Chapitre 4

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Un jour, je pris le parti d’aller voir au septième étage cette porte de plus près. Si les autres me dévisageaient comme une énigme, rien ne m’empêchait d’en faire de même avec cette porte. Aussi, je me résolus à venir l’examiner. Jamais les couloirs ne me semblèrent aussi longs, aussi ternes, aussi ennuyeux. Un long chapelet de portes au garde-à-vous qui s’alignaient, identiques, de mêmes dimensions, espacées par la même longueur, de part et d’autre de ce couloir, qui parfois bifurquaient pour reprendre exactement sa même banalité grise. À chaque porte son numéro, sans toujours de suites logiques, et des noms et des fonctions. Quand j’avais des dossiers à déposer, jamais cela ne m’était apparu de façon aussi flagrante. C’était comme si avec ce travail nous étions programmés à aller d’un point A à un point B comme du bétail, sans nous poser de question. Dans ces conditions, cette monotonie ne pouvait effectivement pas nous apparaître et nous accomplissions certes nos tâches avec zèle, mais aussi avec des œillères.

La première fois, j’avoue que je ne suis pas attardé longtemps, trop anxieux pour oser rester plus d’un instant, seulement, il me fallait chercher à comprendre et à y retourner. Les fois suivantes ne furent guère plus glorieuses pour tout avouer. Je m’admonestais, me traitant de couard, de dégonflé et j’en passe. Je sentais une sueur froide me dégouliner dans le dos dès que je passais devant elle. Avec le temps malgré tout, je ne partais plus comme un dératé, j’arrivais petit à petit à gérer mon stress, mais arrivait fatalement le moment où je n’y tenais plus, il me fallait partir à tout prix. Et c’est trempé, le souffle court et rouge comme une pivoine que je détalais sans vraiment faire le faraud. J’allais alors prendre l’air en faisant le tour du lac dans le parc. Mais je compris vite que ce n’était pas le lieu pour ce genre de chose. Disons que la « compréhension » avait apparemment certaines limites et la sécurité en tout cas n’allait pas tolérer très longtemps mes atermoiements pédestres.

Ainsi donc je retournais à l’intérieur, à mon fauteuil à roulettes, à mon bureau, dans ma section, sous le regard toujours aussi intense de mes collègues. Et moi, je baissais la tête et regardais mes pieds. Honteux. Je faisais mes heures, à attendre un travail qui n’arriverait plus désormais, avec une porte dans la tête. Comme préoccupation, on a certainement connu plus transcendant, mais je n’avais que celle-ci à m’offrir. Quelques jours passèrent ainsi à déprimer en tournant sur cette foutue chaise. Elle grinçait en plus, donc pendant tout ce temps mes collègues durent supporter avec la placidité qui les caractérisait tant ce bruit lancinant, jusqu’à ce matin où le service de maintenance avait dû passer et avait huilé ma chaise redevenue muette. Pour preuve, la burette d’huile extra-fine gisait vide dans ma poubelle. Donc ma chaise par ce doux couinement ne pouvait plus parvenir à me bercer. Pour la première fois, j’en voulus violemment à mes collègues. Et même pas de porte à claquer, le comble ! Néanmoins, je quittai furax la section, passai en trombe devant la secrétaire en faisant voler les papiers de son bureau par le souffle de mon passage un rien irrité.

Et je me retrouvai devant cette porte que je regardai avec défi. Ce n’était certes pas elle qui allait trembler, mais la conséquence de ce lubrifiant pour taire un bête grincement tranquillisant avait été que de colère, j’étais devant cette porte fermement décidé à ne pas me laisser intimider. Ses dimensions étaient standards, ce devait être une porte coupe-feu puisqu’elle comptait quatre paumelles. Je savais ça de ma jeunesse, quand j’avais été en ces fameux sous-sols à monter des cloisons, coupe-feu justement, pour cloisonner et recloisonner incessamment les espaces de production qui s’adaptaient sans cesse à la demande et au marché. Bref, le nombre de paumelles était sans ambiguïté. Porte coupe-feu de quatre-vingt-dix kilos pour cloison coupe-feu d’épaisseur douze centimètres de carreaux de plâtre. Il me démangeait d’y jeter tison et de voir les flammes lécher cette porte de malheur ! J’étais très bien moi à mon poste avant que cette fichue convocation ne vienne perturber tout ça ! Et c’est cramoisi de colère que je fis quelque chose d’insensé.

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