Epilogue

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Deux silhouettes se distinguent au loin, dans la plaine. Chevauchant paisiblement, ils avancent vers la grande forêt d'Argol dont les hauts arbres majestueux élèvent leurs cîmes vers les cieux. Un grand calme règne dans la plaine, éclairée par un chaud soleil d'été.

L'un des cavaliers est plus fluet, presque gracile. Son compagnon au contraire affiche une forte stature. L'un comme l'autre font corps avec leurs montures. Si le premier des cavaliers a ceint un arc en travers de son dos et un carquois garni de quelques flèches, le second porte une lourde ceinture de cuir et une longue épée à la garde ouvragée à son flanc.

Ils devisent au même rythme que leur marche, l'un désignant à l'autre, de temps à autre, un détail.

Ils ont franchi la frontière de Rankir le matin-même et parcourent désormais les terres des Gronfalls.

Owen avait décidé d'entreprendre ce voyage car le temps lui semblait maintenant venu. Tout en traversant la grande plaine, il songe à ce qu'a été sa vie. Connaissance, aventure, don, richesse autre que les ors et les diamants. S'il a laissé Kaïra en Rankir, il est heureux d'effectuer ce petit voyage avec Eidenor, leur fille. Agée maintenant de 20 ans, elle est une belle et grande jeune fille, aux cheveux noirs qu'elle aime porter assez courts. Elle a toujours été rétive aux coiffures compliquées que tentait de lui faire Dame Hilayna et plus d'une fois, l'austère dame de compagnie a quitté la chambre de la princesse avec un regard à la fois furieux et désespéré.

Si aucun de leurs trois enfants n'ont montré de capacités particulières pour entrer dans l'Ordre des Gardiens, ils possèdent cependant chacun des caractéristiques qui leur sont propres. Et si la question de la succession de Kaïra ne se pose pas encore, question qui est même bien lointaine, Owen devine déjà que ni Eidenor, trop aventurière, ni Turual, trop artiste, ne monteront sur le trône. Il est plus enclin à penser que leur troisième enfant, l'encore jeune de quinze années Mahurin, pourrait devenir le futur roi de Rankir. Plus que son frère ou sa soeur, il est déjà fort curieux de l'Histoire de Rankir, des liens entre les trois peuples, de la façon dont se gouverne un tel royaume. Il se montre aussi vivement intéressé par la prochaine réunion des Régnants qui devrait se tenir en Rankir d'ici deux années et que Kaïra et ses conseillers commencent déjà à préparer.

Owen n'a pas choisi de faire ce voyage par hasard. Au cours de l'hiver, il s'est rendu au Conseil des Gardiens. Leur ancien Grand Maître a effectué son dernier voyage et repose désormais sur l'Ile aux Esprits. Il est venu participer à la cérémonie lui rendant hommage. Si Alora est toujours Grande Maîtresse, Oken, l'ancien Grand Maître, avait poursuivi son rôle d'enseignement en demeurant au Conseil. Il avait aidé à la formation de nouveaux Gardiens et Gardiennes et avait apporté ses connaissances de guérisseur quand cela était nécessaire. A l'occasion de cette cérémonie, Owen a revu Olaf, marqué par les ans lui aussi, mais toujours vaillant et parcourant avec autant de plaisir le vaste monde, apportant soins, conseils et confiance. La paix règne désormais sur leur monde, des Hautes Terres Blanches jusqu'en Rankir, du Ponant à l'extrême Levant.

Et Olaf lui a fait part de certaines visions et impressions qui rejoignent les siennes. Il sait qu'il est temps, désormais, de ramener l'épée de feu à l'abri, de la confier à nouveau aux Gronfalls. Quand il a fait part de sa décision à Kaïra et qu'il a commencé à parler de ce voyage, Eidenor a voulu l'accompagner. Il en était heureux. Il apprécie toujours les moments qu'il peut partager avec l'un ou l'autre de leurs enfants, chacun lui apportant sa propre vision du monde et son propre ressenti et lui pouvant en retour apporter différentes connaissances et vues sur ce même monde.

L'épée va retrouver la roche, l'autre lieu sacré et consacré par les Esprits. Il espère qu'elle y restera longtemps, très longtemps, et que les hommes n'auront pas besoin de ses pouvoirs avant des siècles et des siècles. Mais il espère aussi que demeurera la légende, dont lui-même et Kaïra font désormais partie, même si laisser une trace en ce monde n'est pas ce qui lui paraît le plus important. Le plus important a été pour lui de faire son devoir, le plus important pour lui a été d'être aux côtés de Kaïra, de l'aimer, la protéger, la seconder dans la lourde tâche de régnante. Le plus important a aussi été de veiller sur leurs enfants, de les élever et les voir grandir. Mais aussi d'apporter son savoir là où il était nécessaire. En cela, il est heureux d'avoir accompli et d'accomplir encore sa tâche de Gardien des Origines, ce pour quoi il a été formé et ce pour quoi il a vécu.

**

Longtemps Kaïra est demeurée sur les remparts de Rankir, bien après que les silhouettes d'Owen et d'Eidenor ont disparu dans la douce lumière du matin, en direction du Ponant. Elle a confiance. Ils seront de retour dans quelques jours. Sans doute reviendront-ils aussi avec de bonnes nouvelles du petit peuple de dessous la terre, et elle ne serait pas étonnée qu'ils puissent voir Siwu à cette occasion. Leur petit ami est si surprenant ! Ne surgit-il pas toujours au moment où on l'attend le moins ? N'arrive-t-il pas toujours avec des cadeaux étonnants ? Mais le plus étonnant pour Kaïra restera à jamais la licorne, et son souvenir perdure dans le coeur des gens de Rankir, à travers la légende qui fil à fil se brode autour d'elle, mais aussi dans ses jardins, où l'Arbre Eternel veille à jamais sur les dépouilles de Maître Gafori et de l'animal fantastique.

Au matin, à peine l'aube passée, Turual et Mahurin ont salué leurs père et soeur, leur souhaitant bon voyage. L'étreinte d'Owen autour d'elle était tout autant chargée d'amour et de tendresse que la toute première qu'il lui avait accordée. Elle l'aime toujours aussi fort ! Elle le sait toujours aussi valeureux, courageux, confiant. Mais le plus important pour elle est de le savoir heureux, ici, avec elle, avec leurs enfants, ou à parcourir le royaume, à apporter connaissances et aide là où sa présence s'avère nécessaire. Ils ont trouvé leur équilibre, à l'image de l'équilibre nouveau qui régit ce monde.

Et si la paix règne désormais sur le royaume de Rankir, comme sur tous les royaumes des Terres habitées, elle sait qu'ils en ont été l'un et l'autre les architectes, les bâtisseurs. En cela, elle a joué son rôle. En cela, elle a été et demeure une Régnante respectée par les siens comme par ses voisins, et elle est fière de pouvoir accueillir à ce titre d'ici deux ans la prochaine réunion des Régnants. Des liens plus forts et plus étroits se sont tissés avec les Gronfalls du pays d'Argol, mais aussi avec les gens de Salarin. Toujours, elle et Jarbek ont entretenu une correspondance régulière et ont favorisé les échanges entre leurs deux royaumes. Les débuts ne furent pas faciles, l'aide des Gardiens fut souvent nécessaire autant au jeune roi de Salarin qu'aux diplomates pour favoriser la construction d'une paix durable. La plus belle et la première nouvelle en ce sens que reçut Kaïra fut d'apprendre la noce entre un jeune paysan de Rankir et une jeune fille de Salarin. Cela lui semblait de bon augure pour les temps à venir.

Sa vie a été riche des choses accomplies au titre de Régnante. Elle se revoit encore enfant, accédant au trône, avec cette charge si lourde sur ses épaules, charge qu'elle doutait parfois de pouvoir supporter, de pouvoir accomplir. Elle revoit aussi ce jour où Maître Olaf est revenu en Rankir, accompagné de ce jeune Gardien dont la seule présence allait bouleverser toute sa vie. Leur amour a participé au combat pour ce monde. Leur amour a été leur richesse et leur force, et le demeure.

Deux mains se glissent sous chacun de ses bras, et une voix déjà grave résonne à ses oreilles :

- N'est-il pas temps de retourner au palais, mère ?

Elle se tourne et sourit à Turual qui vient de parler. Mais elle se retourne également de l'autre côté pour sourire à Mahurin dont le regard sérieux fixe encore la grande plaine. Un dernier coup d'oeil et un dernier sourire vers le Ponant et Kaïra s'en revient, accompagnée de ses fils, alors qu'Owen chevauche en compagnie de sa fille.

Mais le lien d'amour qui les unit s'étire au-dessus de la plaine, fil invisible mais si prégnant, si vivant, les reliant à jamais.

FIN

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