Chapitre 2.4
la suite ne devrait pas tarder et je suis désolée de mon retard sur mes lectures que je promets de rattrapper avant la fin de l’année ! ! ! ! !
Le bleu immaculé de l’hôpital me donnerait presque envie de vomir.
Fuyumi tente de combler le vide lancinant des murs de l’hosto en balançant moult inepties sans queue ni tête, et c’est la mienne qu’elle est en train de casser ! De l’extérieur, nous sommes vraiment gênantes. Quelques affiches peuplent ce triste endroit : de la prévention au covid (sérieux, ça existe encore ?), des informations accompagnées de numéro à retenir, une mise en garde contre la bombe nucléaire et ses dégâts, un plan de l’étage, un avertissement sur la manière de se comporter dans les chiottes de l'hosto, bref une clinique classique. Je fais mine de me passionner pour chacune d’elle, d’y analyser les micro détails, de décortiquer chaque lettre et couleur.
A quelques mètres de nous, à notre droite, il y a une double porte imposante au-dessus de laquelle sont inscrits en rouge vif les symboles des urgences. Elle s’ouvre brusquement sur une clique de personnel soignant : une chirurgienne et trois infirmiers. Leurs pas sont lourds mais surmontés par un claquement de talons grinçant. La chirurgienne, c’est ma mère. Elle est comme dans mes souvenirs. Petite mais élancée, ainsi perchée à ses aiguilles, enveloppée dans sa robe noir évasé, qui semble flotter, découvrant ses jambes blanches, lisses et parfaites. Le décolleté laisse entrevoir son cou, aussi immaculé que ses jambes, où est enroulé un stéthoscope. Sa blouse ivoire, sans aucun défaut jure avec le noir de sa tenue, de ses cheveux et de son regard.
J’aurais aimé en l'apercevant être rassurée, soulagée de revoir ma maman. M’imaginer me blottir dans ses bras et murmurer timidement qu’elle m’a manquée et qu’elle est magnifique. Au lieu de ça, un frisson de peur me traverse, accentué au moment où je rencontre un démon dont les yeux envoient des éclairs à l’attention de ses collègues.
Sa voix résonne dans le couloir. Elle est folle de rage, si bien qu’elle ne semble pas nous avoir remarqué Fuyu et moi, sagement installées plus loin.
Ma soeur et moi restons interdites face à ce spectacle. Jamais nous n’aurions imaginé assister à ce genre de scène. Elle crie, s’agite, et surtout, elle termine en attrapant l’un des soignants – une femme, la seule – par le col et gifle rudement le visage de la pauvre fille terrorisée :
— La prochaine fois que je perds un patient à cause de vous, je vous TUE.
Puis sèchement, elle lui assène un second soufflet et la jette lourdement vers ses collègues. La violence fait hoqueter bruyamment ma sœur de surprise. Aussitôt, son regard croise le nôtre. Enfin, surtout celui de Fuyu car tout de suite, son visage prend une autre expression. De la peur ? Elle passe nerveusement ses mains sur sa blouse et souffle :
—- Fuyu ! Tu étais là.
Les infirmiers en profitent pour vite aider leur consoeur à se relever et filent sans demander leur reste. Ils passent devant moi et m’envoient à la tronche un courant d’air désagréable dans leur course. Cet air, il était fait d’une grande terreur. Honnêtement, si j’avais pu, je les aurais suivis. Maman s’approche, les mains tremblantes, je le vois. Elle sourit mais le bout de son rictus trasaillie vivement. Elle fait de la peine, jamais je ne l’ai vue si démunie. La plupart du temps, elle simule mais là, j’étais face à une autre maman.
Fuyu décide d’oublier ce qu’il vient de se produire alors que dans ma tête, le visage apeuré des infirmières ne cessent d'apparaître comme des flashs. Elle engage une conversation chaleureuse et pleine d’entrain avec ma mère, et à cette vision, j’enrage presque. Comment peut-elle essayer d’effacer ce qu’il vient de se passer ? Sonoka, elle, ne me regarde même pas et reste obnubilée par son enfant préférée. De l’extérieur, elle ne ressemble pas à une personne qui vient de perdre son père mais surtout à quelqu’un qui n’en a rien à faire. Je me demande bien si Sara aura la même attitude. Je plonge dans des pensées saugrenus pour oublier la douleur de voir ma mère mais Fuyu ne tarde pas à me secouer le bras en m’interpellant :
— Maman, du coup, Yuna est de retour et tu sais quoi ? Elle s’installe définitivement à la maison !
Je. Vais. La. Tuer.
J’invoque tous les dieux du monde et le peu d’énergie qui me reste pour ne pas fusiller ma sœur du regard ou pire et souris, aussi faussement que ma mère. A la place, j’abats puissamment ma main sur le dos de ma soeur et m’écrit :
— Ouais !
— Mais aïe ! Tu m'as faite mal.
Ce soir, ça va barder pour elle. Bordel, mais je reconnais à peine ma sœur.
— Désolée, soeurette. Tu sais quoi, pour fêter ça, et me faire pardonner… je vais chercher des cafés !
Sans attendre une quelconque réponse, je m’enfuis aussi vite que possible et ignore toutes protestations. Il me faut de la solitude et un peu d’air frais. Les retrouvailles avec ma mère sont encore pires que ce que j’aurais imaginé. Pourquoi je ne peux pas compter un peu pour elle !? J’ai fui lâchement en bataillant avec moi-même pour éviter de croiser son regard. Peut-être que ça m’aurait brisé le cœur encore plus. Il était déjà en miette…
Lorsque je rejoins la machine à café, en face de l'accueil, un vent de soulagement me traverse mais mon regard croise instantanément une triste scène : l’infirmière violentée par maman est recroquevillée sur elle-même, par terre, devant ses collègues, l’air affligé et impuissant. Elle s’assène des coups au crâne en pleurant.
— Il est mort à cause de moi ! Il est mort. Mort, mort, mort !
Ses mots ont l’effet d’un coup de poignard. Je me faufile jusqu’à la machine, priant pour qu’ils ne me reconnaissent pas. En trifouillant la machine, je ne loupe pas une miette de la conversation. Les deux autres jeunes hommes cherchent à la rassurer du mieux qu’ils peuvent, lui assure que le type était condamné mais Junko, son nom glisse au milieu de la conversation, ne veut rien entendre.
— Sans dec’, elle a plus peur pour un mort que pour elle-même…
Heureusement, je râle en français, alors ils n’y captent rien. De toute façon, ils ne se préoccupent à peine de ma présence. Visiblement, ils ne sont aucunement au courant de qui je suis. Je le réalise au fur et à mesure que se poursuit leur conversation. Le premier breuvage prêt, je le récupère, au moment où l’un d’eux déclare :
— Moi, j’en ai marre de Shim-san. Depuis qu’elle est arrivée, c’est elle qui fait la pluie et le beau temps. J’ai hâte qu’elle s’en aille. Je la déteste !
— Tais-toi, espèce de débile ! Sois respectueux de notre supérieure. Elle travaille d’arrache-pied, tu veux dire. C’est vrai, elle est dure…
— Et elle mérite d’être respectée, rien que pour ça ?
— Je ne m’engagerais pas dans ça… si t’es pas content, tu n’as qu’à créer un syndicat. Ils seront ravis, les autres.
— Eh bah tu sais quoi ? Merci pour l’idée ! Je vais m’empresser de m’y mettre ce soir. Cette garce, je vais la faire tomber, c’est moi qui te le dis ! Ça suffit la dictature. Ça me rend malade, tous ces gens qui se croient tout permis sous prétexte qu’ils sont au-dessus de nous, dans la hiérarchie.
Son pote râle bruyamment et tapote amicalement l’épaule de la Junko, encore en pleine crise de larmes. Bien que je leur tourne le dos, j’arrive clairement à visualiser la scène.
— Mais oui, continue de tergiverser, ça m’amuse, en fin de compte. Moi, je te conseille de récupérer avant de débiter autant de bêtises, à la minute. On a du boulot, la journée est loin d’être finie !
Je reste immobile et silencieuse, mes doigts sont collés au gobelet, brûlant. La chaleur me parcoure les doigts et après l'avoir réalisé, une puissante décharge de douleur me traverse, me faisant bondir, en gémissant.
Ils se retournent tous et me demandent poliment si je vais bien. Je bougonne brièvement. Heureusement, je n’ai pas retiré le gobelet, il est sain et sauf. Je me sauve, en prenant soin de camoufler mon visage, la tête inclinée en rejoignant le couloir. Junko, elle, se fout bien de combien est animée la conversation de ses collègues, et continue de pleurer et de pousser des cris d’agonie.
— Je ne comprends pas pourquoi ils la gardent. C’est une métisse… je suis sûr que si je me plains juste une fois, elle sera virée. A ton avis, lequel de ses parents est Japonais ?
— Je ne sais pas et je m'en fous.
La pauvre… il y en a pas un qui peut s’occuper réellement de Junko, au lieu de déballer ce genre de sornettes…
Je me précipite, laissant mes jambes m'entraîner dans une course rageuse. J’arrive à la hauteur de ma mère et ma soeur mais alors que je tends mon bras, pour lui remettre sa boisson, mes jambes perdent le contrôle, s'emmêlent et me font trébucher, pour tomber au pied de ma mère, tandis que le verre en carton valse dans les airs, pour s'écraser contre l’affiche d’alerte contre la bombe atomique et atterrir misérablement au sol. La flaque marron brûlante s’étend au sol de plus de plus, jusqu’à presque nous atteindre. Ma soeur pousse un cri de stupeur. Je la vois s’approcher de moi et sens sa main se poser sur mon dos. Je me suis mordue violemment la langue alors que mon menton s’est abattu sur le sol. J’ai mal !
J’ouvre la bouche pour inspirer et évacuer la douleur mais le goût métallique du sang l’efface et d’un coup, tout devient noir autour de moi.
Je n’ai aucune idée de où je suis, de l’heure, rien, c’est le fou, le noir complet.
Un terrible mal de tête me saisit aussitôt que je semble recouvrer connaissance. Il me brûle les yeux et les neurones. J’aurais aimé clamser…
Je sens qu’on me touche le front, non, on me le caresse. Fuyu ? Ma vision trouble me laisse dans un état de léthargie qui s’étend et me frustre. Je les ferme, les ouvre. C’est maman ? Non, c’est Sara. Mais que fait-elle ici ?
J’ouvre la bouche pour l’appeler, et un grognement rugueux sort de ma gorge, à peine audible.
— Yuna, tu te sens bien ?
C’est bel et bien Sara. Malgré la pesanteur qui m’envahit, j’ai envie de hurler : pourquoi ce n’est pas ma mère qui est à mon chevet ?
Une voix lointaine demande :
— Elle est réveillée ?
C’est ma mère. Malgré que la voix semble si lointaine et brumeuse, je mettrais ma main à couper que c’est elle. Je remue lourdement.
— Oui ! répond Sara avec enthousiasme.
Que ne partage visiblement pas ma mère puisqu’aucun son de sort de ses lèvres, pas une exclamation ou une marque de soulagement. Même pas de l’agacement. Juste, le vide. Où est Fuyu, d’ailleurs ?
Comme si elle lit dans mes pensées, ma tante appelle ma soeur.
— Fuyumi, viens voir ta sœur !
J’entends des pas précipités s’approcher du lit où je suis allongée puis en un clin d'œil, le visage de ma sœur recouvre l'entièreté de mon champ de vision. Cette vue malgré ma fatigue me fait exploser de rire, sous le regard doux de Sara.
Le reste de sa journée se déroule dans un brouillard des plus complets. Je me rappelle que nous sommes sorties manger à côté de l’hôpital. Sara et ma mère nous ont expliqué les formalités de l’enterrement et ce genre de choses. Elles ne semblaient pas en savoir plus sur notre grand-père que ce qu’elles nous avaient partagé par le passé. Ou peut-être que si et nous ont délibérément rien dit. La seule nouvelle information que nous avions appris sur lui fut qu’il est “une immense merde”, doux mots evidemment employés par ma douce mère. Elle n’a pas longtemps élaborer à ce sujet et l’essentiel s’est concentré sur la logistique. Fuyu et moi n'avions rien à faire hormis être présentes. Je ne suivais pas grand-chose et je n’avais rien avalé de tout le déjeuner, hormis siroter une boisson si sucrée, qu’elle aurait dissout ses dents à une cinquantenaire d’une gorgée, afin de reprendre quelques forces. De toute façon, j’étais trop secouée par cette matinée mouvementée pour digérer quoi que ce soit de solide. La moindre bouchée m’aurait faite vomir mes tripes. Sara nous a quittées sitôt que nous avions finis de discuter et manger, alors que Fuyu souhaitait rester avec notre mère pour le reste de la journée. Dès qu’elle a émis cette horrible idée, mon premier réflexe a été de prétexter un foudroyant mal de ventre pour me précipiter aux toilettes sans demander mon reste. Là-bas, j’ai spammé Fuyu de message pour l’intimer de venir dans la seconde me rejoindre. Envoyer des textos depuis les petits coins commence à devenir un sport national chez moi… il faudrait que j’arrête de me mettre dans ce genre de situation. Fuyu n’a heureusement pas tardé à venir. Dieu merci, elle n’avait pas éteint son téléphone. Imaginer l’avalanche de bruit de notifications s'abattre au milieu de la tablée m’a fait rigoler mais pas pour longtemps dès que je me suis rappelée de pourquoi j’ai convoqué ma soeur :
— Oh, t’as craqué ! J’ai pas envie de passer la journée avec ‘man !
— Crie moins fort, on pourrait nous entendre. Déjà que la femme m’a lancé un de ses regards quand elle m’a vu entrer dans ta cabine en voyant que tu y étais déjà…
— Pas mon problème ! Sors moi de ce bourbier, pas question que je reste avec maman.
— Mais Yuna, grandis ! Elle t’a rien fait !
— Rien fait ? je marmonne, au bord des larmes.
Je prends une grande inspiration pour m’empêcher de fondre en larmes.
— Bah justement, voilà. Elle fait RIEN. Elle m’a même pas regardée ou félicitée de mon diplôme. Tu sais que depuis mon retour, je n'ai reçu aucun message d’elle ou des nouvelles ou même des bravos pour mon diplôme. Bordel, je me suis cassée le cul à l’avoir ! Même Joseph m'a envoyé des félicitations. Et des gâteaux…
— Et alors ? Tu ne l'as pas obtenu pour elle, mais pour toi, non ?
Je la fusille du regard, avant de lui envoyer une violence gifle. Chose que je regrette aussitôt. Les larmes aux yeux, je me fonds en excuse avant de la supplier de m'asséner une claque aussi violente. Ma soeur reste interdite et ne réagit pas, ni à mes excuses ou mes supplications.
Je lui caresse le bras pour la réveiller en m’excusant encore une fois mais rien n’y fait. Elle se contente de souffler avant de déclarer froidement :
— Je voulais juste te calmer. Tu devrais te regarder dans la glace quand maman est dans les parages, on dirait une folle.
Sur ses mots glaçants, elle ouvre la porte, recroise la dame mentionnée en arrivant mais elle l’ignore, passe de l’eau sur son visage. Je reste là, bloquée dans la cabine, aussi interdite que Fuyu lorsque je l’ai giflée. Elle se retourne vers moi me dit sur un ton tout aussi dur :
— Appelle Rei, si tu veux qu’il vienne te chercher ou rentre seule, si tu veux pas rester avec nous.
Et elle s’en va pour de bon.
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