53. L'ascension - Partie 9
La première chose que Kiran ressentit fut une douleur sourde irradiant depuis sa poitrine, comme si son cœur lui-même avait été marqué au fer rouge. Il ouvrit lentement les yeux, mais la lumière tamisée de la pièce lui fit quand même plisser les paupières. Une odeur d'herbes médicinales embaumait l'air, mêlée à celle plus métallique du sang. Où était-il ?
"Tu es réveillé."
Cette voix grave fit sursauter Kiran et déclencha un élancement aigu qui traversa son torse, lui arrachant un gémissement involontaire. Il tourna la tête avec difficulté et découvrit une silhouette massive installée à une table de la pièce. Son cœur se serra immédiatement : l'homme à la hache double. Même assis, il paraissait immense, son arme monumentale appuyée contre le mur derrière, comme un fidèle compagnon. Le garçon sentit la peur monter en lui. Il chercha une issue, dans un réflexe presque animal. Ce type l'avait traqué pendant l'épreuve. Il le savait : il l'aurait tué.
"Calme-toi, garçon." lui dit-il, levant légèrement une main comme pour apaiser une bête effrayée : "Je ne vais pas te faire de mal."
Kiran déglutit difficilement, mais son corps ne se détendit pas pour autant. L'endroit ressemblait à une infirmerie, mais ils étaient seuls. Ses yeux errèrent jusque sur le plafond en bois au-dessus de lui : "Comment…" Sa voix était rauque, presque inaudible. Il s'interrompit pour inspirer doucement, son thorax protestant à chaque mot : "Comment je peux être encore en vie ?"
"Grâce à ton ami."
Kiran tourna lentement la tête, trouvant le courage de croiser son regard pour y trouver un quelconque indice.
Le colosse ne souriait pas, mais il n'y avait pas non plus de malveillance dans son expression. Seulement une sorte de lassitude, peut-être même un soupçon de compassion : "Il t'a sorti de la zone. Il a gagné l'ascension."
"Solas…" murmura Kiran, les souvenirs flous revenant par fragments. La femme aux couteaux, la douleur, la foudre. Il avait vu venir sa fin, certain qu'il allait mourir, pourtant…
"Tu peux le remercier." poursuivit l'homme, croisant ses bras massifs : "Il a eu une idée brillante. Sortir quelqu'un de la zone, c'était malin. T'exclure sans te tuer, et ç'a fonctionné. Tu ne faisais plus partie des règles."
Kiran resta silencieux, ses pensées tourbillonnantes. L'ascension ne laissait pas qu'un seul survivant en fin de compte ? Et comment ce type avait terminé là, lui aussi ? Il risqua alors la question : "Et toi ? Pourquoi… tu es encore là ?"
L'homme haussa légèrement les épaules : "Ton copain m'a expulsé avec un éclair. Insuffisant pour me tuer, mais assez pour m'envoyer hors zone. Un coup direct, pas très élégant. Forcé de reconnaître qu'il a bien joué son coup, ce sale môme."
Kiran l'observa, ses traits robustes et ses yeux sombres ne laissaient pas paraître grand-chose. Il ne savait pas quoi penser de lui. Pendant l'épreuve, il avait vu un chasseur, implacable et menaçant. Maintenant, il voyait juste quelqu'un de fatigué : "Tu allais me tuer." souffla-t-il, une pointe d'amertume dans la voix.
"Oui." admit-il sans détourner le regard : "Parce que c'était les règles. Mais je n'ai jamais pris plaisir à ça, garçon. Je voulais gagner. C'est ce qu'il fallait faire, c'est tout."
Après un moment de réflexion, Kiran exprima prudemment : "Sauf qu'il y avait des alternatives, et le fait qu'on soit en vie le prouve. On n'a pas su lire entre les lignes, Solas a peut-être été le seul à le faire…"
"…et ç'a fait toute la différence." confirma l'homme, ses yeux fixant un point invisible dans l'air, comme s'il revoyait la scène : "On a joué selon ce qu'on pensait être les règles. Lui, il les a contournées sans trahir personne. Respect."
Un silence s'installa entre eux, seulement troublé par les bruits de pas d'un guérisseur qui entra dans la pièce. Ce dernier portait un plateau chargé de bandages propres et d'onguents qu'il posa sur une table près du lit : "Vous êtes reveillé." constata-t-il.
Kiran ne répondit pas, laissant les mots du colosse résonner un moment. Il luttait contre le mélange d'émotions qui montait en lui… soulagement, gratitude, honte. Un rire amer s'échappa de ses lèvres. Le tableau était absurde : trois survivants, mais un seul vainqueur. Il s'était trompé. Il avait douté de Solas, s'était convaincu qu'ils ne pouvaient pas se faire confiance. Et pourtant, c'était bien lui qui lui avait sauvé la vie, en définitive.
Le guérisseur reprit d'une voix calme, mais autoritaire : "Tiens-toi tranquille." Puis, commença à dérouler lentement les bandages de Kiran, démarrant par ceux autour de son abdomen en remontant.
L'odeur d'onguents devint plus forte, et le garçon sentit une vive brûlure dans sa chair. Son regard glissa vers sa blessure… et il se figea, écarquillant les yeux malgré lui. La plaie semblait soudée à vif. Pas noircie, non. Mais comme figée, tendue, avec des nervures rougeâtres courant sous la peau, telles des racines foudroyées. Une trace pâle, ramifiée, s'épanouissait autour de la lésion, presque artistique, mais profondément inquiétante. Il tendit les doigts, fasciné malgré lui par ce motif étrange gravé sur sa peau.
"C'est stable, mais il faudra du temps pour que tu sois entièrement rétabli. Ton ami a pris un risque immense en utilisant la foudre pour cautériser ta blessure, mais c'était efficace. Sans ça, tu ne serais plus là pour qu'on en parle. C'est passé très près du cœur et je soupçonne que l'une de tes artères ait été coupée puis refermée à vif dans le processus. Tu te serais vidé de ton sang."
Un souvenir flou lui revint, un cri, la morsure d'un éclair… et l'ombre de Solas penchée au-dessus de lui, l'expression dure. Les explications du guérisseur lui pesèrent lourd, et il tourna la tête vers le colosse avec curiosité.
Mais ce dernier resta silencieux, les bras croisés dans une posture détendue, bien que ses yeux furent également fixés sur sa plaie.
"Et lui ?" interrogea enfin Kiran d'une voix râpeuse, couverte un instant par le froissement des linges qu'on lui pressait contre la peau : "Solas. Il est où, maintenant ?"
Le colosse poussa un soupir, décroisant les bras pour se redresser légèrement : "À la cour, probablement. C'est le vainqueur, après tout : le roi le prend à son service. Il a obtenu ce qu'il voulait."
Ce qu'il voulait. Ces mots sonnèrent étrangement aux oreilles de Kiran. Était-ce vraiment le cas ? Solas avait sans doute pris de gros risques pour lui sauver la vie. Et l'épreuve… L'épreuve était bien loin de tout ce qu'ils avaient imaginé en venant. Il était parvenu à gagner l'ascension, mais à quel prix ?
"Tu ne comprends pas, hein ?" ajouta le colosse en observant son regard perdu : "Ce que ton ami a fait… ce n'était pas juste pour toi. Il a prouvé quelque chose à tout le monde. À moi, à toi, et même à ce fichu roi. Il a montré que c'était possible de gagner sans être une ordure."
Le garçon sentit une vague de chaleur monter en lui, un mélange de gratitude et de regrets : "Et maintenant ?" questionna-t-il après un long moment, grimaçant lorsqu'on lui resserra un pan de tissu contre le flanc : "Que va-t-il se passer ?"
Le guérisseur échangea un regard avec son autre patient, puis secoua légèrement la tête pour signifier qu'il n'avait pas la réponse. Il dit tout de même : "Pour toi, je suppose que tu retournes à ta vie. Ici, tu es hors de danger. La couronne s'est engagée à te soigner, mais après ça… tout dépend de toi."
Kiran sentit un vide s'installer en lui. Retourner à sa vie ? Qu'est-ce que ça voulait dire ? Tout ce qu'il avait imaginé, tout ce qu'il avait espéré en venant ici, s'était effondré. Qu'allait-il raconter à sa famille ? À quel point allaient-ils être déçus de lui ? Et Solas, que faisait-il en ce moment ? Il avait beaucoup à lui dire. Et il avait encore plus de mal à réaliser qu'il était devenu l'Archimage du royaume. C'était tellement surréaliste.
Après quelques minutes, l'homme à la hache regarda le guérisseur se diriger vers la sortie et reprit la parole : "Il faut que tu le saches : n'attends pas ton ami, il ne reviendra pas."
"Quoi ? Qu'est-ce que tu veux dire ?" demanda Kiran en levant un sourcil.
Le colosse hésita avant de se lever. Il attrapa son arme, la passant sur son épaule avec une aisance désarmante : "Prends soin de toi, garçon. Ce que tu fais à partir de maintenant, c'est toi qui décides. Pas les règles, pas les autres. Toi."
Kiran le regarda tourner les talons et quitter la pièce à son tour, le laissant seul avec ses interrogations. Il resta immobile, perplexe, ne comprenant pas le sens de ces paroles. Il ne reviendra pas. Cela n'avait aucun sens. Après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble, après tout ce que Solas avait fait pour lui, comment pourrait-il disparaître de sa vie ? C'était impossible. Le mal dans sa chair parut s'estomper un peu, remplacé par une chaleur sourde, mélange d'inquiétude et de détermination. Hors de question. Il devait lui parler au plus vite, le remercier, s'excuser, comprendre pourquoi il avait pris de tels risques pour le secourir. Peut-être qu'il pourrait même…
Tout à coup, il revit les lames briller, le sang couler, les sourires cruels, la mort…
Non, il ne devait pas se faire d'illusions. Ils ne pourraient pas reprendre leur vie comme avant, plus rien n'était pareil, mais il avait besoin de présenter ses excuses. Tremblant légèrement, il repoussa les couvertures, gémissant lorsque le mouvement tira sur sa blessure. Ses pieds touchèrent le sol froid et il serra les dents pour ne pas céder à la douleur. Ses jambes vacillèrent sous son poids, mais il s'appuya sur une armoire pour se stabiliser : 'Un pas à la fois.' s'encouragea-t-il, avançant prudemment vers la porte.
L'air frais du couloir le surprit, le faisant frissonner malgré la moiteur persistante sur sa peau. Deux gardes royaux se tenaient non loin, discutant à voix basse. À son approche, ils se retournèrent et le dévisagèrent avec surprise : "Tu ne devrais pas être debout." dit l'un d'eux, un homme à la carrure imposante accoutré de l'armure rouge et or du palais.
"Je vais bien." assura Kiran, bien que le ton de sa voix le contredisait : "Je veux juste… voir Solas."
Les gardes échangèrent un regard. Le plus jeune secoua la tête avec un soupir : "Ce n'est pas possible."
"Pourquoi ? Je veux simplement lui parler. Le remercier." Mais, face à leur silence, il reprit pour clarifier : "Je ne partirai pas tant que vous ne m'aurez pas dit pourquoi je ne pourrais pas le voir."
Les deux hommes semblèrent hésiter, puis le plus jeune murmura : "Écoute, c'est pour ton bien qu'on dit ça. Si tu insistes, ils te feront la même chose."
"Mais de quoi vous parlez ?" insista-t-il, son rythme cardiaque s'accélérant. Ses muscles, encore engourdis par la convalescence, se tendirent malgré eux, comme si son corps sentait venir le trouble avant lui. Quelque chose clochait. Quelque chose de grave. Il fit un pas en avant, ignorant la douleur dans sa poitrine : "Répondez-moi !"
Le plus jeune des gardes, visiblement mal à l'aise, regarda son collègue, qui lui fit un signe de tête en accord : "Solas est l'Archimage maintenant. Mais… il n'est plus le même. Il y a un homme au palais… qui a la capacité de manipuler la mémoire. Ils ont effacé une partie de ses souvenirs, comme ils le font toujours avec ceux qui obtiennent une position proche du roi."
'Hein ?' pensa Kiran, confus.
Le jeune soldat conclut : "Il ne se souvient plus de toi."
Ces mots le frappèrent comme un coup de poing. Il recula d'un pas titubant : "C'est… ce n'est pas possible. Pourquoi ils feraient ça ?"
"Pour notre souverain, bien sûr. Le tisserand de mémoire fait table rase… et le roi adore les pages blanches." répondit l'aîné d'un ton tranchant : "Crois-moi, petit, si tu continues à insister, ils viendront pour toi aussi. Tu veux oublier ton propre nom ? Rentre chez toi tant que tu le peux encore."
Kiran sentit sa gorge se nouer. Son esprit refusait d'accepter ce qu'il venait d'entendre. Oublier ? Comme si leur amitié n'avait jamais existé ? Comme si toutes les épreuves qu'ils avaient traversées ensemble n'étaient qu'un rêve ? : "Vous mentez…" murmura-t-il d'une voix faible, presque brisée.
"Ce n'est pas un mensonge." affirma le jeune soldat, baissant les yeux avec une lueur de compassion dans le regard : "C'est comme ça. Le roi veut des serviteurs entièrement dévoués, sans distractions, sans attachements. Ils… coupent leurs liens. Ils vous ont forcément averti, ils le font tout le temps : Soyez prêts à abandonner tout ce que vous avez ou partez."
Kiran fronça profondément les sourcils, se souvenant parfaitement d'avoir entendu cette phrase.
"Pourquoi seraient-ils prêts à engager des assassins, d'après toi ?" poursuivit le jeune homme pour appuyer ses affirmations.
"Mais… sa famille l'attend. Ne me dites pas que… eux aussi…?"
"Pars." intervint l'aîné avec une pointe de lassitude : "Retourne chez toi. C'est ce que ton ami aurait voulu. Trouve aussi une bonne histoire pour sa famille si tu veux les protéger. Tu ne peux rien faire d'autre."
Kiran resta figé, incapable de bouger. Les gardes s'éloignèrent finalement, le laissant seul dans le couloir. Les larmes lui montèrent aux yeux, mais il les ravala. Il tourna lentement les talons et regagna sa chambre, chaque pas plus lourd que le précédent. Une fois seul, il s'assit sur le lit, les mains tremblantes, fixant un point invisible devant lui : "Solas… Tu voulais ça ?" murmura-t-il pour lui-même, mais aucune réponse ne vint : "Bien sûr que non, c'est pour eux que tu l'as fait… Y'a vraiment rien qui va comme on l'avait imaginé, quel putain de cauchemar… !" se lamenta-t-il.
Il serra les poings, son regard toujours fixé sur le sol de la chambre. Les mots des gardes s'accrochaient à son esprit, comme un vieux rhume tenace qu'on traîne sans pouvoir s'en débarrasser. Il ne se souvient plus de toi. Il voulait hurler, frapper quelque chose, mais son corps affaibli ne lui permettait même pas ça. Il passa une main tremblante sur son visage, essayant de se ressaisir. Mais la souffrance était trop forte, et pas seulement celle de sa blessure.
Ses pensées se tournèrent vers la famille de Solas. Vers sa petite sœur. Elle lui avait noué ce ruban jaune autour du poignet, symbole d'un lien indéfectible. Que penserait-elle en apprenant que son frère ne rentrerait jamais, qu'il ne se souvenait plus d'elle ? Comment réagiraient ses parents ? Le garçon demeura immobile, mais son esprit était un chaos hurlant. Pouvait-il tout leur dire ? Comment expliquer à une petite fille que son frère, qui avait promis de penser à elle tous les jours, avait été effacé de leur vie ? Comment regarder ses parents dans les yeux et leur annoncer que leur fils ne reviendrait pas, pas parce qu'il avait échoué ou était mort, non, mais parce qu'il avait été volé par ceux qu'il allait servir ?
Il ferma les yeux et inspira profondément, la brûlure dans sa poitrine lui rappelant qu'il n'était pas en état de lutter, ni physiquement ni mentalement. La colère qui grondait en lui s'éteignit peu à peu, remplacée par un vide écrasant. C'est ce que ton ami aurait voulu. Peut-être… Mais cette pensée ne rendait pas la situation plus supportable. Il se redressa lentement, chaque mouvement accompagné d'une douleur lancinante. Il savait qu'il ne pouvait pas rester ici. Ce palais était un tombeau pour lui, un endroit où il ne trouverait ni réponses ni paix. Retourne chez toi. Ces mots lui donnaient envie de rire amèrement. Était-ce encore chez lui, après tout ça ?
Mais il n'avait pas le choix.
Kiran attrapa son sac près du lit, celui que ses parents avaient préparé pour le voyage, et en serra la lanière d'un geste presque mécanique. Il était plus léger qu'à son départ, comme si les espoirs qu'il avait emportés s'étaient évaporés en chemin. Il fouilla à l'intérieur pour en sortir une chemise et l'enfiler. Chaque mouvement semblait le rapprocher d'une décision qu'il redoutait : fuir cette situation, cette injustice. Il ferma les yeux et visualisa la maison de Solas, cette modeste maison en terre cuite où l'attendaient des parents aimants et une petite sœur au sourire lumineux. L'image était claire dans son esprit, et malgré la fatigue qui pesait sur lui, il canalisa la magie qui lui restait pour se téléporter.
Le garçon réapparut devant la maison, ses jambes fléchissant sous le choc de l'effort. Il se rattrapa à la bâtisse pour ne pas tomber. La violence du voyage faillit le faire s'effondrer, son organisme le rappelant violemment à l'ordre. Il resta là, le front appuyé contre le mur, attendant que les bourdonnements dans ses oreilles s'atténuent, que les taches devant ses yeux se dissipent. Ce foutu vertige faisait vaciller le monde autour de lui.
La porte s'ouvrit brusquement, et Nakia apparut, ses yeux s'illuminant à sa vue : "Kiran !" s'exclama-t-elle en courant vers lui. Mais son sourire s'estompa lorsqu'elle remarqua son visage fatigué et la pâleur de sa peau : "Ça… ça va ? Où est mon frère ?"
Les mots frappèrent Kiran comme une lame. Il sentit sa gorge se serrer, incapable de répondre tout de suite. Il força un sourire, puis parvint enfin à répondre : "Solas ne peut pas rentrer tout de suite. Il… Il a été choisi pour quelque chose de très important."
Les yeux de la fillette s'écarquillèrent, pétillants d'admiration : "Vraiment ? Il est devenu le mage du roi, c'est ça ? Il est incroyable !"
Kiran hocha lentement la tête, incapable de réfuter cette vérité. La joie innocente dans les yeux de Nakia était insupportable, mais il ne savait pas quoi dire d'autre. Ils méritaient la vérité, toute la vérité, mais cela les briserait.
La mère de Solas apparut à son tour, suivie de son père. Les visages anxieux de ces derniers se détendirent légèrement en voyant le garçon.
"Par Élune, Kiran, tu es pâle comme un linge, tu vas bien ?" demanda la femme.
Il inspira profondément, rassemblant tout son courage. Il ne pouvait pas leur mentir, mais il devait trouver un moyen de protéger Nakia. La petite fille était toujours là, le regard brillant d'espoir. Elle ne pouvait pas entendre ce qu'il avait à dire. Pas maintenant : "Je vais… bien." répondit-il avec un faible sourire, toujours appuyé contre la maison, sachant trop bien que son état disait exactement le contraire : "Mais j'ai besoin de parler à vous deux. En privé."
La mère fronça les sourcils, son instinct maternel semblait déjà capter que quelque chose n'allait pas. Elle échangea un regard inquiet avec son mari, qui acquiesça lentement. Puis, elle posa une main douce sur l'épaule de sa fille : "Nakia, ma chérie, pourquoi ne rentrerais-tu pas à l'intérieur préparer un peu d'eau fraîche pour Kiran ? Il vient de loin."
Nakia hocha la tête avec enthousiasme, toujours rayonnante à l'idée que son frère soit devenu quelqu'un d'important : "D'accord ! Tout de suite !" dit-elle avant de disparaître dans la maison.
Dès qu'elle fut hors de vue, la femme se tourna vers le garçon avec une expression beaucoup plus grave : "Qu'est-ce qui se passe, Kiran ? Où est Solas ?"
Les mots étaient là, bloqués dans sa gorge. Comment dire cela ? Comment leur expliquer la cruauté de ce qu'ils avaient vécu ? Il pouvait au moins leur épargner les détails. Il baissa les yeux, incapable de soutenir leur regard : "Il est vivant." murmura-t-il d'une voix rauque et hésitante : "Mais… il ne reviendra pas…"
La mère de Solas porta une main à sa bouche, son visage se décomposant : "Pourquoi tu dis ça ?"
Son père plissa également le front avec une profonde inquiétude.
Kiran cherchait à contenir sa propre émotion : "Ils… Ils lui ont fait quelque chose." avoua-t-il finalement : "Le roi… il voulait un mage sans attaches. Solas… ne se souvient plus de nous. Ils ont effacé sa mémoire."
Un silence glacé tomba sur eux. Le père de Solas recula légèrement, comme si ce qu'il venait d'entendre l'avait frappé physiquement : "Effacé ?" répéta-t-il, entre choc et inquiétude.
La femme chancela, mais son mari l'attrapa juste à temps pour la soutenir. Ses larmes commencèrent à couler, silencieuses, tandis qu'elle secouait la tête : "Non… Non, ce n'est pas possible. Solas… Il aime tellement notre famille. Il aime Nakia. Comment pourrait-il… nous oublier ?"
"Ce n'est pas sa faute. Il n'a pas choisi ça… Il n'aurait jamais voulu ça…" marmonna le garçon, ses propres yeux reflétant l'étendue de sa peine : "Mais au moins… il est vivant. Il… Il va bien." Ces mots, il les prononçait pour se convaincre lui-même, car il ne pouvait puiser du réconfort dans rien d'autre actuellement. Il réalisait avec horreur qu'il venait non seulement de perdre son meilleur ami, mais qu'il devait désormais porter seul le poids de la terrible épreuve qu'il venait de traverser. Des images trop cruelles à imposer, une vérité impossible à partager.
La mère de Solas chancela à nouveau, mais cette fois, elle agrippa spontanément Kiran. Elle le tira vers elle et l'enlaça sans un mot, sans retenir son chagrin.
Kiran voulut résister au flot d'émotions qui le submergeait. Il se raidit un instant, machinalement, tentant de garder le contrôle. Mais cette chaleur humaine, ce geste consolateur de douleur partagée, brisa ce qu'il restait de ses défenses. Il s'effondra dans ses bras, son visage enfoui dans son épaule. Les sanglots vinrent sans prévenir, irréguliers, bruyants, inarrêtables. Tout ce qu'il avait contenu depuis leur arrivée au palais éclata d'un coup : la peur, la culpabilité, la tristesse : "Je suis désolé…" articula-t-il laborieusement entre deux spasmes.
Prochainement : Amos
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