Chapitre 18 (troisième partie)

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Le soir est en train de tomber et, déjà, on allume les premières torches qu'on accroche aux murs autour de la place et les premières étoiles font scintiller leur douce lumière dans le ciel.

Enfin, les derniers prétendants s'approchent : un autre noble, un jeune artisan très doué, un Gronfall dont la démarche fait rire les spectateurs et dont le cadeau est une courte histoire.

Puis un dernier homme s'avance, précédé par les murmures de la foule. Grand, bien bâti, il porte, malgré la chaleur estivale, un long manteau qui le couvre entièrement. Il a rabattu son capuchon sur son visage afin que celui-ci soit parfaitement caché. Il tient en longe un animal que beaucoup pensent être une chèvre, lui aussi caché par une sorte de couverture.

En le voyant s'avancer, Dame Hilayna fronce des sourcils. Il n'est pas correct de se présenter ainsi, presque masqué, devant la reine. Le serviteur chargé des présentations lui demande son nom. L'inconnu répond, d'une voix très grave :

- Ce n'est pas mon nom qui importe, mais ce que j'apporte à la reine.

Puis il s'agenouille devant elle, reste quelques longues secondes ainsi, avant de se décider à se relever avec souplesse. Kaïra le fixe avec intérêt, intriguée, curieuse. Elle ignore si l'homme l'a dévisagée en s'agenouillant ou s'il a baissé les yeux, mais elle se sent troublée. Tout au long de la journée, elle a espéré qu'Owen se présenterait ou lui ferait remarquer sa présence, qu'il rejoindrait les trois autres Gardiens, la rassurant ainsi. Il n'en a rien été.

L'homme est maintenant debout. De sa main gantée, il soulève rapidement la couverture, dévoilant ainsi son présent. Une aura bleutée se répand sur les marches, apportant une lumière douce et jamais vue sur la grande place du palais des souverains de Rankir.

La stupeur peut se lire sur tous les visages et un murmure d'étonnement court dans la foule. L'intérêt de tous est bien perceptible, une certaine tension agite l'air au-dessus de la place. Même Dame Hilayna ouvre de grands yeux.

- Majesté, reprend l'homme, la licorne est venue dans le monde des Hommes car elle a un message à délivrer. A vous délivrer.

Puis il se recule de deux pas, alors que l'élégant animal redresse la tête et fixe la jeune souveraine. Une voix cristalline se fait alors entendre, passant au-dessus de chacun, apportant une étrange paix dans chaque cœur, une espérance inconnue :

Noble est le cœur de votre Majesté

Toujours à lui elle peut se fier.

Cœur perdu, cœur retrouvé,

Amour, courage et volonté

Sur vous désormais vont veiller.

Ainsi la licorne a parlé.

Le gracieux animal baisse la tête, puis grimpe les quelques marches qui la séparent de la reine. L'homme laisse se dérouler la longe, mais la retient toujours. Il sait que, dans quelques instants, il devra libérer la licorne.

- Majesté, l'instant est de grâce. Vous seule pouvez me toucher, si vous le souhaitez.

Interdite, un peu hésitante, Kaïra tend cependant la main vers la tête de la licorne. Sans toucher sa corne, elle pose délicatement ses doigts sur son front. Une incroyable douceur se répand alors en elle. Puis elle retire sa main. La licorne dit :

- J'ai délivré mon message. Redonnez-moi la liberté. La liberté de retourner vers les miens ou d'aller comme bon me semblera.

- Gentille licorne, je vous rends votre liberté, dit Kaïra.

L'homme dénoue alors avec précaution la longe et la reine remarque qu'il prend bien soin de ne pas toucher l'animal. Puis il s'éloigne un peu.

- Auprès de vous, un temps, Majesté, je vais demeurer. C'est ma liberté, dit la licorne en se couchant à ses pieds.

**

Owen a laissé Siwu dans la forêt, avec Ingir. Portant un grand manteau dont il a rabattu la capuche, il a aussi couvert la licorne. Il ne veut pas qu'on le reconnaisse, or trop de gens en Rankir et en particulier dans la capitale le pourraient, et il ne veut pas qu'on puisse découvrir la licorne. Dans la lumière du jour, son aura est moindre, et à moins d'être très attentif - mais aussi "initié" -, il est difficile de le faire. Il compte de toute façon sur la cohue, la foule, l'agitation, pour passer inaperçu.

Une fois dans la ville, il se dirige vers la grande place, mais s'avancer est difficile. Il fait quelques détours, y parvient finalement par une ruelle moins encombrée. Il devine que les prétendants sont rassemblés vers la droite de la place et voit déjà, en bas des escaliers, les trois Gardiens qui veillent. Ni Olaf, ni le Grand Maître ne sont présents, et il se sent un peu rassuré. Ceux qui sont là le connaissent moins bien. Mais enfin, c'est une maigre protection. Il a bien fait de laisser son disque dans la poche de selle d'Ingir.

La reine et son Conseil ne sont pas encore présents quand il parvient à se glisser au bout de la ruelle, non loin de la file des prétendants. Il perçoit l'agitation, l'impatience, l'angoisse de certains. Il a bien vu les livrées des princes de Salarin, a reconnu aussi celles d'autres nobles. Beaucoup sont venus de loin. Epouser la reine de Rankir serait un honneur, une gloire aussi. Le visage toujours caché par son capuchon, il les observe tous et se dit qu'il doit être le seul, présent, à être là sans aucune ambition. Il ne veut pas devenir noble, il ne veut pas devenir prince. Il veut juste pouvoir veiller sur elle. Il est aussi le seul, présent, là, par amour.

Soudain résonnent les trompettes et comme tous, il se tourne vers le palais royal. Avec la même émotion que ses voisins, il voit s'ouvrir les portes du palais et apparaître la reine et son Conseil. Il se trouve assez loin du grand escalier, ne peut distinguer clairement son regard, mais il la sent déterminée à accomplir son destin. Il remarque immédiatement la petite rose qui décore sa chevelure et son cœur se serre. La rose est la même que celle qu'il lui avait offerte dans les jardins d'Altassaïr. Est-ce exactement la même ou Maître Gafori possède-t-il un rosier qui en soit proche ? Qu'importe. Pour Owen, cette petite touche de couleur et de fraîcheur dans les beaux cheveux sombres est la preuve d'amour de Kaïra. Pourquoi a-t-il douté d'elle ? De ses sentiments pour lui ? Il s'en veut un peu, d'avoir eu un tel ressenti. Elle ne l'a pas oublié.

Et cela ne fait qu'accroître sa détermination à l'emporter.

Il écoute avec attention Lorrek énoncer le déroulement de la journée, puis il voit s'avancer les premiers prétendants. Il aurait pu s'arranger pour être le premier et tout aurait alors été terminé bien vite. Mais il veut que Bramé et Galiané puissent déposer leurs présents, l'objectif étant bien, aussi, d'œuvrer pour la paix en Salarin et aux frontières de Rankir.

Au fil de la journée, il observe tout avec attention. Il remarque Limur, parmi les gardes ailés de la reine, toujours fidèle. Il aperçoit aussi à un moment Gafori, le jardinier. Il voit que Dame Hilayna reste très attentive. Nul doute qu'elle saura écarter les prétendants indésirables. Par moments, il perçoit aussi la fatigue de Kaïra, même si elle n'en laisse rien paraître et, une fois encore, il se sent très admiratif d'elle.

Puis la journée s'achève et les derniers prétendants s'avancent. Il esquisse un sourire devant le numéro réalisé par le Gronfall. Il lui rappelle Siwu...

Puis vient son tour. D'un pas calme, régulier, il se dirige vers l'escalier. Plus il s'avance, plus il lui semble revivre leur première rencontre, quand, aux côtés d'Olaf, il était venu la saluer dans la Grande Salle. Les beaux yeux noirs se posent sur lui, intrigués, mais pas inquiets. Alors il s'agenouille devant elle, avant de dévoiler son présent.

S'il voit la stupéfaction s'afficher sur les visages de ceux qui lui sont proches et en tout premier lieu, celui de Kaïra, il ressent aussi immédiatement les ondes des trois Gardiens qui le sondent. Il s'y est préparé et fait mentalement barrage. Il sait qu'il va devoir révéler son identité, tôt ou tard, mais souhaite demeurer caché le plus possible. L'idéal serait de pouvoir s'entretenir seul, un instant, avec la reine, mais il doute que cela soit réalisable.

Dès la révélation de la licorne, Maître Olek réagit très vite. Incontestablement, le présent est de prix. Il est aussi le plus rare qu'on puisse trouver. Nul doute que cet étranger possède là un atout qui peut lui permettre d'emporter la main de la reine. Mais qui est-il pour avoir pu approcher une licorne et mieux encore, pour avoir pu l'attraper ? Hormis un initié, un Gardien comme eux - et encore ! -, qui donc peut en être capable ? Et il craint alors que sous le grand manteau ne se cache un être malfaisant, aux pouvoirs inconnus, voire dangereux. Il a bien du mal, comme les deux femmes à ses côtés, à imaginer qu'il puisse s'agir de l'un d'entre eux. Un Gardien se doit d'oublier toute ambition personnelle, toute relation d'engagement, hormis celle de son Ordre. L'engagement est pour tous, pas pour une personne en particulier.

Ses pensées cependant butent contre la volonté de l'inconnu. "Il sait aussi se protéger... Qui est-il ? Que devons-nous faire ?", se demande-t-il. A ses côtés, Alana est quelque peu agitée. Quant à Agora, elle a difficilement pu retenir un pas en avant, comme pour arrêter l'inconnu.

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