Chapitre 35 (troisième partie)

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C'est avec une véritable escorte de Gardiens et de Gardiennes que Kaïra entre dans la salle de réception. Jébora, Jarbek et Bramé s'y trouvent déjà, ainsi que les dignitaires vivant au palais. L'ambiance est feutrée, les visages sont tristes. Mais, pour certains des Gardiens, la tristesse n'est qu'une façade. Avec prudence cependant, ils se gardent de "sonder" Bramé et les siens et, hormis le Grand Maître, aucun ne se permettra ce genre d'approche avec ceux qu'ils considèrent déjà comme les serviteurs de leur ennemi.

En la voyant entrer, le prince Bramé ne peut retenir un éclat dans son regard et un sourire qui fait froid dans le dos à la jeune reine : il est toujours aussi envieux et elle devine qu'il n'a pas abandonné l'idée de la faire sienne.

- Majesté, je ne m'attendais pas à vous voir ici, chez nous, commence Bramé en la saluant bien bas. Mais je me réjouis de l'asile que nous pouvons vous offrir en ces heures difficiles. Pardonnez cependant que nous vous recevions en plein deuil.

- Je porte aussi le deuil, Prince Bramé, dit Kaïra pour rappeler les circonstances de sa présence. Non le deuil d'un prince, même si je m'associe à votre peine, mais le deuil de mon peuple qui a péri. J'ai plus d'un mort à pleurer.

- Hélas, oui ! dit Bramé. Mais je vous vois ici sans Dame Hilayna... Pardonnez ma question, mais...

- Dame Hilayna se porte aussi bien que possible, répond Kaïra avec hauteur. Du moins comme on peut se porter quand on a sous les yeux les conséquences d'un massacre et que l'on doit soutenir les vivants qui pleurent et les blessés qui souffrent.

- Ceux qui ont porté les armes contre les vôtres en paieront les conséquences, dit Bramé avec une certaine emphase.

Kaïra ne lui répond pas, mais la colère grandit dans son cœur. Cet homme, si Owen, Olaf et Olek ne se trompent pas, a combattu les siens. Il est un des suppôts du Seigneur des Ténèbres et il ose parler ainsi ! Malgré toute la maîtrise qu'elle possède d'elle-même, il lui vient l'envie de le gifler et de faire rentrer ses paroles jusque dans sa gorge. Feignant d'ignorer cette colère, Bramé esquisse un petit salut envers les Gardiens qui entourent Kaïra.

- Maître Olaf, Maître Owen, je vois que vous prenez toujours grand soin de la reine de Rankir.

- Elle est sous notre protection, dit Olaf. Ici, comme ailleurs. Partout et toujours.

Un éclat de colère s'allume dans le regard de Bramé alors qu'il fixe Owen droit dans les yeux. Ce dernier n'a rien dit, il se tient simplement bien droit aux côtés de Kaïra. Il ne la touche même pas, mais Bramé perçoit très nettement la protection que le jeune Gardien offre à la reine. Il lui sera encore plus difficile de l'approcher que lorsqu'elle se trouvait à Ménaru. Owen sera un adversaire redoutable, il le pressent, même s'il ignore encore l'étendue de sa force.

La princesse Jébora intervient à ce moment-là et dit :

- Majesté, le repas est simple, comme le veut le deuil que nous portons. Veuillez m'excuser de ne pas vous proposer un moment de détente plus gai et plus convivial.

- Ne vous excusez pas, Princesse, répond Kaïra. Je vous ai dit que je voulais m'associer au deuil du prince Galiané. Je partagerai ce repas en toute amitié.

Mais en prononçant ces quelques mots, son regard s'est porté vers Jarbek qui incline légèrement la tête. Puis tous les convives prennent place à table. Si Bramé et Jébora président le repas, à égalité au milieu de la grande table dressée en U, le Grand Maître et les Gardiens se trouvent sur les côtés, avec Kaïra. Jarbek, lui, dîne non loin de sa sœur.

S'il s'agit d'un repas de deuil, les conversations n'en sont cependant pas absentes, mais les voix restent basses, les propos souvent chuchotés. Le repas ne se prolonge d'ailleurs pas, ce qui soulage Kaïra. Les regards de Bramé s'attardant sur elle lui rappellent les mauvais souvenirs de leur court séjour à Ménaru et elle n'est pas fâchée de quitter la salle de réception assez tôt dans la soirée. Toujours escortée par Owen et Olaf, mais aussi par Adena et Limur, elle gagne sa chambre. Siwu et ses deux suivantes l'y attendent. Les trois Gardiens entrent avec elle, mais tous peuvent voir la fatigue et le soulagement de la jeune souveraine quand elle se laisse tomber dans son fauteuil, portant un instant la main à son front.

- Voulez-vous une tisane, ma reine ? demande Owen en s'approchant d'elle.

- Cette journée m'a épuisée, dit-elle. Bramé...

- ... vous fait peur. Je sais, je le sens.

- Que devinez-vous d'autre ? demande-t-elle, inquiète, en se redressant.

- La menace se précise. Mais je pense que tant que le prince Galiané n'aura pas été porté dans la crypte sacrée, nous aurons encore un peu de répit. Ce n'est pas un hasard, cependant, que Bramé soit déjà là.

- Il veut le trône, il est maintenant le mieux placé pour l'obtenir...

- Certes, mais cela ne signifie pas qu'il l'aura.

- Même avec l'aide du...

- Oui. Et même sans notre intervention. La princesse Jébora n'entend pas lui céder la place si facilement.

- C'est aussi ce que je pense, Majesté, dit Adena en s'approchant à son tour.

La Gardienne n'a fait aucune remarque à Owen, mais elle note bien soigneusement l'attitude de son ancien disciple à l'égard de la jeune souveraine. Pour elle aussi, désormais, il est bien clair que le lien qui existe entre les deux jeunes gens n'est pas de nature concevable pour un Gardien, mais si, un instant, elle se demandera où elle-même a failli dans l'apprentissage qu'elle a dispensé à Owen, elle ne lui en voudra pas : elle a bien mesuré que des choses bien plus importantes que l'amour entre un Gardien et une Régnante étaient à l'œuvre et que leur combat contre le Seigneur des Ténèbres devait prendre le pas sur toute autre considération.

Kaïra, ne soupçonnant pas les pensées d'Adena, regarde Owen et dit :

- Je crains la nuit qui s'avance. Le pouvoir du Seigneur des Ténèbres est plus grand encore, nous l'avons mesuré à Rankir.

- Vous ne serez pas sans protection, intervient Olaf. Nous veillerons avec Limur.

- Merci, Maître Olaf. Sans moi, vous seriez plus libres d'agir car vous n'auriez pas à vous préoccuper de ma protection.

- Nous nous préoccupons de votre protection, comme nous nous préoccupons de la nôtre, dit Olaf.

Ces paroles ne sont pas sans étonner Adena et elle se promet de s'entretenir avec Olaf dès que cela lui sera possible. Pendant ce temps, Owen s'est redressé et alors que Siwu fait chauffer de l'eau, il prépare une boisson apaisante. Puis il dit :

- Je dois retourner auprès du Grand Maître, mais Olaf et Adena vont rester avec vous, dit-il.

Kaïra ne répond rien, mais hoche simplement la tête. Une fois Owen parti, Olaf et Adena quittent aussi la chambre de la reine pour lui permettre de se préparer pour la nuit. Ils conviennent de veiller à sa porte.

- Je ne suis pas mécontente de parler avec toi un moment, Olaf, dit Adena, alors qu'ils s'installent sur deux fauteuils, à côté de la porte de la reine. Il se passe beaucoup de choses, mais nous n'avons pas forcément le temps d'échanger sur nos impressions. J'ai écouté avec attention tout ce que vous avez dit, mais des interrogations demeurent. Et tu viens d'en susciter une nouvelle.

- Ah ? Laquelle ?

- La façon dont tu parles de protéger la reine Kaïra. Certes, elle mérite notre protection et toi et Owen aviez été chargés de l'escorter jusqu'en Petimont, pour la réunion des Régnants. Je comprends donc que vous assuriez à nouveau sa protection, mais...

- Les raisons qui nous poussent à la protéger sont bien différentes de la mission que nous avions effectuée en Petimont et, pour tout avouer, n'ont pas grand-chose à voir avec ce voyage. Certes, au cours de ce dernier, nous avions déjà perçu des signes concernant notre ennemi, mais, depuis, beaucoup de choses se sont produites. Et des choses d'importance.

- La bataille de Rankir en est une...

- Oui. L'apparition de la licorne en est une autre, dit Olaf. Mais aussi...

Le Gardien marque un temps d'arrêt, son front s'est barré d'un pli soucieux.

- Adena, ni toi, ni moi, n'avons failli. Du moins, je ne le pense pas. Mais je vais te révéler quelque chose qui explique en partie la protection qu'Owen et moi-même, et dans une moindre mesure Olek, assurons auprès de la reine Kaïra.

- Je t'écoute, répond Adena, à la fois intriguée et soucieuse.

- Owen et la reine Kaïra se sont unis secrètement.

Adena ouvre de grands yeux, puis joint ses mains devant son visage, avant de soupirer et de parvenir à parler :

- J'avais pressenti quelque chose... quelque chose d'aussi grave. Il ne pouvait pas le faire !

- Il le devait.

Adena se laisse aller en arrière, contre le dossier du fauteuil. Olaf poursuit :

- Il le devait pour assurer sa protection. Mais autre chose est en jeu, Adena. Je crois... Non, je suis maintenant persuadé que sans Kaïra, Owen ne parviendra pas à vaincre le Seigneur des Ténèbres. Nous serons présents pour le combat, nous le savons tous depuis le Conseil des Gardiens, mais ce sera à lui de le mener. Nous devrons nous mettre derrière lui. Et Kaïra jouera un rôle important dans ce combat. Voilà aussi pourquoi elle doit être sous notre protection, au même titre que nous nous protégeons les uns et les autres, et plus encore, que nous veillons sur les appelés.

- Je comprends, soupire Adena. Mais tout de même... C'est un choc, pour moi qui l'ai formé.

Olaf tend la main et la pose sur son poignet.

- J'ai ressenti un choc similaire quand j'ai compris... qu'il en était tombé amoureux, et plus encore, qu'elle aussi. Je savais qu'il serait très difficile d'aller contre leurs sentiments, d'autant que le destin semblait vouloir les réunir... et non les séparer.

Il prononce ces mots avec une certaine hésitation et un peu de tristesse. Adena le regarde avec gravité.

- Tu as toujours aimé les gens de Rankir, Olaf. Le Grand Maître t'a toujours confié le rôle d'ambassadeur auprès d'eux, surtout ces dernières années. Tu connaissais bien le roi Gondir.

- Oui.

Olaf marque un temps de silence et ajoute :

- Et la reine Kehma aussi.

Adena hoche la tête : elle a compris. Et comprend d'autant mieux l'attitude d'Olaf vis-à-vis d'Owen, et ce, depuis leur départ, en catimini, du Conseil des Gardiens.

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