50. L'ascension - Partie 6

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Pour public averti : Ce chapitre contient du contenu, des thèmes ou propos explicites susceptibles de choquer les lecteurs les plus sensibles.


Le jour se leva dans une lumière douce, tandis que les candidats se rassemblaient dans une cour à l'arrière du palais, un endroit isolé et presque intime, bien que ce calme apparent ne trompait personne. Miraculeusement, aucun ne s'était étripé durant la nuit. Mais l'air restait chargé d'une tension palpable, les visages présents marqués par une nuit d'insomnie ou de réflexion.

Les deux amis, eux, se tenaient en retrait, observant silencieusement l'assemblée, leurs insignes accrochés discrètement à leur ceinture. La nuit avait été courte : la vigilance qu'ils s'imposèrent les avait privés l'un comme l'autre de tout repos. Trop de questions, trop de doutes.

Solas scrutait la foule des yeux, donnant l'impression de chercher quelque chose.

Comprenant immédiatement qu'il s'agissait de la jeune fille remarquée la veille, celle à la bille d'eau, Kiran commenta : "Elle est partie."

Son ami hocha doucement la tête, fronçant les sourcils.

Kiran avait repéré les espaces vides en sortant du palais, là où certains candidats étaient installés la veille : des abandons. Il ne pouvait pas dire leur nombre, mais ils étaient suffisants pour souligner la pression de cette situation : "Peut-être qu'ils ont plus de bon sens que nous…" souffla-t-il, le ton empreint d'une pointe de regret : "Si on n'était pas des idiots, on serait partis aussi." Il aurait pu partir, il aurait dû même, il le savait. Pourtant, à chaque fois qu'il l'envisageait sérieusement, il repensait à sa famille avant son départ. Cette pression, ces espoirs, la déception qu'il leur infligerait. Ne valait-il mieux pas échouer lamentablement durant cette épreuve plutôt que de rentrer chez lui avant même d'avoir essayé ?

"Il est trop tard pour ça." répondit Solas d'un ton sec, même s'il paraissait évident qu'il disait plus ça pour masquer sa propre peur que pour le réprimander.

Il mesurait l'importance de cette décision, car ils ne savaient rien de ce qui les attendait. La seule certitude depuis la veille, c'était que ce serait dangereux, voire potentiellement mortel. Solas pouvait bien essayer de rester calme et fort, il le connaissait beaucoup trop pour ne pas remarquer sa peur.

Un gong résonna soudain, brisant les chuchotements qui s'étaient installés dans la cour. Tous les regards se tournèrent vers une estrade à l'entrée d'un long chemin pavé, et qui avait été dressée pour l'occasion. Des tapis richement brodés aux motifs complexes y avaient été déroulés, et des gardes royaux se tenaient alignés de part et d'autre. Parmi eux, d'ailleurs, se trouvait le soldat gradé qui avait ordonné au fonctionnaire de les inscrire.

L'annonceur de la veille monta avec une grâce mesurée, accompagné d'un petit groupe distingué. Il portait un rouleau dans une main et une canne sculptée dans l'autre : "Approchez, candidats." intima-t-il, sa voix résonnant dans la cour.

Les gens avancèrent, certains hésitants, d'autres se tenant bien droits, affichant un masque de confiance ou de méfiance.

Les deux amis restèrent à l'arrière, toujours bien à l'écart.

L'homme leva la main pour réclamer le silence, même si personne n'osait parler : "Vous êtes ici pour l'ascension." déclara-t-il, sa voix à la fois grave et implacable : "Et aujourd'hui, vous découvrirez la nature de l'épreuve qui déterminera qui, parmi vous, sera digne de devenir le nouvel Archimage et hériter d'Équinoxe."

"Équinoxe… ?" s'interrogea Kiran.

La tension s'empara de la foule, mais avant qu'il ne poursuive, l'annonceur s'inclina avec une déférence marquée : "Sa Majesté, le roi Shiva III, de la maison Ravi, va s'adresser à vous." annonça-t-il.

Le silence fut immédiat. Une silhouette apparut à ses côtés, émergeant du petit groupe. Le roi, sa cape d'un rouge profond traînant derrière lui, était venu accompagné de deux conseillers et d'un garde portant un parasol élégamment décoré au-dessus de sa tête. Sa tunique, brodée d'or et décorée de pierres précieuses, brillait dans la lumière matinale. Son visage était fin, encadré par une barbe taillée avec soin, et son regard perçant balayait les candidats avec une intensité qui fit frissonner Kiran. Il leva une main ornée d'anneaux pour prendre la parole : "Vous êtes venus ici en quête de pouvoir." commença-t-il d'une voix grave et mesurée : "Et nous vous offrons cette chance. Mais sachez ceci : le pouvoir n'est jamais gratuit. Il exige un prix, souvent bien plus élevé que ce que l'on est prêt à payer." Il marqua une pause, laissant ses paroles imprégner l'esprit des candidats. Son regard s'arrêta alors un bref instant sur les deux garçons, de loin les plus jeunes du groupe.

Kiran sentit une sueur froide perler sur sa nuque. Bon sang, c'était le roi qui se tenait là, et il n'existait nulle personne plus importante dans ce royaume.

"Vous êtes trente-sept aujourd'hui." continua le souverain : "Mais il n'y aura qu'un seul vainqueur : celui qui prouvera qu'il est le plus fort, le plus résilient et le plus digne de me servir en tant qu'Archimage." Il ouvrit le bras derrière l'estrade en expliquant : "Ce qui se trouve derrière vous est la zone d'épreuve, un lieu sacré. Décidez dès maintenant d'en franchir la frontière ou non, mais une fois à l'intérieur, vous serez tous des participants de l'ascension."

La femme aux couteaux émergea immédiatement des rangs pour trottiner joyeusement à l'intérieur de la zone d'épreuve, puis lança avec défi derrière elle : "Ouais, restez où vous êtes, bandes de lâches. Moi, ça m'arrange !"

Visage peint fut le second à s'avancer, le regard fixé droit devant lui, tandis que, un à un, les candidats suivirent, certains avec des gestes mal assurés, d'autres avec une assurance déconcertante.

Kiran sentit l'hésitation de Solas, qui cherchait son regard. Mais pour la première fois de sa vie, il était bien plus résigné que lui et s'avança résolument : 'Ce n'est plus le moment d'être indécis.' pensa-t-il.

Une fois à l'intérieur, il put constater que son ami était le dernier des trente-sept candidats à franchir la zone. Il comptait visiblement aller jusqu'au bout, lui aussi, peu importe ce qui les attendait.

Sans doute tous ces gens avaient déjà pris leur décision durant la nuit et, désormais dans la zone, attendaient que les règles soient données dans un suspense pratiquement insoutenable.

Depuis l'estrade, et à présent tourné dans l'autre sens, l'annonceur reprit la parole : "Vous avez fait votre choix. Il est maintenant temps de révéler la nature de cette épreuve."

Kiran sentit son souffle s'accélérer. Les murs de pierre chaude qui entouraient la zone d'épreuve semblaient se refermer autour de lui. Il chercha un signe dans les regards des autres conseillers ou dans celui du roi, mais tous étaient figés dans une expression solennelle.

L'homme poursuivit : "Elle est très simple dans sa conception, puisqu'il n'y a qu'une seule règle…" Un sourire malicieux s'étira alors sur ses lèvres lorsqu'il conclut : "…Le dernier capable de se tenir debout dans la zone sera sacré mage du roi. Et ça démarre immédiatement."

Solas, le regard fixé sur les gens de l'estrade, était rendu muet par cette annonce, comme beaucoup d'entre eux : "Non…" murmura-t-il : "Non, non, non… C'est pas possible…"

Mais Kiran, ayant cogité sur les pires scénarios durant toute la nuit, avait même envisagé celui-là. Il était transi de peur, bien sûr, mais sa réflexion fut extrêmement rapide : 'Combat à mort : je ne peux faire confiance à personne.' Il réagit immédiatement, se tournant précipitamment pour se téléporter vers l'horizon, décidant de se séparer de Solas vu les circonstances : 'fuir maintenant, réfléchir après.'

Lorsqu'il réapparut, il entendit des hurlements provenant du regroupement qu'il venait de fuir. Les hostilités avaient déjà commencé, et il jeta un coup d'œil à l'arrière pour apercevoir des lames volant dans la foule, et des traînées de sang dans leur sillage. Il en ouvrit la bouche, sous le choc. La femme aux couteaux avait commencé à faucher des vies dès la première seconde et… c'était terrible à voir. Il y avait une panique générale, mais le garçon ressentit quand même du soulagement en voyant son ami disparaître à son tour. Ils étaient jeunes, inexpérimentés et étaient des cibles faciles. Il entrevit également une seconde personne disparaître sur place, un homme, mais n'avait pas le temps de se questionner sur ses capacités.

Des gens couraient déjà dans sa direction, et l'image nette de ses parents s'imposa en même temps que les mots Dernier debout qui résonnaient en boucle dans son esprit. Il se retourna rapidement pour faire un saut encore plus loin dans la zone rocailleuse et réapparut sur un amas de rochers inégaux, à côté d'un arbre solitaire. L'odeur de terre chauffée et de végétation sèche emplit ses narines tandis qu'il s'accroupissait. Sa position était légèrement surélevée et il balaya rapidement la zone du regard, constatant qu'elle était vaste, mais pas assez pour ne plus discerner les murs qui l'entouraient. Il inspira pour s'asseoir derrière les rochers, cherchant à calmer sa respiration frénétique.

La pierre contre son dos irradiait une chaleur inconfortable, comme si même la roche se liguait contre lui. L'air était plus sec et le silence troublé par les échos lointains des cris et des bruits d'affrontements. Il ne pouvait qu'imaginer le massacre qui se poursuivrait là-bas. Il se força à inspirer lentement, mais son cœur martelait ses côtes. Il ferma les yeux un bref instant, tâchant de refouler un vertige grandissant : 'Réfléchis, Kiran, réfléchis…' s'ordonna-t-il en posant une main sur sa poitrine. Il sentait son souffle court, presque douloureux. L'instinct lui hurlait de fuir encore plus loin, mais il savait qu'il devait garder des forces. Chaque téléportation vidait un peu de son énergie. Une mauvaise décision, et il pourrait se retrouver incapable de se défendre.

Ses yeux inspectèrent une nouvelle fois les alentours. À première vue, cet endroit semblait isolé des autres, parfait pour se cacher et réfléchir. Mais il savait aussi qu'il n'était probablement pas le seul à chercher une telle cachette. Il tendit l'oreille, chaque muscle tendu. Le moindre bruit de pas, le moindre chuchotement qui pourrait lui indiquer s'il était suivi. Que devait-il faire ? Fuir et se cacher en attendant que ces gens s'entretuent tous ?

'Solas' songea-t-il. Son esprit revint immédiatement à son ami. Où était-il ? Avait-il fui dans une direction opposée ? S'était-il déjà retrouvé face à un adversaire ? Une partie de lui voulait retourner en arrière, essayer de le retrouver, mais une autre, plus prudente, lui soufflait qu'il valait mieux rester seul. Même le groupe de trois s'était séparé… Oui, c'était la meilleure alternative. Le coup du sort avait fait d'eux des rivaux, pire même : des ennemis.

Des pas se firent soudain entendre sur des pierres en contrebas. Kiran retint son souffle et se plaqua davantage contre son rocher. Une silhouette se dessina au loin, celle du colosse à la hache double repéré parmi les candidats. Ses pas étaient lents, méthodiques, comme s'il prenait son temps pour examiner chaque recoin.

'Il me cherche.' pensa-t-il avec une certitude glaciale. Son esprit bouillonnait de stratégies possibles : 'Je pourrais tenter un saut plus loin… Non, trop risqué. Si je fais du bruit, il saura exactement où je suis. Je pourrais… attendre qu'il passe.' Mais l'idée de rester immobile alors qu'un prédateur rôdait si près était insupportable. Et surtout, ce type avait forcément des compétences magiques en plus de ses muscles et de sa hache : 'Bon sang, c'est une folie, comment venir à bout de monstres pareils ?'

L'homme s'arrêta soudain, se penchant pour ramasser quelque chose.

Kiran serra les dents : 'Il ne m'a pas vu. Pas encore…' Une idée folle le traversa : s'il se téléportait pour apparaître dans son dos, il aurait une chance de le surprendre. La magie, c'est bien, mais un bon coup de poing peut parfois faire des miracles aussi. La voix de son père résonnait dans sa tête, presque moqueuse en ce moment de panique : 'Mais c'est pas d'un coup de poing dont j'aurais besoin, plutôt d'une grosse pierre et d'une chance insolente.' ironisa-t-il en lui-même.

Avant qu'il ne puisse décider, un hurlement retentit plus loin, attirant l'attention du colosse. Ce dernier redressa la tête, hésita un instant, puis se dirigea lentement vers le bruit.

Kiran laissa échapper un souffle tremblant, de soulagement et de peur. Son cœur faisait tant de bruit dans sa poitrine qu'il avait l'impression que tout le monde pouvait l'entendre. Son esprit tournait à toute vitesse, essayant de planifier son prochain mouvement : 'J'ai besoin d'un plan… et vite.' Il jeta un regard prudent derrière le rocher, s'assurant que l'ennemi s'éloignait réellement : 'Pour l'instant, je dois me tenir éloigné des autres. Je dois survivre. Juste rester loin d'eux, le plus longtemps possible.'

Mais ses pensées furent interrompues par un bruit derrière lui. Un souffle, un mouvement rapide. Il se retourna brusquement, prêt à fuir, mais s'arrêta net en apercevant Solas à quelques pas seulement.

Son visage était tendu, et la sueur perlait sur son front : "Kiran !" s'exclama-t-il, visiblement soulagé. Il avança rapidement vers lui, mais s'arrêta en décelant sa méfiance.

"Qu'est-ce que tu veux ?" lança Kiran, d'un ton bien plus froid qu'il ne l'avait voulu.

"Je ne suis pas ton ennemi. Tu le sais, non ?" lui demanda-t-il, levant les mains en signe d'apaisement.

Le garçon serra les poings. Il avait envie de le croire, mais les mots de l'annonceur étaient clairs : Le dernier capable de se tenir debout dans la zone, sera sacré mage du roi. Ce n'était pas un jeu. Ou peut-être que ça l'était, mais une partie dans laquelle gagner signifiait le pouvoir et la sécurité, tandis que perdre signifiait la mort : un jeu particulièrement impitoyable et cruel. Il ne pouvait pas se permettre de prendre des risques, même pas avec lui : "Tu veux quoi, alors ?" insista-t-il, se levant pour reculer légèrement.

"Écoute." reprit Solas, sa voix plus ferme : "Les règles disent qu'il faut être le dernier debout, pas qu'on doit forcément s'entretuer. On peut… on peut trouver un moyen. Se défendre, rester en dehors des combats. S'entraider."

Kiran secoua la tête, un rire nerveux échappant à ses lèvres : "S'entraider ? Jusqu'à ce que quoi ? Que l'un de nous trahisse l'autre à la fin ? C'est ça ton plan ?"

Il le fixa, visiblement blessé : "Kiran, c'est moi. On a traversé tout ça ensemble. Tu crois vraiment que je pourrais te poignarder dans le dos ?"

Le silence s'installa entre eux, chargé de tension. Le garçon détourna les yeux, évitant le regard insistant de son ami. Il voulait y croire. Il voulait croire que Solas disait la vérité, que leur amitié pouvait survivre à cet enfer. Mais la peur était plus forte : "Je… Je ne peux pas." bafouilla-t-il finalement : "Je ne peux plus te faire confiance. Pas ici."

Sans lui laisser l'opportunité de répondre, Kiran se téléporta. Il réapparut au loin entre des arbres, vacillant légèrement dans la manoeuvre. Il reprit son souffle, les jambes tremblantes, cherchant à faire le tri dans ses idées : 'C'était la bonne décision.' se répéta-t-il en silence : 'Il aurait fini par me trahir...' Mais malgré ses efforts pour se convaincre, une part de lui était rongée par la culpabilité.

Un rire résonna soudain, trop proche de lui, brisant le silence alentour. Un rire bas, guttural, presque enfantin.

Il se crispa en cherchant frénétiquement la provenance. Et alors, il l'aperçut : la femme aux couteaux.

Elle était perchée sur un rocher à quelques pas, un sourire carnassier illuminant son visage. Sa silhouette se dessinait sur les nuages. Ses cheveux étaient désordonnés et ses yeux fous accentuaient son air malsain. Elle balançait un couteau entre les doigts, son corps ondulant légèrement comme un serpent prêt à bondir : "Eh bien, p'tit lapin, tu cours vite. Trop vite, même." dit-elle, sa voix chantante trahissant un plaisir sadique : "Tu veux jouer à cache-cache avec moi ?"

Kiran recula instinctivement, réfléchissant désespérément à un itinéraire de fuite.

Mais elle sauta de son perchoir avec une grâce fluide, atterrissant devant lui en un mouvement presque irréel.

Sur ses gardes, mais tout aussi surpris qu'elle ne l'ait pas déjà attaqué, il demanda, la voix tremblante : "Qu'est-ce que t'attends… ?"

Elle pencha la tête, l'observant comme une enfant curieuse : "Ce que j'attends ? Oh, je veux juste me divertir un peu. Mais toi… toi, tu veux vivre, pas vrai ? Tu veux être le dernier debout. Et pourtant…" Elle fit un pas vers lui, son couteau brillant à la lumière : "…tu fuis ton seul allié. C'est intéressant, non ?"

"Personne n'a d'allié ici." rétorqua Kiran, les mâchoires serrées, essayant de se convaincre lui-même. Il venait de comprendre, horrifié, qu'elle ne cherchait pas juste à gagner, elle voulait s'amuser avant de tuer.

Son rire fendit l'air, sec et strident : "Oh, mon garçon. Tu es si naïf. Tu crois que tu peux survivre seul ? Que tu peux échapper à des gens comme moi ?" Elle lança un couteau vers lui, avant de le faire revenir avec amusement.

Le garçon crut que son cœur allait sortir de sa poitrine en voyant la lame fondre sur lui. Il recula instinctivement. Elle était très rapide et elle jouait avec lui, essayant de le briser avant même de l'attaquer. Et cela fonctionnait.

"Non, non. Ce que tu dois faire, c'est choisir. Mais choisir vite. Parce que, vois-tu, dans ce jeu, l'indécision tue..."

Il n'avait jamais été confronté à quelque chose d'aussi effrayant. À une personne aussi… terrifiante. Une seconde de trop à chercher du regard une issue pour se téléporter, et c'était la mort assurée.

"Peut-être que ton copain a raison." continua-t-elle, sa voix devenant étonnamment douce : "Peut-être que tu devrais le retrouver. Mais dis-moi… Kiran, c'est ça ? Tu crois qu'il n'a pas déjà prévu de te planter un couteau dans le dos ?"

"Ta gueule !" hurla-t-il, le poing serré, se résignant à attraper le petit poignard que son père lui avait confié pour le brandir vers elle. Il était sur le qui-vive, paniqué à l'idée de la quitter des yeux une seconde de trop.

La femme se mit à sourire, savourant sa réaction : "Oh, regardez ça. Le p'tit lapin montre les dents." Elle fit un nouveau pas en avant : "Alors, mon p'tit… Tu te bats ? Ou tu meurs ?"

Kiran recula encore, tenant fermement son poignard, mais son pied heurta quelque chose. Il vacilla en arrière, et cet instant d'inattention fut immédiatement saisi par son adversaire.

Elle bondit sur lui avec une rapidité effrayante, ses lames traçant des reflets acérés dans l'air.

Dans sa chute, il eut le temps d'apercevoir un visage au sol, figé par la mort dans une expression de terreur. Les yeux grands ouverts, du sang plein la bouche. Il tenta une téléportation, mais un instant trop tard. Une lame perça sa poitrine au moment où il disparut. La douleur fut fulgurante, lui coupant le souffle. Il réapparut maladroitement non loin et tomba à genoux, ses doigts se refermant instinctivement sur le manche du couteau, juste avant qu'il ne disparaisse. Il porta alors une main vers sa plaie béante.

Depuis son dos, la voix s'éleva à nouveau, presque avec tendresse : "C'est comme ça que ça se termine, p'tit lapin. Pas de gloire, pas de victoire. Juste… le silence."

C'était sur un cadavre qu'il avait trébuché, sans doute une victime de cette folle, et il le rejoindrait bientôt. Ses mains heurtèrent le sol moite. Il voulut fuir plus loin, mais une douleur lui vrilla le flanc. Sa paume se plaqua au milieu de son torse, d'où s'échappait un flot gelé, incontrôlable. Il y en avait partout. Du rouge sur ses doigts, sur ses vêtements, sur la terre. Pourquoi est-ce que cela lui paraissait si froid ? Il tenta de comprimer la plaie, mais ses muscles flanchaient. Le sang s'infiltrait entre ses phalanges, poisseux, collant. Un vertige. Une terreur sourde. Des tremblements incontrôlables. Il grelotta, son souffle s'échappant par à-coups.

Puis, il frissonna lorsqu'une goutte de pluie s'écrasa sur sa joue : 'Putain, je vais vraiment crever là… Quelle foutue mauvaise blague.' Il leva les yeux vers le ciel gris pour plaisanter dans un murmure saccadé : "Tu avais raison, les orages, ils nous suivent personnellement…"

"Qu'est-ce que tu baragouines, petit ?" gloussa la femme. Elle le contourna et se pencha pour examiner son visage avec un sourire presque candide, en total décalage avec les lames couvertes de sang qui luisaient dans ses mains, dont une qu'elle porta à ses lèvres.

"Orages… nous suivent…" répéta-t-il dans un souffle. Le ciel gris au-dessus semblait refléter son propre état, lourd, menaçant, mais impuissant à changer le cours des choses.

Contre toute attente, elle leva les yeux et son visage parut légèrement surpris face aux nuages chargés.

Kiran était assez lucide pour comprendre qu'il vivait ses derniers instants, et une colère sourde monta en lui. Pas contre elle, pas seulement. Contre lui-même, plutôt. Contre son incapacité à faire mieux, à être à la hauteur de ce qu'on attendait de lui. Contre sa naïveté d'avoir espéré, un instant, qu'il serait capable de conquérir ce monde absurde. Ses parents lui revinrent en mémoire, leurs visages illuminés de fierté le jour de son départ. Il revoyait son père bomber le torse devant le village, sa mère pleurer doucement en le serrant dans ses bras. Et lui ? Lui, il allait les décevoir en mourant ici, loin d'eux, sans rien accomplir. Ils avaient placé leurs espoirs en lui et il les avait trahis, pas par choix mais par faiblesse. Une larme roula sur sa joue, se mêlant aux premières gouttes.

Et surtout, il se demandait s'il aurait dû écouter Solas : 'Peut-être qu'avec lui, j'aurais eu une chance…' pensa-t-il, tandis que la pluie s'intensifiait, brouillant peu à peu son regard.

Prochainement : Solas

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