Chapitre 29 (deuxième partie)

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Le combat s'engage réellement peu avant midi. Du plus haut du palais, Kaïra a pu observer l'avancée des troupes ennemies. Durant plusieurs heures, les soldats de Rankir se battent courageusement et, malgré les forces opposées, parviennent à retenir les soldats assez loin dans la plaine, laissant ainsi la ville à l'abri. Les heures s'égrènent lentement, mais la fin du jour leur laisse espérer un peu de répit. Il n'en est rien, cependant, et l'armée adverse semble pouvoir continuer le combat indéfiniment. "Quelle est cette folie ?", se demande Lorrek qui mène les siens. "Quelle est cette folie ?", se soucie Olek qui a rejoint les troupes de cavaliers et lance régulièrement des offensives sur les flancs de l'adversaire. "Quelle est cette folie ?", s'inquiète Dame Hilayna qui reste aux côtés de Kaïra alors que, malgré le soir, le vacarme des armes qui s'entrechoquent ne s'estompe guère.

Siwu est resté proche de la reine aussi, durant toute la journée. Avec le soir, la jeune souveraine est rejointe par la licorne. Son aura bleue est désormais bien visible, en haut de la plus haute tour de l'enceinte de la ville faisant face à la plaine. Quand, de fatigue ou de blessure, des soldats de Rankir portent le regard en arrière et qu'ils remarquent cette douce lumière, l'espoir revient en leur cœur et ils retrouvent force et volonté. Mais face à une nuit d'un noir profond, la pâle lueur, doucement, s'étiole. Même si elle ne s'éteint pas encore.

- Il vous faut partir, Majesté, dit la licorne. C'est vous que le serviteur du Seigneur des Ténèbres va chercher. Vous ne pouvez pas rester plus longtemps ici. Si ses yeux portent loin le jour, ils portent aussi loin la nuit. Mais il est des profondeurs qu'il ne peut encore percer.

Elle a tourné sa fine tête vers Siwu en prononçant ces mots. Le Gronfall hoche la tête.

- Je peux vous mener en un lieu encore à l'abri, Majesté, dit-il avec sérieux. Mais il faut partir sans tarder.

- Et abandonner les miens ?

- Un jour, vous reviendrez, dit la licorne. Il est des combats qui se mènent loin des champs de bataille. Vous portez le fruit de l'espérance. Ne le laissez pas mourir.

Kaïra reste silencieuse, mais son regard se porte vers le ciel, cherchant l'étoile d'Owen. Malgré les nuées sombres, elle peut la distinguer. Cette vision la réconforte, mais elle ne parvient pas à accepter l'idée de quitter ses peuples, de quitter sa ville. Puis elle regarde Hilayna, qu'elle trouve bien silencieuse depuis ces dernières heures. Elle comprend soudain que si la gouvernante est restée muette, c'est pour ne pas s'opposer à elle. Mais qu'Hilayna est convaincue qu'il faut partir, maintenant. Kaïra garde bien en mémoire la vision que sa dame de compagnie avait eue, en rêve, celle du Seigneur des Ténèbres.

- Faites venir les conseillers, ordonne-t-elle simplement.

La décision d'organiser le départ de la reine est prise rapidement. Elle confie les clés de la cité à Van'dal. Lorrek conserve toute l'autorité sur l'armée. Quant à Flonara, elle et les siens apportent autant d'assistance et de secours aux Humains que possible.

Alors que les suivantes s'activent sous les ordres de Dame Hilayna à quelques préparatifs pour le voyage, la reine se rend, suivie par la licorne, dans la Salle des Morts. Elle veut prier, une dernière fois, sur les tombes de son père et de sa mère. Elle n'était pas venue ici depuis son couronnement et l'atmosphère austère, mais aussi silencieuse du lieu, lui apporte un calme un peu étrange en ces heures difficiles. Elle espère que la Salle des Morts ne sera pas vandalisée, si jamais la ville devait tomber. Face aux deux gisants, elle s'agenouille, s'absorbe dans ses prières. Elle reste ainsi, un long moment, avant de se redresser, puis elle fait le tour de chacune des tombes, terminant par celle de sa mère.

Elle fait courir sa main sur la pierre froide et polie. Les bras de la statue reproduisant le corps de la reine Kehma sont croisés sur sa poitrine, en une attitude de paix et de recueillement, la main droite repose légèrement sous son sein gauche. Pour la première fois, Kaïra remarque que, dans cette main, a été sculptée une petite branche portant un bouton de rose. Elle la caresse du doigt et, soudain, elle ressent une aura particulière l'entourer, comme un souffle léger, mais invisible. Fermant les yeux, des images surgissent dans son esprit : une forêt, une source, la silhouette d'une toute jeune fille, presque encore une enfant, aux cheveux sombres comme les siens. Un instant, Kaïra croit qu'il s'agit d'elle-même, tant la jeune fille lui ressemble quand elle était elle-même adolescente, juste avant la mort de son père. Mais ce qui la fait douter est l'autre personne qui se trouve auprès de la jeune fille, celle d'un homme qui lui rappelle instantanément Owen, de par sa morphologie, sa démarche, et le grand manteau brun qu'il porte toujours. Mais les traits de son visage, sans pour autant lui être inconnus, ne sont pas ceux d'Owen.

La vision s'efface, Kaïra rouvre les yeux. Sous sa main, la fleur de pierre palpite comme un petit cœur endormi.

**

Une nuit sombre et sans lune s'étend sur la plaine. Le fracas des armes n'a pas faibli, mais l'obscurité et la fatigue vont rendre difficile la résistance des soldats de Rankir. Pourtant, vaillamment, pied à pied, ils vont lutter et permettre aux derniers habitants de fuir et aux blessés d'être évacués. Parmi eux, une petite troupe quitte le palais. Trois archers Aériens planent au-dessus des six cavaliers. Ils emportent peu, mais l'essentiel.

Alors qu'ils franchissent la porte sud de la ville, l'un des cavaliers tourne son visage une dernière fois vers ses murs, embrassant d'un même regard la plaine où commencent à brûler de grands feux et où le combat se poursuit, la ville si belle encore mais déjà offerte au sacrifice, et le ciel où de lourds nuages d'orage tentent de masquer la lumière des étoiles.

Très vite, ils s'éloignent de la plaine et de la bataille, mais son écho les poursuivra longtemps. Ils cheminent d'abord le long du rivage où la mer vient fracasser ses vagues sur les falaises abruptes. Vers l'ouest, la côte est plus découpée, plus dangereuse aussi que vers le sud et l'est, et ils ne s'en approchent guère. Leur guide leur fait soigneusement éviter les villages endormis, les bois touffus, préférant la lande à travers laquelle il est aisé de chevaucher et de s'éloigner ainsi rapidement de la ville. Ils ne prennent du repos qu'au lever du jour, avant de repartir à nouveau et de se perdre dans les confins du royaume de Rankir.

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