Agression - Chapitre 4

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Paris 17 janvier 2020 10 h 25. Clinique Geoffroy Saint-Hilaire, 5ème arrondissement.

Les larmes coulent et je ne parviens pas à ouvrir les yeux. Je sens la chaleur de la main de Nicolas qui emprisonne la mienne. Je l’entends. Il retient difficilement un long sanglot.

Epuisée depuis mon réveil il y a plus de dix jours, l’essentiel de mon temps consiste à dormir, voir des médecins et essayer de reprendre mes esprits. Je sais juste que ma tension fait le yoyo et que je ne pourrais probablement plus écrire de la main droite. Un moindre mal, car je suis une miraculée.

Ce matin un policier est entré dans la chambre. J’étais seule avec l'infirmière qui installait un objet de torture pour mesurer les efforts que mon cœur endurait pour battre régulièrement. Sous le regard médusé de la femme en blouse blanche, cet homme m’annonçait la mort tragique de mes parents dans un banal accident de la route.

La sensation que mon cœur Cette nouvelle aurait pu m’achever.

Je me souviens que Nicolas revenait quand le policier me donnait de sombres détails.

Le point de mon frère avait envoyé la porte si fort contre le mur qu’une fissure la zébrait de haut en bas. Avec l'aide d'un brancardier, le médecin a réussi à le contenir. Un exploit car c’est une montagne de muscle de presque deux mètres. Quant à moi… l’infirmière a sournoisement appuyé sur l’interrupteur de la perfusion et j’avais sombré dans un sommeil sans rêves.

Un stupéfiant, encore.

Depuis mon arrivée, on ne cessait de m’en donner.

Ce matin, quand le docteur s’était présenté j’ai exprimé mon souhait de plus être droguée du matin au soir sous prétexte de l’obligation de me reposer. Depuis, les soignants adaptaient mon traitement contre la douleur. Selon le médecin mes nombreuses fractures l'imposaient, toutefois il concédait la nécessité de le diminuer progressivement. Ma mâchoire meurtrie lui donnait raison et d’après lui, je n’étais pas près de mordre dans un quignon de pain.

Je veux juste rentrer chez moi et m’occuper des funérailles de mes parents.

Les circonstances de l’accident qui avait causé leurs disparitions étaient établies : un conducteur de bus, ivre, avait propulsé la voiture hors du périphérique parisien. Morts sur le coup.

Quatre vies brisées pour quelques verres.

Mon bras droit emprisonné dans un plâtre vert me gratte atrocement et je me demande pourquoi je suis assailli de pensées futiles et inutiles alors que je dois enterrer mes parents dans quelques jours.

Il n'y aura plus jamais d'occasion de leur dire "je t'aime". Pas dans cette vie.

À cause de ce fou qui a voulu me tuer ! C’est lui l’unique responsable.

Au fond de moi, ma détermination de poursuivre en justice le monstre qui a brisé ma famille se renforce.

Nicolas, calé dans l’unique fauteuil de ma chambre qu’il a installé à côté de mon lit, essuie mes larmes avec délicatesse et j’ouvre les yeux. Je me sens bien incapable de prendre la parole, les mots sont emprisonnés dans la gorge. J’évite son regard, car sur son visage, je peux reconnaître, le sourire de ma mère, le nez de mon père et ses yeux. Le chagrin et la souffrance s’embrassent et compriment ma poitrine. L’air me manque. Les mots sont inexistants pour expliquer ce que je ressens alors je laisse ma main dans celle de mon frère. Ce contact chaud et rassurant me suffit pour le moment.

Au bout d’une longue et douloureuse demi-heure, j’appuie sur le bouton d’appel de l’infirmière. Elle entre quelques minutes après dans ma chambre.

— Vous avez besoin de quelque chose ?

Remonter le temps et des cours de karaté.

— Oh oui ! Je veux des béquilles ! J’exige de marcher !

— Vous n’y pensez pas !

Son ton affolé m’arrache un sourire.

— Vous devez vous reposer. Votre tension reste encore très basse.

Je commence vraiment à me sentir prisonnière de mon corps. Je fronce les sourcils et cherche une réplique cinglante. Elle m’examine du regard et finit par céder.

— Vous pouvez toutefois vous déplacer en fauteuil. Votre frère en trouvera à l’entrée du service.

Enfin ! Je vais sortir de ce lit.

Nicolas et l’infirmière quittent la chambre.

Je tourne la tête pour contempler le ciel, le brouillard épais masque le soleil. Mes yeux sont attirés par la couverture rouge d’un bouquin.

Je ravale un sanglot.

Abandonnée sur la console de chevet, le livre que ma mère lisait quand elle attendait que je me réveille. Machinalement, je l’attrape et le glisse dans le tiroir. C’est beaucoup trop douloureux. Je tremble et des larmes coulent de nouveau. J’ai froid et soudain je ne désire plus quitter mon lit. Je veux juste dormir. J’espère que c'est un nouveau cauchemar. À choisir, je préfère le précédent. La vie ne m'avait pas encore arraché mes parents.

Je pleure de plus belle et je saisis le drap entre mes lèvres. La douleur irradie dans ma mâchoire, mais je m’en moque, je le mords. En vain. La souffrance manque de me faire perdre connaissance. Je suis exténuée. Mon cœur se met à avoir des ratés. Je me tourne sur le flanc et me force à compter jusqu’à dix pour expirer lentement. Nicolas ne doit pas me voir prostrée. Il risque d’insister pour que je reste ici et j’ai besoin de me tenir à ses côtés pour nos parents.

J’ignore combien de temps je demeure ainsi, anéantie, coulée sur le ventre, dans ce lit où s'enfonce mon corps inerte. Dans le couloir, tout à coup, j’entends le roulement d’un fauteuil. Tant bien que mal, je me redresse et sèche les dernières larmes.

Nicolas revient. Il me regarde à peine, mais je devine qu’il a compris ce qu’il vient de se passer.

— Nous partons demain en ambulance. On rentre en Normandie. Ton médecin à Caen prend le relais et une infirmière prodiguera les soins dont tu as besoin. Tout est organisé.

La boule dans ma gorge m’empêche de lui demander ce qu’il a prévu pour nos parents. L’entourage de notre mère, loin en Corée, n’aura pas le temps d’arriver avant la cérémonie. Pour notre père, il n’y a plus personne. Il était fils unique. Nos grands-parents, disparus quelques années auparavant, nous ne connaissons plus personne de cette branche familiale.

De retour dans la chambre après seulement dix minutes de promenade dans le couloir, une infirmière dépose un plateau devant moi et quitte la pièce.

— Tu ne comptes pas me dire qui est mon sauveur ?

Alors que j’observe Nicolas en quête d’un indice, j’avale un verre d’eau : le liquide cristallin apaise ma gorge desséchée.

— Pour la millième fois, je l’ignore. La moitié du service connaît ton identité et demain matin tout le monde découvrira la vérité. C’est incroyable que le personnel médical ait gardé le secret si longtemps. Le bazar que va créer cette nouvelle suffit au médecin pour valider ta sortie, à la condition que tu sois suivi correctement à Caen. Je ne te cache rien.

Il ment et je ne saisis pas pourquoi. Agacée qu’on dissimule certaines choses « pour mon bien » j’expire lentement.

— Hannyah. C’est assez pénible de devoir tenir les journalistes à distance et les envoyer sur de fausses pistes afin de jouir d’une certaine liberté. Ne complique pas tout.

Je n’obtiens rien de plus. Le flan devant moi semble insipide, mais je me force à glisser la cuillère dans la bouche. Bizarrement, c’est léger, frais et bon. Je me concentre sur ce petit dessert sucré.

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