Agression - Chapitre 2

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Paris, 3 décembre 2019, 4 h 25. Clinique Geoffroy Saint-Hilaire, 5ème arrondissement.


La douleur. Omniprésente, partout, en moi et sur moi.

Je n’ose pas ouvrir les yeux, de peur de le revoir. Mon bourreau. Le rythme des coups qu’il m’a infligés est imprégné sur mon corps : d’abord le ventre, puis la poitrine et enfin le visage. Poser les mains sur les oreilles afin de ne plus entendre mes propres os craquer, pencher la tête en avant pour éviter qu'elle heurte trop violemment le sol. La dernière fut celle de trop. Des étoiles rouges et laiteuses sont venues danser devant mes paupières closes. Un tourbillon sombre et menaçant s’est emparé de mon âme.

Je dois être morte.

Des flashs de points blancs succèdent au ciel d’encre qui s’agitait au-dessus de moi. Désespérément, je m’accroche à des sons, des sensations. La souffrance s'insinue dans chaque parcelle de mon être : dans le feu qui brûle mes poumons à chaque passage d’air, du verre qui crisse sur ma langue au moindre mouvement. Il m’est désormais impossible de formuler un mot. Mes doigts, comme dix incendient, se consument et se liquéfient, un mucus poisseux coule sur mes mains. La douleur irradie vivement de mon épaule, paralysant mon flan jusqu'au genou. Une plaque d’acier à scinder mon corps en deux, mes jambes et mon cerveau ne communique plus. Je gémis au contact d’une paume qui se pose sur moi, délicatement. Dans mon esprit, des plaies recouvrent ma peau et ma vie ruisselle à travers elles. Le noir m’appelle et m’aspire, je désire que tout s’arrête, que mon cœur se fige dans ma poitrine meurtrie.

Je veux m'éteindre, que ça cesse.

Mon inconscient dessine un lieu confortable, un lit de plume où une lumière tamisée n’agresse pas mes yeux, desséchés par les larmes. Une brise délicatement parfumée émane de ce refuge angélique. La mort se fraie un chemin, elle engourdit mes membres, mes doigts meurtris et immobiles se glacent. Le bruit qui m’entoure ne m’atteint pas, tout comme la chaleur de la couverture de survie qui m’enveloppe.

J’ignore la raison de cette attaque, de cet acharnement à distribuer des coups.

L’étincelle de vie vacille, le gouffre béant, sombre, aspire mes forces et mes tourments.

Le vent glacé froisse mes cheveux. Impossible de déterminer qui d'entre la réalité et mon inconscient détient la vérité sur mon état : vivante ? Morte ? Quelque part entre les deux, précisément.

Quelque chose bouge, on me transporte.

J’ai dormi un bref instant avant que la sensation d’un obus explosant dans ma tête ne me sorte de ma torpeur. Tout est balayé, détruit. De mon cocon dont on m’a arraché, il ne reste que les murs blancs, striés de lignes rouges dégoulinantes sur le carrelage. Une lame de fond de la douleur surgit et recouvre tout. Je tremble, car à présent je redoute de mourir.

Quelqu’un pleure mais il m’est impossible d’émettre le moindre son. Quand ma bouche s’ouvre, ma mâchoire inférieure extirpe des larmes silencieuses. Avec horreur je réalise que la personne qui gémit : c’est moi. Je m’accroche à cette main qui me touche avec douceur. L’odeur atroce de l’antiseptique a remplacé le parfum masculin. C’est insupportable pour mon cœur, je vide mon estomac.

L’épuisement me submerge et ma tête bascule dans le néant qui m’attire dans un silence et un apaisement immédiat. Perdue dans les limbes de mon inconscient, je flotte sur l’eau chaude et la chaleur m’envahit peu à peu. Mon esprit s’accroche finalement à une lumière au-dessus de moi. J’essaie sans succès de soulever mes paupières. Les sons arrivent comme des cris à mes oreilles. Au milieu de mes larmes, je perçois à nouveau le blanc des murs, puis l'odeur spécifique des médicaments. Un hôpital. Je gémis plus fort, espérant retrouver mon cocon de plumes immaculées et douces. Soudain, l’effluve rassurant de ma mère me manque. Puis je pense à mon père et pleure de plus belle. Je sais que ses bras forts et confortables me sauveraient. Le flash éclatant d’un appareil photo me sort de ma torpeur. Rapide et bruyant, il tourne autour de moi. L'éclairage ne m'éblouit pas. Mes paupières essaient tant bien que mal de m’envoyer dans les limbes d’un sommeil salvateur que je désire plus que tout. J’entends des pas traînants et des talons sur le sol, sûrement des bottes. Parmi les relents de drogue qui flotte dans l’air, la voix d’un homme me ramène brutalement à la réalité. Les larmes altèrent les lumières et les forment, je ne reconnais rien sauf une silhouette. Quelqu’un s'adresse à mon frère.

— Monsieur, je vous en prie, nous mettons tout en œuvre pour la sauver. Veuillez quitter la chambre. Nous lui administrons des soins, je vous promets qu’on viendra vous chercher ensuite.

Je n'entends pas sa réponse, l'ombre m’aspire une fois encore. Une grosse guêpe pique ma peau et je devine son dard dans le pli de mon bras. Un liquide se répand dans mes veines et m’emporte définitivement dans le noir. Enfin, avec lui, la douleur s’évanouit. Mon esprit reforme le cocon fragile et je me ferme à toutes les stimulations extérieures.

Je veux juste dormir. Ne plus ressentir la souffrance. Mourir.

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