit encore Olaf. Mais nous allons rassembler les corps des conseillers, de Maître Gafori et de la licorne dans le jardin et les sacraliser, comme nous l'avons fait pour les montagnards. Face à ce carnage, maintenant, nous devons penser aux vivants. Et à la reine.

- Siwu l'a menée à l'abri, dit Owen. Je pense savoir où. Du moins, où il avait l'intention de la conduire. Tu as raison. Occupons-nous de ceux-là et je vais tenter aussi d'entrer en contact avec les Delphiniens. Avec un peu de chance, ils ont pu se mettre à l'abri, eux.

Olaf hoche la tête et pendant qu'il s'occupe avec Alora de sacraliser les corps, Owen retourne vers le palais pour y inspecter avec soin les appartements royaux. Le départ s'est fait dans la précipitation, mais il est certain que Kaïra a pu emporter le disque sacré avec elle. Grâce à lui, si nécessaire, il pourra la retrouver. Si des gardes ont été tués dans les couloirs, il ne voit en revanche nulle trace de Dame Hilayna, ni même de Limur. Cette idée qu'ils soient eux aussi encore vivants, de même que les servantes de la reine, le réconforte un peu. Quand il redescend, il retrouve Olaf.

- Nous avons sacralisé les corps de la licorne, du jardinier et des deux conseillers, lui dit son ami. Avec Alora, nous allons faire le tour de la ville et en sacraliser l'ensemble. C'est le moins que l'on puisse faire. As-tu vu quelque chose là-haut ?

- Des soldats tués, mais pas de traces de la reine, de Dame Hilayna et de Limur. Si nous ne le trouvons pas parmi les morts, nous pourrons penser qu'il est avec elles. La licorne ne m'a mentionné que le nom de Siwu et a aussi parlé des suivantes de la reine. Mais pas d'autres personnes.

- Alors, gardons espoir pour eux, aussi, dit Olaf avec gravité.

- Je descends au rivage. A tout à l'heure.

**

Owen remonte d'abord le quai le long duquel il avait rencontré Lénora, l'épouse de Limur, qui enseignait aux enfants de Rankir les liens entre tous. Mais il n'y a là plus aucun enfant. Il poursuit sa lente marche le long du rivage, fouille des yeux l'océan. La mer est calme, quelques petites vagues viennent lécher les bords du quai. Plusieurs fois, il s'agenouille, sondant les profondeurs, croyant voir quelque chose bouger. C'est en avançant vers le palais qu'il voit quelques cadavres de Delphiniens, essentiellement des combattants. "Le Seigneur des Ténèbres n'a pas encore assez de pouvoir pour aller sous les eaux. Et le sinuire n'est pas assez puissant pour s'y risquer. C'est un espoir pour nous tous", songe-t-il.

C'est alors qu'il est proche du petit bassin qui s'ouvre sur la mer et donne sur la place devant le palais, lieu d'accès du centre du pouvoir aux habitants des eaux, qu'il entend soudain une voix appeler :

- Un Gardien ! Il y a quelqu'un !

Il relève les yeux, cherche parmi les flots et voit s'approcher un petit groupe. Ils sont quatre, à ce qu'il peut distinguer, à venir vers lui. Dès qu'ils sont assez proches, il les salue avec respect.

- Je suis Maître Owen, dit-il. Je suis venu aussi vite que possible, mais malheureusement trop tard... Je suis accompagné de Maître Olaf et d'une jeune appelée de notre Ordre. Qu'est-il arrivé ? Est-ce que Dame Flonara est toujours en vie ?

- Oui, elle l'est. Et beaucoup d'entre nous ont survécu. Nous avons voulu aider les Aériens et les Humains à combattre, malheureusement, notre aide était dérisoire, et le Seigneur Lorrek nous a ordonné de retourner au fond des eaux et d'attendre que le calme revienne pour sortir de notre cité.

- Pouvez-vous me dire ce qui s'est passé ?

- Oui. Nous allons prévenir Dame Flonara que vous êtes là.

- Merci.

Deux Delphiniens replongent aussitôt dans la mer, alors que les deux autres restent auprès de lui. Owen se retourne vers le palais, ne voit pas ses amis.

- Où sont les Gardiens ? Le Grand Maître ? demande l'un des Delphiniens restés avec Owen.

- Ils sont partis en Salarin, car d'après les signes que nous avions reçus, le Grand Maître a estimé que ce serait là que frapperait le Seigneur des Ténèbres. J'ai... préféré venir ici, je redoutais... une trahison.

- C'est ce qui s'est produit. Mais Dame Flonara pourra vous en faire un meilleur récit que moi.

- Savez-vous si la reine... ?

- Nous ignorons ce qu'elle est devenue, répond le Delphinien avec tristesse. Malheureusement, nous ne pouvions pas lui fournir d'asile...

Le Delphinien s'interrompt, se tourne vers les profondeurs, puis regarde à nouveau Owen :

- Dame Flonara arrive.

Owen se sent soulagé. Le fait qu'au moins un des peuples de Rankir ait survécu est une bonne nouvelle. Et que, parmi eux tous, Flonara soit aussi en vie, le réconforte. Il ne doute pas non plus un instant de pouvoir en apprendre plus grâce à elle. Il veut surtout savoir ce qui a provoqué le combat, pourquoi le Seigneur des Ténèbres est sorti de sa cachette, ici, et pas ailleurs.

**

Alors que la petite délégation de Delphiniens s'approche du rivage, Olaf et Alora rejoignent Owen.

- Nous avons sacralisé la ville et ses morts, dit Olaf simplement.

Ces quelques mots sont entendus des deux Delphiniens qui sont restés avec Owen, et tous les trois perçoivent leur soulagement. Ces mots les réconfortent alors qu'eux tous pleurent des amis chers et la fin d'un rêve : une vie en commun, pour trois peuples différents.

Mais déjà Flonara s'approche et la tristesse qui marque ses traits s'efface un peu en voyant les silhouettes des Gardiens.

- Maître Owen, vous êtes venus… La reine vous a appelé, elle savait que vous viendriez… Elle ne voulait pas partir… Nous sommes parvenus à la décider et j'espère que le Seigneur Siwu aura pu la mettre à l'abri.

- Dame Flonara, nous avons fait aussi vite que possible... Malheureusement, nous sommes arrivés trop tard, dit Owen avec tristesse. Nous ne pouvons plus rien…

- Si, répond l'unique conseillère du peuple triple encore en vie.

- Racontez-nous ce qui est advenu, poursuit le jeune homme.

Puis il s'accroupit pour être à la hauteur du rivage. Olaf et Alora s'assoient également et écoutent avec attention le terrible récit.

- Les premiers temps après votre départ, nous n'avons rien connu de difficile. Le pays était en paix, les récoltes se faisaient dans les champs. L'été était beau. Je voyais la reine tous les jours, pour les Conseils habituels, régler les affaires courantes, rendre la justice. Les prétendants étaient tous restés au campement. Le calme y régnait. Puis le prince Galiané a demandé une audience à la reine, qu'elle a acceptée. J'étais présente, comme les autres conseillers ainsi que Dame Hilayna. Il commençait à s'inquiéter du temps qui passait, car il avait reçu des nouvelles de Sala et cela le souciait. La reine lui a demandé ce qu'il en était, mais il a refusé de répondre, arguant que cela concernait les affaires intérieures de Salarin. Mais nous avons appris qu'un Gardien y aurait été tué… Est-ce vrai, Maître Owen ?

- Oui, hélas. Le Gardien qui était demeuré à Sala après le départ du Grand Maître a été tué. Mais poursuivez, je vous prie.

- Dès qu'il a su que son frère avait été reçu par la reine, le prince Bramé a demandé audience à son tour, mais la reine a différé cette rencontre. Cela n'a pas plu au prince. Il est reparti furieux. Nous avons pensé qu'il s'agissait simplement d'une saute d'humeur, sachant le prince sujet à de fréquents emportements. Mais, dans la nuit qui a suivi, il s'est produit d'étranges phénomènes et, à l'aube, nous avions toute une armée, sortie d'on ne savait où, qui campait dans la plaine et faisait le siège de la ville. C'est à ce moment que la reine a pris la décision de vous alerter. Nos soldats se sont mobilisés et un combat terrible s'est engagé. Nous avons voulu soutenir nos amis, mais nous avons vite compris que nous ne pouvions rien… La reine nous a alors donné l'ordre de retourner dans les profondeurs de nos cités océanes. Nous n'avons fait que de brèves sorties, pour suivre les événements sur le rivage. C'est là que nous avons pu constater ce qui était survenu…

- Quand la reine est-elle partie ? demande Olaf.

- Avant-hier soir. Toute la journée d'hier, les incendies se sont multipliés dans la plaine. Les soldats de Bramé semblaient animés d'une force surhumaine. Il était impossible de faire face… Nos armées se sont heurtées à plus fort qu'elles…

La Delphinienne secoue la tête tristement.

- Ces armées sont l'œuvre du Seigneur des Ténèbres, dit Owen. Les soldats ne venaient pas de Salarin.

- Je ne pourrais vous le dire, Maître Owen, dit Flonara. Mais qu'est-ce donc que ce Seigneur des Ténèbres ?

- L'esprit du Mal. Le Mal absolu. Pour qui, comment revient-il en ce monde... là est l'inconnue. Mais nous allons devoir l'affronter, dit Olaf.

- Bramé est son serviteur…, ajoute Owen en se redressant. Qu'est devenu le prince Galiané ?

- Je l'ignore, répond Flonara. Je crois que la plupart des autres prétendants ont été tués, mais… c'est difficile à dire. Nous n'avons pas les moyens d'aller au-delà du rivage.

- Cela prendrait trop de temps de faire l'inventaire des morts, dit Olaf. Nous avons sacralisé la ville. Mais nous avons enterré les deux conseillers. Et la licorne et Maître Gafori.

Flonara ignorait encore que ses deux homologues, Van'dal et Lorrek avaient été tués et son visage mi-humain, mi-delphinien affiche alors une profonde tristesse.

- La reine sera profondément affectée, reprend Flonara dans un soupir.

- Elle le sera de toute façon d'avoir vu son peuple, en grande partie, périr, répond Owen.

- Il reste un espoir, Maître Owen. Il faut que vous la retrouviez et la protégiez.

- C'est bien dans mes intentions. Et je pense avoir une idée de l'endroit où Siwu a voulu la conduire. Nous ne devons pas tarder. Nous reviendrons, Dame Flonara, ajoute-t-il. En attendant, veillez sur les vôtres et faites au mieux.

- Il est possible que quelques Aériens aient pu survivre, dans la forêt, précise-t-elle. Ils nous aideront à soigner les blessés, si tant est qu'il y en ait. Et nous soutiendrons tous ceux qui ont pu se réfugier dans les grottes, sur les bords du rivage. Il y a là des villageois, mais aussi les habitants de la ville qui ne pouvaient combattre.

Olaf hoche la tête. Il se tourne vers Owen.

- Nous allons repartir. Ce n'est plus en terre de Rankir que se trouve désormais la reine, dit le jeune homme.

Ils prennent rapidement congé de Flonara, Owen s'engageant à revenir.

- Notre reine avant tout, Maître Owen, lui répond simplement la Delphinienne.

Le soleil est encore haut alors que les trois Gardiens s'éloignent de la cité de Rankir, laissant derrière eux des morts par milliers et des fumées d'incendies qui montent encore dans le ciel.

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