Chapitre 10 : Le dragon de Lessar (première partie)

10 minutes de lecture

Lorsqu'Owen voit se dessiner devant lui les terres de Lessar, en Petimont, la réunion des Régnants est en train de s'achever. Le jeune homme est heureux de voir se dessiner les hautes tours de la belle cité de Mohar. Situé très au nord, le pays est le dernier royaume vraiment habité avant les Terres des Grands Froids. Au fil du voyage, Owen a senti l'influence des vents du nord et l'été lui semble déjà loin. Le pays est rude, les hommes grands, costauds. Certains lui font penser à Olaf. Et il se demande si son ami ne serait pas originaire de ces régions.

Il chevauche tranquillement, se protégeant du vent froid en resserrant son long manteau d'hiver autour de lui. Ingir avance à un galop léger, ses petites oreilles toujours aux aguets. Depuis qu'il est entré en Lessar, il a senti la peur dans les attitudes. S'il a trouvé le gîte et le couvert aisément, il a eu du mal à saisir les regards fuyants. La crainte est palpable. Mais la crainte de quoi ? Cela, seul le roi de Lessar pourra le lui apprendre.

Il parvient en milieu d'après-midi aux portes de la belle cité aux tours fines qui montent à l'assaut du ciel. On le laisse entrer sans difficulté. A peine a-t-il franchi la grande porte qu'un garde s'avance vers lui :

- Vous êtes l'envoyé du Grand Maître ? demande le garde.

- Je le suis. Je suis Maître Owen. Pouvez-vous me mener au palais ?

- Suivez-moi, je suis Garion. Nous sommes heureux de vous voir. Le roi et la reine vous attendent avec impatience.

- Je suis venu aussi vite que possible, répond-il en descendant de cheval et en suivant le garde dans les rues, vers le palais, tenant toujours Ingir par la bride.

Tout en cheminant à travers les rues, Owen observe autour de lui. Mais il n'observe pas qu'avec ses yeux, il s'efforce aussi de percevoir avec ses autres sens et, surtout, son intuition et son cœur. Là, comme à travers la plaine, dans les villages, il sent la peur.

Enfin, ils parviennent au palais. Garion franchit la porte qui mène à une cour assez étroite, un peu en longueur. Sur leur gauche, un large escalier mène au palais.

- Anien ! lance le garde en direction d'un palefrenier.

Celui-ci se retourne et s'approche aussitôt.

- Occupe-toi du cheval de Maître Owen. Prends-en soin !

- A vos ordres, répond le jeune homme en prenant la bride d'Ingir et en la menant de l'autre côté de la cour, vers les écuries royales.

Garion précède Owen dans le grand escalier. En haut, un homme attend, un conseiller du roi, Wilfor. Il mène Owen à travers le hall, puis vers la salle où se trouve le roi.

Quand ils y pénètrent, Owen et Wilfor interrompent une discussion sérieuse entre le roi et d'autres conseillers.

- Majesté, dit Wilfor. L'envoyé du Grand Maître vient d’arriver. Voici Maître Owen.

Le roi, qui se tenait debout devant une table ronde, se retourne alors et vient droit vers le jeune homme. Owen s'incline respectueusement, mais le roi lui saisit les mains avant même qu'il ait terminé son salut.

- Maître Owen, nous vous attendions avec impatience, mais je vous avoue que je ne pensais pas que vous auriez pu venir aussi vite. Merci d'avoir fait diligence.

- Le voyage s'est bien passé, Majesté, j'ai fait de mon mieux. Le Grand Maître m'a envoyé auprès de vous, car vous l'aviez alerté. Vous étiez également absent de la Réunion des Régnants. Est-ce pour cela que vous nous avez appelés ?

- Oui... Mais venez, prenez place avec mes conseillers, que voici. Gerandor, Manior et Numinor. Nous étions en train de commenter les dernières nouvelles.

Le jeune Gardien s'avance, salue les trois hommes, assis autour de la table. Sur cette dernière est déployée une grande carte et d'un coup d'œil, Owen comprend qu'il s'agit d'une partie du territoire de Lessar.

- Il se passe une chose terrifiante, Maître Owen, poursuit le roi. Le dragon de la montagne s'est réveillé. Et il exige des sacrifices.

- Un dragon ? Des sacrifices ?

- Oui, un dragon. Du moins, c'est ainsi que nos gens l'appellent... Nous pensions que c'était une légende, mais nous devons bien reconnaître qu'il n'en est rien.

- Il a été vu ?

- Oui. Vous le verrez vous-même, à la fin du jour. Chaque soir, il vient réclamer son dû, là-haut sur la montagne. Et comme nous le lui refusons, chaque soir, il descend un peu plus vers la vallée. S'il y parvient, il sèmera la désolation et la mort.

- Quels sacrifices exige-t-il ?

- Des jeunes gens. Un jeune homme et une jeune fille, chaque jour. Pour s'en nourrir.

- Pourquoi s'est-il réveillé ?

Le roi échange un regard avec ses conseillers.

- Nous ne saurions vous répondre avec précision, intervient Gerandor. Nous avons étudié les textes anciens, pour tenter de trouver le moyen de le combattre. Nous avons simplement trouvé mention d'un réveil à intervalles réguliers.

Owen reste silencieux. Ce "dragon" n'est pas sans évoquer pour lui le sinuire. Est-il possible que des créatures chimériques, légendaires, reviennent peupler ce monde ? Au-delà de cette apparition, qui fait craindre pour la vie des plus jeunes, qui fait craindre pour la paix en Lessar, n'y a-t-il pas autre chose ? Des forces souterraines en mouvement ?

- Vous n'avez pas trouvé de récits de combats contre ce dragon ?

- Non, hélas, répond Gerandor.

- De ce que je sais, répond Owen avec une certaine lenteur comme s'il se faisait une réflexion à lui-même, il est possible de combattre un dragon avec le soutien des Esprits. Je pourrais peut-être le faire, mais il me faut Leur soutien. Or, je suis seul. A deux Gardiens, les choses seraient plus aisées. Je vais tenter de prévenir le Grand Maître.

- Mais..., commence Numinor, si nous devons attendre un autre d'entre vous... il sera peut-être trop tard.

- Maître Owen pourra en juger par lui-même dès ce soir, dit le roi.

Owen opine, sans rien ajouter.

**

A la fin du jour, il accompagne le roi, ses conseillers et quelques autres personnes tout en haut du palais, près des plus hautes flèches qui entourent une grande et large terrasse, face à la montagne. C'est un des meilleurs sites d'observation qui soit, pour regarder autant vers les cimes que vers la plaine. Des gardes y sont à poste, y compris la nuit, et Owen se dit que l'un d'entre eux l'a certainement vu arriver de loin, peut-être même dès le petit matin.

Le jour décline lentement, mais le soleil n'a pas encore disparu, au-delà de la plaine, et de ses derniers rayons, il éclaire doucement la montagne. Le site est magnifique, empreint d'une grande majesté, d'une beauté qui rend humble. Mais, bientôt, le calme des lieux est troublé par un sourd grondement. Owen perçoit l'inquiétude qui renaît dans les cœurs, autour de lui. Le roi lui désigne un point de la montagne, entre deux pics. C'est là que le dragon va apparaître.

Ils ne voient d'abord qu'un grand nuage blanc, soulevé par le monstre. Ce nuage se déplace, descendant vers l'à-pic, déclenchant une avalanche de neige et de roches qui se répand vers la vallée et s'arrête au-delà des murs de la ville, sur la rive gauche du fleuve qui s'écoule entre la montagne et la cité. Quand, lentement, le nuage de poudreuse retombe, apparaît alors le dragon. De ce qu'Owen peut en percevoir, l'animal n'est pas très grand, mais tout en puissance. Son corps assez long se termine par une queue courte, mais puissante, qu'il agite en un lent va-et-vient, soulevant toujours des paquets de neige. Sur son dos se dressent de dures écailles, de forme triangulaire, coupantes comme des couteaux. Son cou aussi est puissant, portant une tête allongée à la mâchoire impressionnante. Ses pattes sont courtes, mais trapues, terminées par des griffes qui lui permettent de s'accrocher aisément sur la montagne. Son corps est recouvert d'une peau sombre, de couleur gris-vert foncé, très dure, lui permettant de ne craindre ni le froid, ni la chaleur.

L'animal pousse alors un cri terrifiant qui fait trembler la montagne.

- Il a faim, murmure Numinor d'une voix grave et inquiète.

- Il va descendre encore plus bas, souffle Eléanor, la reine.

Owen ne porte plus attention aux murmures autour de lui, il fixe l'animal, l'observe avec soin. Il fait le calme en lui, se met à l'écoute des ondes qui lui parviennent. Par prudence, il reste simplement "spectateur", ne dévoilant pas sa présence. Pour mieux combattre le monstre, il lui faudra user de toutes ses facultés et l'une de ses armes sera la surprise. Mais il lui faut aussi en apprendre plus, sans se dévoiler. Le soutien des Esprits lui sera nécessaire. Il ne pourra faire sans Eux, cela, il l'a compris avant même de voir son futur adversaire.

L'animal reste visible jusqu'à la tombée de la nuit, puis il s'en retourne dans sa tanière, tout en lançant des cris qui résonnent encore longtemps au-dessus du pays de Lessar, apportant la crainte, la peur, la malédiction. Puis un silence encore plus lugubre enveloppe les hommes et les femmes de ce pays, et chacun trouve difficilement le sommeil.

**

Il faut plusieurs heures à Owen avant de sentir un léger calme dans la cité. Il ne veut pas entrer en contact avec les Esprits dans un contexte houleux, tendu. Il est seul et doit le faire avec le plus de sérénité possible, aussi bien en lui-même que dans le lieu où il se trouve. Il quitte la chambre où il est logé, dans le palais, alors que l'heure la plus sombre de la nuit s'avance. Il a songé à sortir du palais, la ville, avec Ingir, pour rechercher un endroit calme dans la plaine, et peut-être même un endroit marqué par les Esprits, mais il y a vite renoncé : on le verrait partir, même en pleine nuit, et cela pourrait accroître l'inquiétude. Il choisit donc de remonter sur la grande terrasse, là où ils se sont placés pour observer le dragon. Il croise les gardes qui le saluent. Ils sont tous postés le long du mur qui entoure le vaste espace, observant qui la plaine, qui la montagne. Mais tout l'espace intérieur est désert. Ce n'est cependant pas un lieu vide et nu, car il s'y trouve un petit jardin, quelques arbres et une source, à peine éclairée par la faible lumière des étoiles. C'est vers celle-ci qu'Owen se dirige avec résolution. Il y boit un peu d'eau, la trouve fraîche et pure et déjà son cœur remercie l'Esprit de l'Eau. Puis il s'assoit en tailleur, près de la source et prépare la potion qu'il va boire pour entrer en contact avec les Esprits.

Il n'a dit à personne ce qu'il comptait faire. En tant que Gardien, il doit aussi maintenir le secret quant aux Esprits, pour qu'Ils acceptent de lui "parler", voire de l'aider, et qu'Ils maintiennent toujours Leur protection sur le monde.

En attendant que la potion soit tout à fait prête, il fait le vide en lui, ferme les yeux. Puis les rouvre en cherchant l'étoile du Grand Maître. Une fois qu'il l'a trouvée, il prend son disque qu'il avait posé devant lui, le porte vers l'étoile, en capte la clarté et fixe ses pensées sur elle, à travers le disque, comme il l'a montré à Kaïra. Il cherche ainsi à faire savoir au Grand Maître ce qu'il en est et ce qu'il s'apprête à faire.

Puis il cherche son étoile, repousse la pensée de Kaïra, car elle ne doit pas interférer avec ce à quoi il s'engage. Quand il se sent tout à fait prêt, il boit la potion. Et le monde des Esprits s'ouvre à lui et l'engloutit.

**

Il attend, aux portes de ce monde. Il se souvient parfaitement de ce qu'il a fait, avec le Grand Maître, puis avec Olaf. Mais cette fois, il est seul et c'est à lui de s'adresser aux Esprits. Il se présente d'abord, son étoile toujours présente dans ses pensées, puis il cherche l'Esprit de l'Eau. Avant même de leur parler du dragon, il veut remercier Celui qui l'a averti du danger pour Kaïra. Son propre esprit se fait humble, courtois et, bientôt il sent la présence de l'Esprit de l'Eau. A sa façon, il Le remercie, mais Celui-ci ne manifeste rien de particulier. Cela ne surprend pas Owen et ne le décourage nullement. Il sait que les remerciements et les attentions que les Gardiens portent aux Esprits sont appréciés, sans que bien souvent Ceux-ci ne le montrent.

Un peu hésitant, il attend. Des voiles blancs se dessinent devant lui qui l'entourent et, petit à petit, il se sent entraîné. Il se souvient des leçons du Grand Maître et sait qu'il est inutile de résister, néanmoins, il a peur. Peur de rester en ce monde, de ne jamais revenir sur Terre, parmi les siens. La peur reste ancrée en lui, mais tout autour de lui, un monde très calme l'entoure. Il pressent, à un moment donné, qu'il doit exprimer les raisons qui l'ont mené jusqu'au monde des Esprits. Alors il se concentre, fait venir en lui l'image du pays de Lessar, la ville, les gens qu'il a croisés, la crainte qu'il a lue dans leurs regards, puis il évoque le dragon, le plus précisément possible. A côté de l'image du dragon, il voit évoluer un Esprit. C'est celui du Feu. Puis soudain, l'Esprit se concentre pour n'être plus qu'une sorte de nuage enflammé qui atteint le dragon à la base de son cou. La vision disparaît, Owen ressent un choc très violent. Quand il rouvre les yeux, il est étendu, pâle, près de la source.

Mais il a saisi le message des Esprits et sait désormais comment vaincre le dragon.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0