Chapitre 34 (deuxième partie)

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Quand le soir arrive, la troupe menée par Owen et comptant les trois Gardiens, Alora la jeune appelée, la reine Kaïra et ses deux suivantes, Nijma et Naïna, ainsi que Limur et Siwu, est parvenue au-delà de la grande plaine qui mène à la ville de Rankir, laissant cependant cette dernière sur leur droite. Là où ils sont passés, ils ne pouvaient voir les murs de la ville, mais ils ont traversé des villages abandonnés, marqués par le combat. Owen a fait son possible pour les éviter, étant passé par là quelques jours auparavant avec Olaf et Alora, mais il était parfois impossible de couper court. Le spectacle qui s'est alors offert à leur vue était terrible.

Ils décident de faire étape pour la nuit près d'une petite rivière tranquille. Pendant qu'Alora s'occupe du feu et du repas avec Nijma et Naïna, Owen, Olaf et Olek s'occupent des chevaux, les pansent et les mènent à la rivière pour qu'ils puissent boire et manger de l'herbe fraîche. Kaïra s'est assise sur une grosse pierre ronde, et Siwu lui fait la conversation. Owen s'approche d'elle et s'agenouille à ses côtés, puis lui prend les mains avec tendresse.

- Vous êtes soucieuse, mon aimée, dit-il.

- Oui… Ces villages, ces morts… Je sais que vous vous êtes efforcés de m'épargner le plus pénible, mais j'en ai vu assez pour faire des cauchemars durant longtemps. Ce qui s'est passé là est effroyable, Owen.

- Ce fut très dur pour nous aussi, quand nous sommes venus du Conseil et que nous avons traversé la plaine il y a quelques jours.

- Est-ce à dire que tous ceux qui vivaient là sont morts ?

- Il faut espérer que certains aient pu se mettre à l'abri… Mais nous ne pouvons pas en être sûrs, répond-il avec gravité.

Elle n'ajoute rien et frissonne. Owen resserre ses mains autour de celle de Kaïra. Elle soupire et reprend :

- Nous allons affronter quelque chose d'effroyable, n'est-ce pas ?

- Oui, répond Owen avec fermeté. Mais nous ne serons pas seuls. Des forces se mobilisent pour nous soutenir. J'ai foi aussi en la force des Gardiens réunis.

- En espérant que nous ne rejoindrons pas les vôtres trop tard…

- Je ne le pense pas, mon aimée. L'ennemi paraît fort, mais tout être a ses faiblesses.

- Trouverons-nous celle de ce Seigneur des Ténèbres ?

- Il le faut si nous ne voulons pas que ce monde ne devienne ruines et sang. Ayez confiance.

Leurs regards se croisent et Kaïra sent son cœur gonfler. Oui, Owen a raison. Ensemble, ils sont plus forts, elle ne doit pas laisser la tristesse et le découragement l'envahir alors qu'ils sont proches de combattre.

- Allons manger, mon aimée, dit Owen. Vous avez besoin de reprendre des forces et de bien dormir. Je veillerai sur votre sommeil.

- Vous resterez près de moi ? s'inquiète Kaïra.

- Oui, répond-il avec fermeté.

Le repas se passe dans le calme, Nijma et Naïna veillent au mieux au confort de Kaïra, mais celle-ci leur fait aussi comprendre qu'ils n'ont pas à perdre de temps en préparatifs inutiles. Il ne s'agit plus là d'un voyage de représentation comme ils l'ont fait vers Altassaïr, mais d'aller au plus vite vers Sala. Les Gardiens et Limur vont se relayer toute la nuit pour assurer une veille sur le campement, entretenant aussi le petit feu. Les deux suivantes, Alora et Kaïra sont exclues des tours de garde, mais quand Owen se relève, en pleine nuit, pour veiller à son tour, Kaïra est réveillée et elle le rejoint peu après, alors qu'il s'est assis près du feu et que son regard et son intuition sondent la nuit, scrutant par moments les étoiles.

- Vous ne dormez pas ? demande-t-il tout bas alors qu'elle s'assoit à ses côtés.

- Non, je n'y parviens pas. Je vais rester un moment avec vous, si vous le voulez bien.

Owen sourit dans le noir et ouvre ses bras à Kaïra qui vient se blottir contre lui. Le grand manteau du Gardien se referme sur eux, leur apportant un peu d'intimité, mais les protégeant aussi de la fraîcheur de la nuit. Il dépose un baiser sur son front, mais bien vite, la jeune femme lui tend ses lèvres qu'il prend avec joie. Puis sa main vient se poser sur son ventre, le caressant doucement.

- Je vous aime, souffle Kaïra quand ils rompent leur baiser.

- Moi aussi, je vous aime, lui répond Owen dans le creux de l'oreille. Et je voudrais vous le montrer aussi, au creux d'un lit… mais ce sera pour plus tard. Pas… ici.

Il devine le sourire de la jeune femme, dans le noir, et ils resserrent l'un l'autre leur étreinte.

Finalement, le sommeil prend Kaïra alors qu'Owen veille encore, et il la laisse s'endormir contre lui. Il a deviné qu'elle avait besoin de sa présence, de se sentir réconfortée après l'épreuve qu'a représenté pour elle la traversée des villages martyrs.

**

C'est au bout de deux nouvelles journées de chevauchée qu'ils parviennent aux frontières de Sala. Après la traversée de la grande plaine de Rankir, ils ont en partie repris le chemin qu'ils avaient parcouru pour se rendre en Petimont, mais ont coupé plus court le deuxième jour, pour pouvoir prendre une route plus directe vers Sala et non vers Ménaru. Owen, comme Olaf et Olek, pense que le Grand Maître a conduit les leurs vers la capitale, pour tenter d'élucider les circonstances de la mort d'Onev, et non vers la cité du prince Bramé.

Du moment où ils ont franchi la frontière entre le royaume de Rankir et le royaume de Salarin, les Gardiens ont été sur leurs gardes. Ils l'étaient déjà, mais c'est avec une prudence et une vigilance accrues qu'ils entrent sur ces terres où ils savent qu'ils auront un terrible combat à mener. Olek, Olaf et Owen ne cessent de sonder les alentours, au fur et à mesure qu'ils progressent. Alora devine ce qu'ils font, mais ne peut encore les aider. Elle demeure cependant elle aussi sur le qui-vive.

Les deux premiers jours, leur voyage se déroule aussi calmement qu'en Rankir. Nulle trace cependant du passage d'une armée, pas de villages détruits, pas de ruines, pas de marques d'un combat. La petite troupe évite aussi au maximum les villages et lieux habités. Alors qu'ils cheminent encore en cette fin de journée, Kaïra interroge Olaf qui se trouve près d'elle :

- Maître Olaf, qu'est devenue l'armée que les miens ont affrontée ? Nous avons vu les preuves de son passage sur mes terres, mais ici, plus rien. Quel est ce mystère ?

- Majesté, cela fait partie de la magie noire du Seigneur des Ténèbres. Il peut aller et venir aisément, se cacher sous bien des formes et disparaître aussi subitement qu'il est apparu. Il en va de même pour ses soldats. Mais nous les retrouverons, tôt ou tard.

Kaïra frissonne en entendant cette réponse. Cette magie lui fait peur, mais il lui revient aussi quelque chose en mémoire, ce qu'Olek confirme.

- Cette "magie" explique-t-elle la force que mes soldats ont eu à combattre ? Cette impression de ne pouvoir endiguer le flot des assaillants ? Qu'ils étaient animés d'une force supérieure à toute force humaine ?

- Oui, Majesté, répond Olaf.

- Majesté, intervient Olek, c'est exactement cela. Cette force qui a habité les soldats est la même que celle que possède le Seigneur des Ténèbres. Ce sera celle, aussi, que nous aurons à affronter.

- Elle est puissante..., fait remarquer Kaïra.

- Oui, mais nous pouvons aussi lui opposer notre propre puissance, dit Olaf avec sagesse. C'est en tout cas ce que nous devons faire.

Owen n'a rien dit, mais a écouté avec attention leur discussion. Il est particulièrement vigilant à toutes les remarques et impressions de Kaïra, mais cela sera encore plus notable au cours de la nuit suivante.

Ils sont parvenus non loin de Sala ; il reste encore plusieurs lieues avant d'atteindre la ville et s'ils poursuivent ainsi leur route, ils y arriveront à la nuit noire, ils décident alors de faire halte et de terminer leur voyage seulement au petit matin. Toute la journée, et de manière de plus en plus marquée, les Gardiens ont senti la force du Seigneur des Ténèbres, ses ondes maléfiques les entourant. Ils ont dû faire preuve de beaucoup de cohésion pour repousser ses assauts et protéger leur petit groupe. Les trois jeunes femmes et Limur n'ont cependant rien ressenti de ce combat, hormis une concentration plus forte encore de leurs compagnons.

Ils se trouvent en haut des monts qui entourent la grande plaine où la ville de Sala a été érigée. Le Grand Maître et les Gardiens sont arrivés par l'ouest, eux viennent du sud. Ils s'arrêtent sur un grand promontoire rocheux, d'où ils peuvent observer toute la plaine. Déjà, dans la ville, s'allument les premières lueurs du soir.

- Voilà Sala, dit Owen.

- Je me souviens de l'avoir vue de par ici, dit Kaïra, quand nous en étions repartis. Nous avions bien pris cette route, n'est-ce pas, Maître Olaf ?

- Oui, Majesté. Mais, pour demain, nous irons au plus court. Il existe un chemin plus étroit, certes, que celui que nous avions pris, mais nous voyageons léger et nous gagnerons un temps précieux pour arriver jusqu'aux portes de la ville.

Alora s'est portée en avant, aux côtés d'Owen qui sonde la ville et la plaine. Elle retient avec peine un tremblement, ce qui n'échappe pas au jeune homme.

- Qu'y a-t-il, Alora ?

- Cela... Cela sent la mort, Maître Owen, dit-elle après une hésitation.

- Oui, répond-il, je la sens aussi. Mais je ne sais pas encore si elle est déjà l'œuvre du Seigneur des Ténèbres ou si elle se manifestera dans les jours à venir.

- Hum, hum, dit simplement l'adolescente en réponse.

- Bien, dit Owen, en faisant se retourner Ingir pour faire face à leurs compagnons, installons-nous ici. Je pense que c'est un bon endroit.

Il prononce cette dernière phrase en regardant Olaf et Olek et ceux-ci agréent simplement. Bien vite, Siwu et les deux suivantes se mettent en charge de préparer un repas et Olaf s'occupe du feu. Il installe le foyer dans une anfractuosité de rocher, comme pour être à l'abri. Il veut surtout rester le plus discret possible. Comme les autres soirs, ils instaurent un tour de garde. Owen prend la première veille. Alors que ses compagnons s'étendent sur les couches improvisées, que les chevaux sont au calme près de la falaise, que Limur a trouvé un abri dans un arbre, lui s'avance jusqu'au promontoire. Il distingue très nettement les lumières de Sala, là-bas, dans le lointain.

Le jeune homme s'assoit en tailleur et se place en méditation. Lentement, son esprit s'envole vers les étoiles, trouvant d'abord la sienne, puis celle d'Olaf, d'Olek, celle du Grand Maître, celle de son ancienne Maîtresse, Adena. Un grand calme l'habite. Les siens sont là, tout proches. Ceux parmi lesquels il a vécu depuis sa petite enfance, ceux avec lesquels il se sent tant d'affinités, de compréhension des mondes - le leur, celui des Esprits -, ceux qu'il va rejoindre pour combattre et qui, déjà, font face.

C'est Olek qui le relaie quelques heures plus tard. Ils parlent un moment à voix basse, échangeant leurs impressions sur cette nuit sombre, mais calme. Puis Owen rejoint Kaïra, étendue non loin de Nijma et de Naïna. La reine ne se réveille pas quand il se couche à ses côtés, mais il referme le pan de son manteau sur eux et la prend contre lui. Très vite, il s'endort à son tour. Mais il est réveillé, bien avant le matin, par Kaïra qui s'agite, gémit par moment. Il devine qu'elle fait un rêve ou peut-être un cauchemar. Elle commence à se débattre, s'emmêle dans les pans des manteaux. Bien réveillé, Owen tente de la sortir de son rêve, sans gêner les autres dormeurs. Il a jeté un coup d'œil vers le feu, entretenu par Olek qui veille encore. "L'heure du relais avec Olaf n'est pas encore venue", songe-t-il.

- Kaïra, souffle-t-il à son oreille, Kaïra, mon aimée... Que vous arrive-t-il ?

- Owen... au secours... au secours..., s'agite la jeune femme encore endormie.

- Kaïra, réveillez-vous !

Enfin, elle ouvre les yeux, s'agrippe à lui, serrant fort son bras. Il la serre contre lui doucement, lui caressant le dos, la nuque.

- Oh, Owen... C'était horrible...

- Vous êtes réveillée, ma douce, calmez-vous et racontez-moi...

- Je dormais... Tout était calme, tout allait bien... Puis j'ai senti quelque chose de froid s'enrouler autour de ma jambe. Cela m'a rappelé... le sinuire, dit-elle dans un souffle en cherchant le regard du jeune homme. Comme si l'un de ses anneaux se resserrait sur moi, pour m'entraîner encore vers le fond.

Owen reste silencieux. Jamais Kaïra ne lui avait parlé des impressions laissées par son enlèvement par le sinuire. Ses descriptions sont très précises et, en effet, ce rêve est très proche de ce qu'elle a vécu et ressenti quand elle s'est fait happer par l'animal, puis qu'il l'a entraînée sous l'eau.

- Que signifie ce rêve ? demande encore inquiète la jeune femme.

- Cela affirme la présence du Seigneur des Ténèbres. Je vais veiller pour la fin de nuit, vous pourrez dormir tranquille.

- Vous avez besoin de sommeil aussi, Owen, soupire Kaïra.

Il sourit doucement :

- N'ayez crainte, je dormirai, mais ma protection s'étendra à vous. Vous souvenez-vous de l'épreuve du Blanc Cerf ? Quand je me tenais devant vous après que vous aviez libéré la licorne ?

- Oui, je m'en souviens très bien... J'ai bien cru vous reconnaître à ce moment-là.

- Vous vous rappelez donc de l'intervention de l'homme de Bramé ?

- Oui, répond Kaïra en ne pouvant réprimer un frisson.

- Cet homme portait le mal en lui, il est l'un des serviteurs du Seigneur des Ténèbres, maintenant, j'en suis certain. Je vous ai protégée par mes propres ondes mentales, pour qu'il ne vous atteigne pas.

Kaïra réfléchit, revoyant ce moment.

- Oui, c'est vrai, je me souviens de cela.

- Alors, rendormez-vous sereine. Je suis là.

Kaïra vient se blottir plus près d'Owen, refermant aussi son petit bras autour de la taille solide et musclée du Gardien. Elle n'a pas encore vraiment bien conscience de leur force commune, mais connaît celle du jeune homme. Elle se doit de lui faire confiance, en toutes circonstances.

Le rêve de Kaïra n'a pas laissé Owen indifférent et tout en cherchant son sommeil, alors que la jeune femme s'est rendormie contre lui, il réfléchit encore à cette vision. L'esprit tourmenté du sinuire est là aussi, cela ne fait plus aucun doute. Il cherche encore sa proie, celle qui lui a échappé par miracle. Kaïra peut être en danger à Sala, comme eux tous, mais elle est aussi une force pour lui.

Tournant la tête vers la voûte étoilée, Owen cherche son étoile et la voit, douce et brillante. Il entend Olek faire quelques pas, puis réveiller Olaf. Les dernières heures de la nuit s'avancent.

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