Chapitre 22 (deuxième partie)

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La reine se montre très soucieuse dès que Dame Hilayna lui rapporte son rêve, puis la discussion qu'elle a eue avec Owen. Elles sont toutes deux installées dans le salon royal, après le déjeuner de Kaïra. La matinée s'est déroulée comme d'habitude, avec un Conseil au cours duquel la jeune souveraine et ses conseillers ont examiné les différentes questions agitant le royaume.

- Dame Hilayna, je comprends votre effroi après ce rêve terrible. Vous avez bien fait d'en parler avec un Gardien, mais la réponse de Maître Owen me préoccupe. Je ressens moi aussi, mais certainement bien moins que lui, ce danger diffus qui rôde. Dame Hilayna, il m'arrive de me demander si nous avons bien fait de maintenir ici les prétendants… J'aimerais que toute cette question soit désormais réglée.

- Je vous comprends. Mais elle ne pourra l'être sans l'avis du Conseil des Gardiens.

- Croyez-vous qu'ils laisseront Owen m'épouser ?

- Ils n'auront peut-être pas le choix…

Kaïra soupire. C'est ce qu'elle se répète, aussi. Mais, parfois, elle se demande si tout cela arrivera bien un jour. Il lui semble qu'il y a encore tant d'épreuves à passer, tant de dangers à affronter… Elle ferme les yeux un instant. Comme elle aimerait, parfois, être une jeune femme comme les autres. Mais elle se dit qu'alors elle n'aurait peut-être aucune chance de croire à ce mariage. Il serait peut-être vraiment impossible.

Dame Hilayna la regarde, s'inquiète, se demande si elle a bien fait de parler de sa vision et de ses propres craintes à sa souveraine. Cette dernière rouvre les yeux et dit :

- Dame Hilayna, j'aimerais voir Owen un moment.

- Je vais le faire appeler.

- Merci.

Restée seule, la jeune femme tourne son visage vers la fenêtre. Le ciel est d'un bleu splendide, elle songe à la mer, si proche, qu'elle n'a pas vue depuis plusieurs jours, ou si peu. Mais elle n'a pas eu le temps d'aller parcourir le rivage un moment, avec Flonara, comme elles le faisaient parfois, quand elles étaient plus jeunes.

A ce moment, la licorne se redresse. Elle était couchée sur le tapis. Elle aussi regarde vers le dehors.

Vers vous majesté

Volent les messagers

Le message est faussé

Mais le cœur dévoué.

Ainsi la licorne a parlé.

Kaïra se fige en entendant cette voix si douce. La créature la regarde de ses beaux yeux d'un bleu très clair. Elle n'a pas le temps de s'adresser à elle, car on frappe à nouveau à sa porte. Dame Hilayna précède Owen, toujours discret. Ce n'est qu'une fois la porte du salon royal fermé qu'il se décoiffe et va pour s'incliner légèrement devant Kaïra, mais son visage pâle, son regard bouleversé l'arrêtent aussitôt.

- Que se passe-t-il, Kaïra ? demande-t-il, oublieux de la présence de Dame Hilayna et uniquement préoccupé par l'état de la jeune souveraine.

- La licorne..., murmure Kaïra alors qu'il s'approche. La licorne… a de nouveau parlé.

Owen se tourne vers la créature, qui s'est rallongée, comme si de rien n'était. La main de Kaïra se pose sur son bras, et il la regarde à nouveau.

- Qu'a-t-elle dit ?

La jeune femme lui répète les propos de la créature, qui font froncer les sourcils à Owen. Est-ce à dire que Limur rapporte un message erroné ? Qu'il ne transmet pas les vrais propos du Grand Maître ? Dame Hilayna s'interroge tout autant et se demande, avec pragmatisme, si elle ne va pas faire préparer une boisson apaisante pour la jeune reine.

- Owen, dit Kaïra. Je suis lasse. J'ai peur. La vision de Dame Hilayna était effrayante. Mais ce matin, j'ai eu moi aussi comme une vision…

Le jeune homme la regarde avec encore plus d'attention.

- J'étais réveillée. Je vous jure que j'étais réveillée. Et durant quelques secondes, le ciel est devenu noir. Comme en pleine nuit. Et pourtant, c'était le matin. Pendant quelques secondes, je n'ai plus perçu aucune lumière, aucune chaleur, les oiseaux s'étaient tus… Je ne percevais plus aucun parfum à monter des jardins, et tout était détruit sous mes yeux… Tout. La mort et la désolation. Voilà ce que je voyais.

Owen porte doucement sa main vers sa joue, pour une caresse réconfortante. Les beaux yeux noirs le fixent. Elle poursuit :

- Puis tout est redevenu normal. Le soleil a réapparu. Les oiseaux ont repris leurs chants. J'ai à nouveau senti le parfum de mes fleurs. J'ai à nouveau senti la chaleur sur ma peau, le souffle du vent léger du petit matin. Et je vous ai vu, traverser les jardins.

Owen hoche la tête : il a effectivement parcouru les jardins ce matin, mais n'a rien remarqué d'anormal. Mais il ne remettrait pas pour autant en cause les dires de Kaïra et de Dame Hilayna. Il prend doucement la main de Kaïra, la serre entre les siennes. Son regard la réconforte un peu, mais ses lèvres tremblent encore. Alors, malgré la présence de Dame Hilayna, il referme ses bras autour d'elle, pour la tenir tout contre lui et lui donner de sa propre force. Les yeux fermés, Kaïra savoure cette étreinte trop brève.

**

Limur et les siens regagnent Rankir le lendemain de cette journée qui fut pesante pour la reine, comme pour Dame Hilayna. Kaïra, malgré les branches de l'Arbre des Nécessiteux et une tisane préparée par Owen, avait eu beaucoup de mal à trouver le sommeil, et c'est avec un visage aux traits un peu tirés qu'elle accueille son fidèle archer. Les conseillers, les Gardiens et Dame Hilayna sont présents eux aussi pour le recevoir.

C'est Lorrek qui prend le premier la parole.

- Cher Limur, vous voici revenu de Salarin. Avez-vous pu remplir la mission qui vous avait été confiée par la reine ?

- Oui, Messire Lorrek. J'ai pu rencontrer le Grand Maître à Sala, où il se trouve avec Maîtresse Akama. Je lui ai transmis votre message, Majesté, et je lui ai fait part aussi des inquiétudes des Gardiens.

- Est-il en chemin, après vous ? demande la jeune reine.

- Il est en chemin. Mais il retourne au Conseil des Gardiens et a demandé à ce que les quatre Gardiens ici présents s'y rendent aussi. Il a dit accepter juste que l'un d'entre vous demeure ici, sauf Maître Owen, si vous le jugiez nécessaire.

- C'est impossible ! s'exclame Dame Hilayna qui n'a plus que faire du protocole.

- Dame Hilayna, le Grand Maître a exprimé son avis et a donné des ordres aux Gardiens, intervient à nouveau Lorrek.

Maîtresse Alana s'avance dans le demi-cercle pour prendre la parole. Owen n'a pas quitté Kaïra des yeux depuis que Limur a commencé à parler et s'il a perçu un éclat de déception dans ses yeux, il voit aussi qu'elle cherche à interpréter autrement le message apporté par Limur. Elle se fie aux dires de la licorne.

- Il me semble, Majesté, que la décision du Grand Maître est sage. Nous retournerons, y compris Owen, au Conseil. Je crois que nous avons perçu, toutes et tous ici, combien des forces inconnues et dangereuses sont en train de surgir. Nous devons aussi absolument prendre une décision en ce qui concerne la licorne. Il nous faudra l'emmener. Mais nous pouvons décider, comme l'a proposé le Grand Maître, de laisser l'un d'entre nous ici. Nous verrons cela entre nous, mais je préconise déjà qu'Olek, qui est le plus aguerri, reste auprès de vous.

- Nous allons alors devoir faire patienter encore un peu plus les prétendants, fait remarquer Van'dal.

- Il le faudra bien, répond Alana.

- Très bien, soupire Kaïra. Qu'il soit fait ainsi.

Dame Hilayna la regarde un peu étonnée : elle trouve que sa souveraine rend bien vite les armes.

- Nous partirons dans deux jours, Majesté, notamment pour être présents demain si nécessaire pour nous adresser aux prétendants et, ensuite, pour nous laisser le temps, entre nous, de préparer notre départ, et notamment celui de la licorne et d'Owen.

Kaïra agrée d'un simple mouvement de tête. Une fois encore, ils vont être séparés.

**

Si Kaïra a donné l'impression d'accepter la décision du Grand Maître et le départ des Gardiens, au fond d'elle-même, il n'en est rien. Mais elle ne sait que faire. Après le Conseil, elle passe un moment dans les jardins, avec Dame Hilayna et ses suivantes. Siwu est là et le bavardage du Gronfall, son humour et ses facéties ramènent un peu de joie dans son cœur.

Par contre, il en faut plus pour calmer les craintes et la volonté de Dame Hilayna. Une fois encore, celle-ci est prête au combat. Aussi, une fois de retour au palais, congédie-t-elle les suivantes pour parler seule avec la reine.

- Majesté, la décision du Grand Maître peut paraître la plus sage, car il est en effet certainement nécessaire que tous les Gardiens se rassemblent pour parler de ces menaces. Ceux qui sont ici, et je ne parle pas que de Maître Owen, les ont ressenties. Il est possible aussi que le Grand Maître ait perçu d'autres signes, d'autres ondes… Ils vont peut-être devoir se préparer à affronter un grand danger. Nous devons le comprendre.

- C'est ce que j'ai fait, Dame Hilayna.

- Oui, oui, bien entendu. Mais même si Maître Olek demeure ici, je ne fais confiance qu'à Maître Owen pour assurer votre protection.

- Et à Maître Olaf, aussi, n'est-ce pas ?

- Oui, bien entendu. Mais il va demeurer au Conseil, pour un temps, c'est certain. Non, je veux dire qu'il n'est tout simplement pas possible que Maître Owen reparte ainsi.

- Il ne peut désobéir. Il est aussi celui qui a affronté le sinuire, qui a trouvé la licorne et a pu l'approcher. Sa présence au Conseil est indispensable.

- Certes, je ne conteste pas ce fait. Je conteste juste le fait qu'il parte et vous laisse sans sa protection.

- Que pouvons-nous faire d'autre ?

- Majesté, vous aurez le droit de me démettre de mon titre de dame de compagnie après ce que je vais dire, mais je vais le dire avec mon cœur et tout l'amour que je vous porte. Il doit vous épouser avant de partir.

Kaïra ouvre grands les yeux, totalement abasourdie par la proposition de Dame Hilayna.

- Qu'avez-vous dit ?

- J'ai dit qu'il doit vous épouser avant son départ. Secrètement. Ainsi, vous n'aurez pas à craindre la moindre tentative de la part des princes de Salarin. Si l'un ose réclamer votre main, ose dire qu'il est dans son droit par rapport à vous, nous pourrons toujours lui prouver qu'il n'a aucun droit sur vous.

- Dame Hilayna, c'est...

Kaïra ne trouve pas les mots. Jamais elle n'aurait imaginé que sa dame de compagnie, la si stricte et rigide Dame Hilayna, fasse une telle proposition. "Les temps changent", songe-t-elle, "pour qu'elle propose un mariage secret... Mais qu'en pensera Owen ?"

- Les Gardiens partent dans deux jours, Dame Hilayna. Il me semble que ce sera difficile à faire.

- Non pas. Cela peut être fait dès ce soir.

- Comment cela ?

- Le prêtre peut être appelé, auprès de vous, comme n'importe quel autre serviteur. Il suffit de trouver deux témoins pour chacun d'entre vous. Je ferai office de l'un d'entre eux. Une de vos suivantes peut être votre autre témoin. Peut-être sera-t-il aussi possible de demander à Siwu. Il restera alors à trouver une autre personne, de confiance.

- Limur, dit la reine.

- Vous voyez... Cela peut être très simple.

- Reste à convaincre Owen...

- Ce ne sera pas le plus difficile, si vous me laissez faire.

Kaïra sourit franchement. Elle et Hilayna échangent un long regard complice. Puis Hilayna sort du salon et se met à la recherche d'Owen, après avoir fait appeler Nijma et lui avoir demandé de trouver Siwu.

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