Chapitre 38 (troisième partie)

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Cet hiver-là est assez doux et permet aux gens de Rankir d'avancer dans la reconstruction des villages, de la cité. Chaque matin, Kaïra peut s'offrir une promenade dans ses jardins, en compagnie d'Owen. Siwu les a quittés, peu avant la deuxième lune. Il était temps pour lui de retourner parmi les siens, mais il a promis de revenir bientôt. Il se dit curieux de faire connaissance, aux beaux jours, avec l'héritier, et de lui apporter un cadeau de bienvenue. Cela a laissé Kaïra un peu songeuse, et Owen amusé.

Alors que la deuxième lune d'hiver est à son apogée, un cavalier solitaire se présente aux portes de la ville. Il y est accueilli avec déférence et joie. C'est un Gardien. C'est Maître Olaf.

Après quelques temps passés au Conseil des Gardiens, et notamment à participer à la formation d'Alora, mais aussi d'autres appelés - certains ayant perdu leur Maître ou Maîtresse, ou ces derniers, blessés, ne pouvant plus assurer toutes leurs prérogatives - il s'est mis en route pour Sala. Il y a retrouvé Olek et d'autres Gardiennes, ainsi que deux appelés qui achèvent leur formation. Tous sont venus prêter main forte au jeune prince Jarbek pour ramener le calme en Salarin et poser les bases d'un nouveau règne. Olaf est resté un moment à Sala, pour observer comment les choses évoluaient, puis il a repris son voyage pour gagner Rankir. Il lui tarde de revoir Owen et de s'entretenir aussi avec la reine Kaïra, de se rendre compte par lui-même de la façon dont les trois peuples de Rankir surmontent le traumatisme qu'ils ont vécu.

C'est une souveraine heureuse, mais aux traits un peu tirés, qui accueille le grand Gardien dans la salle du trône. Lénora et Dame Hilayna sont présentes.

- Maître Olaf, je suis très heureuse de vous revoir si vite. Je ne pensais pas que nous aurions pu recevoir avant la fin de l'hiver la visite d'un Gardien ou d'une Gardienne. Vous avez tant à faire !

- Majesté, je vous salue, et je suis heureux de revenir par chez vous. Certes, nous avons à faire, mais je suis aussi porteur de bonnes nouvelles.

- Vous nous ferez part de tout cela bien vite, Maître Olaf. Mais je suppose que vous souhaitez vous reposer un moment du voyage. Un repas sera donné en votre honneur, ce soir. Mais il aura lieu dans la grande salle du palais, non au-dehors. Il fait trop froid pour rester dans les jardins…

- Je vous remercie, Majesté, dit Olaf en s'inclinant respectueusement.

Il se permet cependant une question, avant de quitter la reine.

- Maître Owen est-il à Rankir en ce moment, Majesté ?

- Oui. Mais il s'est rendu depuis deux jours en forêt. Des blessés s'y trouvent encore. Ils tardent à guérir et il se rend auprès d'eux aussi souvent que nécessaire.

- Ce sont des Humains ?

- Non, des Aériens qui ont pu trouver abri dans les arbres, malgré leurs blessures. Et du fait de leur constitution particulière, les soins ne peuvent être apportés que dans leur demeure, précise Kaïra. Mais il sera là ce soir. J'enverrai Limur le faire prévenir de votre venue. A moins qu'il ne le sache déjà…, sourit Kaïra.

Olaf lui sourit en retour, avec une certaine complicité. Il est heureux aussi de voir que Kaïra se permet désormais d'avoir un visage moins fermé, moins froid, que ce qu'il a connu quand elle était toute jeune.

- Permettez que je me retire alors, Majesté, dit-il.

- A tout à l'heure, Maître Olaf, lui répond Kaïra.

En fin d'après-midi, alors que les ombres se posent dans les jardins de Kaïra, Owen est de retour. Il a perçu la présence de son ami, bien avant que Limur ne le rejoigne, dans la Cité des Arbres, lieu de vie principal des Aériens. Jugeant l'état des blessés satisfaisant, il est remonté sur Ingir pour rentrer à Rankir et y accueillir son ami. A peine arrivé, il se rend auprès de Kaïra pour lui donner les dernières nouvelles des Aériens.

- Mon aimé, avez-vous croisé Limur ?

- Oui, il était en chemin. Nous sommes rentrés ensemble.

- Vous saviez donc que Maître Olaf nous a rejoints ?

- Oui, je le savais.

- Comment vont les blessés ?

Owen la fixe un instant : elle est toujours soucieuse des siens. Même le plus simple paysan blessé soucie Kaïra.

- Ils vont mieux que la dernière fois que je les ai vus, et moins bien que la prochaine fois que j'irai en forêt. Leur état s'améliore tout doucement.

- Souffrent-ils encore ?

- Beaucoup moins. En croisant les connaissances des Aériens et les miennes, je suis parvenu à réaliser un remède qui les soulage grandement. Les plaies sont encore longues à se refermer, mais j'ai bon espoir pour eux tous.

- Alors, j'en suis soulagée, sourit Kaïra. J'ai demandé la tenue d'un dîner spécial en l'honneur de Maître Olaf. Nous serons cependant bien moins nombreux que lorsque vous étiez venus, la première fois…

Owen la regarde sans répondre. Il voit les cernes bleus sous ses yeux, mais son sourire est marqué.

- Il faut songer à vous ménager, mon aimée. Il y a à faire, mais le Conseil a pris ses marques. Vous pouvez vous reposer sur lui. Et sur Dame Hilayna et moi-même.

Kaïra hoche la tête. Owen l'enlace avec tendresse. Il sent le ventre rond et dur contre le sien. Un coup soudain et il sourit. Kaïra appuie sa tête contre son épaule.

- Il est très remuant... Parfois, j'ai l'impression qu'il n'a pas assez de place et pousse en tous sens !

- Il sera peut-être là avec un peu d'avance..., dit Owen d'un ton sérieux.

Mais son sourire réconforte Kaïra.

**

La grande salle du palais des rois de Rankir bruit des conversations entre les invités réunis pour le repas donné à l'occasion de la venue du grand Gardien, Maître Olaf. Quand Kaïra et Owen se présentent à la porte largement ouverte sur le long couloir, chacun cesse de parler et observe le jeune couple entrant dans la pièce. Owen a offert son poing à Kaïra qui y a posé sa main fine et délicate. Malgré la longue et ample robe de cérémonie que porte la jeune femme, nul ne peut ignorer sa grossesse bien avancée.

Lénora est la première à s'avancer vers eux et à les saluer, puis viennent Andénir et Flonara, conduite par quelques serviteurs qui déplacent le petit bassin où elle se trouve. Enfin, c'est Olaf qui s'approche et les salue.

- Bonsoir, Majesté, dit le Gardien. Bonsoir, ami.

- C'est à moi de vous saluer, Maître Olaf, dit Kaïra. Nous sommes tous honorés de votre présence ici et, une fois de plus, mon peuple et moi-même nous sentons redevables de l'Ordre des Gardiens des Origines. Malgré les épreuves, votre aide nous a été très précieuse.

- Elle vous est assurée, et pour longtemps encore, dit Olaf en se redressant et en souriant à l'adresse d'Owen.

La reine se tourne alors vers l'assemblée et dit :

- Par ce vin et ce repas que nous allons partager ce soir, amis, souvenons-nous de ce que nous devons aux Gardiens.

Olaf s'est aussi tourné vers les invités, tout en restant aux côtés de Kaïra. Il dit alors :

- Par ce vin et ce repas que je vais partager avec vous, par l'accueil qui m'est fait ici, notre Ordre se souvient aussi de ce qu'il vous doit. En notre nom à tous, merci.

Et Olaf s'incline brièvement.

Kaïra boit alors la première gorgée de son verre et tous peuvent l'imiter, avant de prendre place autour des grandes tables richement dressées. Ce repas est aussi l'occasion pour Olaf de mesurer déjà le travail de deuil qui s'est fait en Rankir. Mais pour les gens de Rankir, cette visite est le signe d'un renouveau, après des mois d'inquiétude, de tensions et de souffrances. La vie reprend ses droits, mais l'on ignore encore qu'elle va se manifester à nouveau et de façon des plus présentes.

**

Le repas s'est prolongé assez tardivement. Olaf s'entretient avec de nombreuses personnes. Contrairement au repas qui s'était déroulé dans les jardins, la reine demeure assise, même lorsque les tables ont été desservies. Owen reste à ses côtés, donnant aussi des nouvelles rassurantes des Aériens blessés à ceux qui s'enquièrent de son court séjour auprès de leurs amis ailés. A un moment, Dame Hilayna s'approche de lui et lui parle discrètement, sans que Kaïra puisse les entendre.

- Il faut que la reine aille se reposer, Maître Owen. Il est déjà tard et la fatigue se lit sur son visage.

- J'en conviens. Mais elle ne peut quitter la salle tant que Maître Olaf y demeure.

- Je vais le prévenir.

La stricte gouvernante cherche alors le Gardien des yeux. Elle n'a pas de mal à le distinguer, au milieu d'un petit groupe d'Humains et d'Aériens, parmi lesquels elle reconnaît Andénir et Limur. Sans doute parlent-ils de choses importantes, peut-être évoquent-ils la situation en Salarin. Mais toujours est-il que pour Dame Hilayna, désormais, seul compte le sommeil de sa jeune protégée. D'un pas autoritaire, elle traverse la grande salle et Owen la suit du regard, un peu amusé, même s'il partage son souci pour Kaïra.

- Maître Olaf, dit d'emblée Hilayna, pardonnez-moi de vous interrompre, mais j'ai chose importante à vous faire savoir.

- Oh, bien, Madame, dit-il en inclinant légèrement la tête.

Ses interlocuteurs sourient discrètement et déjà Limur s'éloigne, le regard cherchant la reine, puis les gardes, s'assurant que chacun est à son poste. Quand elle estime pouvoir parler, Hilayna fixe le grand Gardien et dit :

- Maître Olaf, j'imagine bien que vos discussions sont fort intéressantes et que vous avez nombre de nouvelles à échanger avec les nôtres, mais il ne faudrait pas que vous tardiez à vous retirer. La reine... a besoin de repos.

Olaf jette un œil de côté, voit Kaïra assise très digne sur son fauteuil. Son regard se voile et il répond d'un ton plus grave qu'il ne l'aurait voulu :

- Soyez assurée, Dame Hilayna. Je comprends votre souci et le partage. La naissance ne saurait tarder désormais.

- Pas avant la première lune de printemps, dit Hilayna avec assurance. Cela ne se pourrait.

Olaf la regarde fixement et dit :

- Vous êtes dans les secrets de la reine plus que je ne le suis, Madame. Mais cela pourrait arriver avant. La reine a traversé des épreuves au cours de sa grossesse, elle a chevauché aussi longuement, et même si elle a retrouvé sa ville et son palais au cours des derniers mois, elle a eu beaucoup à faire. Cela pourrait accélérer la naissance.

Dame Hilayna soupire et un pli soucieux barre son front. Son regard se fait lointain et Olaf devine qu'elle pense à Kehma.

- Ce qui est passé ne se reproduira pas, Dame Hilayna. Ayez confiance.

- Resterez-vous jusqu'à la naissance ? demande Hilayna avec un soupçon d'inquiétude et d'espoir mêlés. Elle pourrait avoir besoin de vos connaissances...

- Je resterai, répond Olaf. Soyez-en assurée.

Le visage d'Hilayna se détend un peu et Olaf s'éloigne alors, se dirigeant vers la reine. Il la salue avec déférence et dit :

- Majesté, cette soirée était des plus agréables, et je vous remercie de l'honneur qui m'a été rendu et qui a été rendu aussi à mon Ordre, à travers ce repas. J'ai pris plaisir à revoir les vôtres et à m'entretenir avec certains. J'ai encore beaucoup à partager avec vous tous et je serai heureux de demeurer ici quelques temps, si vous me le permettez.

- Vous êtes le bienvenu ici, Maître Olaf, et vous pourrez demeurer aussi longtemps que vous le souhaitez ou que vous le jugerez nécessaire.

- Merci, Majesté. Permettez maintenant que je me retire et vous laisse aussi prendre du repos.

- Merci, Maître Olaf. Je vous reverrai avec plaisir demain et vous me donnerez alors des nouvelles plus précises du prince Jarbek et de la mission de Maître Olek, du moins, de ce que vous pourrez nous en dire, sourit doucement Kaïra.

Olaf recule de deux pas et la salue, avant d'adresser un rapide signe de tête à Owen.

Le grand Gardien met cependant quelques minutes à quitter la grande salle du palais, car il est salué par toutes les personnes se trouvant sur son chemin. Quand enfin, la haute silhouette disparaît derrière les lourdes portes, la main de Kaïra se pose sur le poignet d'Owen, debout à ses côtés. Elle ne parvient plus à cacher la fatigue qu'elle ressent et, un instant, Owen s'inquiète.

- Il est grand temps de gagner nous aussi notre chambre, mon aimée, dit-il.

- Vous me raccompagnez ? demande-t-elle.

- Oui. Ceux qui souhaitent rester encore et prolonger les échanges le peuvent. Dame Hilayna veillera à ce que la soirée se termine bien. Venez, maintenant.

Il a prononcé ces derniers mots avec une certaine autorité, tout en lui tendant le poing pour qu'elle y prenne appui et se redresse. Une grimace tire ses traits et elle soupire :

- Qu'il est lourd, ce petit... Owen, j'ai peur. Arriverai-je à le faire naître ?

- Je serai avec vous, et vous serez bien entourée, mon aimée. Tout ira bien.

Elle lève son regard vers lui, trouve le sien confiant et cela la rassure. Elle esquisse un fin sourire et dit :

- Allons, tant que j'ai encore la force de remonter jusqu'à la chambre.

Owen s'engage alors dans la salle, menant la jeune femme. Les invités s'écartent sur leur passage et les saluent sans pour autant adresser la parole à la reine, se permettant simplement quelques mots comme "Je vous salue, Majesté". Hilayna les suit du regard et soupire de soulagement en les voyant disparaître à leur tour derrière les portes.

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