Chapitre 24 (deuxième partie)

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Ils rejoignent rapidement le campement. Tous, Gardiens comme disciples, sont là à les attendre. Le Grand Maître est le premier à s'avancer vers eux. Son soulagement est visible et ils comprennent qu'il a des révélations à leur faire.

- Prenez un peu de repos, dit-il cependant. Le jour est encore long. Nous allons tenir un premier Conseil tout à l'heure. Prenez le temps de vous occuper de vos chevaux et de prendre un léger repas. Il est possible que nous ayons besoin d'entrer en contact avec les Esprits dans les prochaines heures. Soyez vigilants à ce que vous absorberez comme nourriture.

Tous les trois hochent la tête, vont d'abord s'occuper de leurs monture, défaire leur harnachement, les mener à la rivière. Olaf les accompagne et demande à Owen :

- Tu n'as pas ramené la licorne ?

- Elle n'a pas voulu venir. Elle est libre, et a souhaité rester à Rankir, auprès de la reine.

- Owen, que s'est-il passé exactement ? Comment se fait-il que tu te sois retrouvé là-bas ?

Le jeune homme hésite un instant. Olaf le perçoit.

- Tu ne veux pas me répondre ?

- Olaf, l'heure est trop grave. Nous verrons cela lors du Conseil. Ce n'est pas un manque de confiance vis-à-vis de toi, ajoute-t-il avec sérieux.

- Tu as peut-être raison d'attendre pour parler.

Olaf ébauche un fin sourire, mais son regard demeure inquiet. Il pressent déjà que ce Conseil ne sera semblable à aucun autre.

Deux heures environ après le retour des trois Gardiens, chacun commence à se rassembler sur la place qui a été aménagée au centre des lieux de vie. Un grand feu a été allumé et déjà l'air se charge du parfum de plusieurs plantes et préparations odorantes.

Chacun prend place. Ils sont une bonne quarantaine, Gardiens émérites et appelés, à s'installer, assis, en tailleur. Le Grand Maître est déjà là, près du feu. Olaf prend place près d'Owen, au premier rang. Le jeune homme, comme Agora et Alana, s'y trouve car il va devoir intervenir au cours du Conseil.

Le Grand Maître regarde chacun avec bienveillance, en particulier les plus jeunes, encore en formation. Pour eux, c'est une première. Une fois qu'ils sont tous présents, le Grand Maître prend la parole. Chacun l'écoute avec gravité.

- A tous, je suis satisfait de vous retrouver. Nous allons tenir un grand Conseil et nous ferons certainement appel aux Esprits. Pour les plus jeunes d'entre nous, ce sera un événement particulier, un moment fort de votre vie de futur Gardien ou future Gardienne. Je vous ai demandé d'être présents, car - et vous êtes déjà nombreux à l'avoir perçu - des choses graves se préparent. Des créatures d'un autre monde, d'un autre temps, ont refait leur apparition au cours des lunes écoulées. Les Esprits ont envoyé des signes, à plusieurs d'entre nous, à moi-même également. Nous devons parler de tout cela.

Chacun hoche la tête ou fait un petit signe d'acquiescement. Mais ils restent silencieux, attendant la suite. Le Grand Maître poursuit :

- Comme vous le savez, je me suis rendu en Salarin, car depuis la mort du roi, la tension y est vive et les héritiers s'affrontent. Galiané est l'héritier désigné, mais il n'a guère d'aura auprès des siens, contrairement à son frère, Bramé, qui est parvenu à lever toute une armée, prête à marcher sur Sala pour prendre le pouvoir. Au cours de ce voyage, j'ai tenté d'entrer en contact avec les Esprits, mais c'était difficile. Ils me sont cependant apparus inquiets, peu désireux aussi d'envoyer des signes. C'est une des raisons qui m'ont poussé à revenir ici. Mais je voudrais maintenant que nous écoutions tous avec attention Owen, car il a été directement confronté à ces créatures dont je vous parlais.

Owen se lève. Son regard fait le tour de l'assemblée durant quelques secondes, avant de prendre la parole.

- Je me trouvais avec Olaf, c'était il y a un an. Nous étions chargés d'escorter la reine de Rankir et ses gens jusqu'à la réunion des Régnants. Nous avons dû nous séparer lors de la traversée d'une forêt, car j'avais perçu des ondes négatives sur l'un des chemins que nous pouvions emprunter. Avec Olaf, nous avons convenu que je prendrais le chemin le plus difficile, mais le plus sûr, avec la reine et une petite escorte. C'est lors de l'étape du soir, près d'une rivière en crue, que le sinuire a surgi.

A ces mots, un murmure court parmi les plus jeunes. Tous ont entendu parler de cet animal puissant et terrifiant qui vit dans les eaux.

- Je l'ai combattu, mais pas tué. Il s'était emparé de la reine. J'ai cherché à lui faire lâcher prise et quand ce fut fait, j'ai abandonné le combat pour ramener la reine au rivage. Elle était inconsciente et blessée. Je reconnais avoir sans doute fait une erreur : je n'aurais pas dû rompre le combat, car le sinuire blessé est aujourd'hui plus dangereux encore.

- Le choix était difficile, Owen, intervient le Grand Maître. Tu n'as pas démérité. Si tu avais poursuivi le combat, la reine serait sans doute morte, et la situation en Rankir et Salarin tout aussi complexe que celle d'aujourd'hui. Poursuis, veux-tu ?

Owen hoche la tête et continue :

- Puis le Grand Maître m'a demandé de me rendre en Lessar. Le roi l'avait appelé à la rescousse et n'avait pu se rendre à la réunion des Régnants. J'ai compris pourquoi rapidement. En traversant les terres de Lessar, j'ai senti aussi la peur chez les habitants. Un dragon les menaçait. Je me suis vite rendu compte que j'allais devoir faire face, seul. Il n'était plus temps de vous prévenir, de faire venir un ou deux d'entre vous. J'ai demandé l'aide des Esprits pour savoir comment le frapper. L'Esprit du Feu a guidé mon bras.

- Tu as donc appelé seul les Esprits ? demande l'un des Gardiens, Orav.

- Oui. Je n'avais pas le choix. Mais je l'ai fait à nouveau, depuis.

Il sent un nouveau souffle passer parmi ses compagnons, qu'ils soient Gardiens ou appelés.

- J'ai pu tuer le dragon grâce à l'Esprit du Feu, mais j'ai été blessé. Ma convalescence a été assez longue, et l'hiver s'est installé. Je n'ai repris la route qu'il y a peu pour revenir au Conseil. En chemin, j'ai rencontré Siwu, un ami Gronfall, qui m'a raconté avoir croisé une licorne. Je ne pouvais la laisser sans protection et j'ai à nouveau fait appel aux Esprits pour la trouver. Mais ce fut un contact beaucoup plus difficile que précédemment. Ils étaient agités, inquiets, soucieux. Il m'a fallu rester longtemps avec Eux pour qu'Ils me révèlent l'endroit où se trouvait la licorne, et l'endroit où la mener.

A ces mots, Olaf comprend ce qu'Owen n'a pas voulu lui dire avant le Conseil. Ainsi lui sont apparus deux endroits quand il a demandé aux Esprits où se trouvait la licorne, et que Ceux-ci ne se sont pas contentés de lui donner des indications concernant cet endroit. Son regard quitte le visage de son ami pour se poser sur celui du Grand Maître et il comprend que ce dernier s'est sans doute fait les mêmes réflexions que lui. "Pour que les Esprits aient donné autant à Owen, c'est qu'Ils ont foi en lui. Nous devons faire de même."

Mais Owen continue son récit et Olaf reporte son attention sur lui :

- C'est la raison pour laquelle je ne suis pas revenu ici avec la licorne, mais je l'ai menée en Rankir, comme me l'avaient demandé les Esprits. Une fois là-bas, je lui ai rendu sa liberté et la reine la lui a accordée de même. La licorne n'a pas voulu revenir avec nous, alors que je m'étais engagé auprès d'elle à l'aider à retourner dans son monde. Elle a dit que sa place était auprès de la reine. Nous n'avions aucun moyen de la contraindre.

Et il se tait.

Le Grand Maître fait un léger signe, invitant Owen à se rasseoir. Le jeune homme s'exécute aussitôt, alors que le Grand Maître se tourne vers Alana.

- Alana, peux-tu nous parler de ta propre mission ?

- Selon vos ordres, avec Agora et Olek, je me suis rendue en Rankir. La reine avait demandé l'épreuve du Blanc Cerf, lointaine tradition qui permettrait de départager plusieurs prétendants à sa main. L'épreuve s'est déroulée tout à fait normalement, nous y avons veillé. Jusqu'à ce qu'Owen offre la licorne à la reine.

Un silence accueille ses paroles. Chacun échange un regard avec son voisin ou sa voisine. L'étonnement, l'incrédulité, l'incompréhension s'affichent sur les visages. Le Grand Maître a froncé des sourcils. Puis une voix retentit :

- Qu'as-tu fait, Owen ?

Le jeune homme se relève, il n'est pas parvenu à identifier celui qui a parlé, mais il répond :

- Oui, j'ai offert la licorne à la reine. C'était le souhait des Esprits. Mais aussi le mien.

**

Ses mots déclenchent une vraie cacophonie, chacun ressentant le besoin d'exprimer haut - et parfois fort - son trouble, ses pensées. Le calme revient difficilement. C'est seulement le Grand Maître, en se levant à son tour, qui parvient à faire revenir un semblant d'apaisement.

- Owen, tu as dû prendre des décisions difficiles face à des situations qui l'étaient tout autant. Mais tu as sans doute pris trop de libertés avec la licorne. Il fallait la mener ici. Une licorne qui entre dans le monde des humains n'y vient jamais par hasard. Elle avait un message à délivrer et nous devions l'entendre. Nous sommes habilités à le faire.

- Ce message n'était pas pour nous, mais pour la reine. Alana, Agora ou moi-même pouvons le répéter.

Alana s'avance à son tour et dit :

- Puis-je le répéter ?

Le Grand Maître opine.

- Agora confirmera mes dires. Voici ce que la licorne a dit devant la reine :

Noble est le cœur de votre Majesté

Toujours à lui elle peut se fier.

Cœur perdu, cœur retrouvé,

Amour, courage et volonté

Sur vous désormais vont veiller.

Un étrange silence accueille ses mots. Alana regarde chacun. Agora fait un signe pour montrer qu'elle confirme avoir elle aussi entendu ces propos. Alana, même sans y avoir été invitée, reprend la parole :

- Grand Maître et vous tous, oui, Owen a été au-delà de ce qu'il devait faire, mais je crois qu'il a fait ce qu'il devait faire. Même sans l'épreuve du Blanc Cerf, il devait ramener la licorne à la reine. Ce message lui était destiné. Mais je voudrais ajouter autre chose, et Agora confirmera mes dires, et je pense qu'Owen pourra les préciser. Durant notre séjour en Rankir, nous avons tous, et Olek aussi, ressenti des ondes négatives. Un danger plane sur ce royaume, sur la reine. Nous avons tous les quatre eu des visions, des rêves nous faisant part de ce danger.

- Agora ? demande le Grand Maître qui s'est rassis quand Alana a repris la parole.

- Je confirme tous les propos d'Alana. Olek aussi a perçu le danger. C'est aussi pour cela que nous avons décidé qu'il resterait en Rankir, car il était le plus aguerri d'entre nous. La reine et ses proches ont conscience du danger. Mais j'ajouterai autre chose, Grand Maître. Quand nous sommes arrivés en Rankir, à votre demande, pour proposer à la reine d'épouser le prince Bramé afin de faire revenir le calme dans le royaume de Salarin, nous avons senti ses réticences. Celles-ci n'ont fait que se confirmer par la suite. La reine ne veut épouser aucun des princes de Salarin. Elle ne veut pas non plus que son peuple - ses peuples, devrais-je dire - tombe sous leur coupe. Elle ne leur fait pas confiance. Je crois que la reine a perçu que le danger venait d'eux, même si elle ne nous l'a pas exprimé clairement.

Owen prend alors la parole :

- Lorsque j'ai mené la licorne à la reine, et une fois qu'elle lui avait délivré son message, j'ai aussitôt senti une menace. Un homme a pris la parole, un proche du prince Bramé. De cet homme émanait une aura néfaste. J'ai dû faire barrage pour que son onde n'atteigne pas la reine.

- Aucune onde ne pouvait atteindre la reine, Owen, à cet instant, et tu le sais très bien, dit Agora avec un léger sourire. Tu faisais écran.

Le jeune homme hoche la tête, mais n'ajoute rien. Olaf, qui suit avec beaucoup d'attention toute la discussion, a déjà tout compris. Mais il ignore encore le plus secret.

- La situation est vraiment très préoccupante, dit le Grand Maître. Il ne s'agit pas simplement d'une tension entre deux frères pour prendre le pouvoir dans un royaume. Aujourd'hui, cette tension déborde de ses frontières pour menacer aussi un royaume voisin, et peut-être, demain, d'autres encore. Mais le plus préoccupant pour nous est l'apparition de ces créatures de l'autre monde, et ces visions, perceptions menaçantes que nous avons eues. Je vous ai dit avoir également ressenti ces ondes, et d'autant plus quand nous étions en Salarin. Ce que tu as dit, Owen, concernant cet homme, proche du prince Bramé, est important. Je crois que nous allons, tous, devoir nous rendre sur l'Ile aux Esprits.

Un frisson court parmi les appelés. Aucun encore ne s'est rendu sur l'Ile aux Esprits. Aucun encore n'a été en contact avec Eux. Cela ne peut se faire habituellement avant la fin de leur formation.

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