La fuite – Chapitre 7

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Séoul, 24 janvier 18 h 38. Cha Medical Center Gangnam. Service des urgences.

— Yoon !

Malgré le cri de Bin, je n’ai pas le temps de freiner. Éblouît par le soleil, la jeune femme devant moi vient de s’arrêter. J’ai vu l’enfant qu’elle a contourné de justesse au moment où la lumière a percé le gris du ciel.

La force de frappe la soulève vers l’arrière et elle est projetée contre moi. Son vélo s'emmêle sur le mien et je suis plaqué au sol. Dans ma chute, j’ai le réflexe d'attraper ce corps gracile que je ceinture de mes bras et ainsi évite à son crâne de percuter violemment le bitume. Un moindre mal après l’accident que je viens de provoquer.

Mes amis se précipitent sur nous. Je sais juste que mon cœur bat à tout rompre boosté par l’adrénaline. Je ressens la peur de façon intense et brutale, elle oppresse ma poitrine et je serre très fort la femme contre moi. Je respire difficilement. Mon imprudence et mon manque de réactivité me pèsent.

— Appelle les secours. Vite !

Ji-hwan se saisit de son appareil, mais Bin, le téléphone collé à l'oreille, échange déjà avec les pompiers. Ji-Hwan m’aide à nous dégager, elle et moi, du mélange de nos vélos.

Je peine à garder le corps de la jeune femme près de moi.

Elle se redresse puis s’effondre dans mes bras. Je l’entends sangloter et s’agacer, sans comprendre ce qu’elle raconte.

Les sirènes retentissent et je relâche légèrement la pression pour qu’elle se soulève. Elle me tourne le dos et quand elle veut se mettre sur ses jambes, elle retombe sur moi.

Elle est blessée, je le vois, car à chaque fois qu’elle essaie de se relever sa cheville gauche fléchit et je la reçois de nouveau. Le ton de sa voix trahit la colère et je ne reconnais pas son accent, c’est sans doute une touriste étrangère.

Les pompiers nous prennent en charge. Mes nombreuses protestations ne les empêchent pas de s'assurer de l'absence de fractures sur mes os, surtout les jambes, douloureuses.

Aux urgences, l’infirmière a eu la gentillesse après vérification des radios, de me laisser me remettre debout. Quelques bleus et une légère foulure qui devraient disparaître rapidement ne justifient pas mon maintien dans le service. Je viens de signer les papiers de ma sortie quand je reconnais le bonnet rose dans les quelques personnes qui attendent.

Elle est encadrée par le médecin de garde et une aide-soignante. Puis un brancardier s'empare de son fauteuil, je lis sur les lèvres de ce dernier qu'il l'emmène en salle de radiographies.

Je me plante devant le docteur, bien décidé à obtenir des informations.

— Bonjour, monsieur, j'ai provoqué la chute de la jeune femme. Je tiens à prendre mes obligations et tout en charge concernant ses soins.

Il m'observe et finit par me lâcher un sourire poli.

— Pour les détails, consultez le secrétariat, me répond-il.

Préoccupé par le cas suivant, il disparaît de mon champ de vision.

Quelques minutes plus tard, j’ai réglé sa note.

Je suis assailli de message de Bim qui s’occupe de rapatrier les vélos et effets personnels dans les voitures.

Ma demande pour discuter et m'excuser auprès d'elle est rejetée. Déçu, je propose à l’agent d’accueil de lui faire passer un mot. Elle accepte.

— Pouvez-vous simplement me dire si elle va bien ?

— Elle est juste sonnée et sa hanche a pris un mauvais coup. Sa cheville est foulée, elle a besoin de repos. Nous lui avons administré un antalgique pour la douleur.

— Je vous remercie. Pouvez-vous lui donner ceci pour moi ?

— Bien entendu, monsieur Kim.

— Merci.

Je suis surpris, ne m’attendant pas à être repéré dans ce lieu, bien loin du monde du cinéma dans lequel j’évolue. Ses sourires équivoques me mettent mal à l'aise. Je préfère prendre congé. L’infirmière montre des signes à mon égard qui laisse supposer qu’elle m’a reconnu. Je me suis trop attardé.

Entourés de mes amis, nous allons chez moi pour finir la journée. Sur fond de musique, nous prenons le thé. Tandis qu’ils m’assaillent de railleries, je ne réponds pas, sans doute assommé par les calmants.

Bim termine une longue tirade à laquelle ne n’ait que partiellement compris la fin.

— C’est un chaperon rose ! Une magnifique blonde comme il n'en existe pas ou peu chez nous.

— Arrête de l’appeler comme ça.

Le ton de ma voix, inattendue après plus de trente minutes à subir sans rien dire, laisse passer mon agacement. Mais rien n'intimide mes Bin qui en rajoute un peu plus. En réalité, ce qui m’énerve le plus, ce ne sont pas les blagues, c’est le fait que je ne l’ai finalement pas vu pour m’excuser.

Lasse, je me redresse et mes amis prennent enfin congé.

Convaincu que le travail me permettra de passer à autre chose, j’attrape le script du drama historique dans lequel je joue un rôle principal.

Pendant une bonne heure, je lis, relis et marche à travers la pièce, évitant la table basse au milieu du salon. Rien n’y fait, les mots défilent devant mes yeux et ils demeurent illisibles. Mon rendez-vous à l’aube demain, pour la première lecture à haute voix avec l’actrice qui me donnera la réplique, promet d’être épique.

La douche finit de m’assommer et il est presque vingt-trois heures quand enfin j’éteins la lumière.

Séoul, 25 janvier 2020 7 h 00. Dans l’appartement de Yoon au 817-50 Yeoksam-dong, Gangnam-Gu.

Je suis sur le bord de la rivière Han, une femme se tourne vers moi, blonde avec de grands yeux bleus. Une Européenne à la bouche rose bonbon. Elle rougit en réponse à mon sourire. Nos mains se lient, son corps se rapproche. Sa tête vient naturellement se poser contre mon torse et je m’enivre de son doux parfum de fleur blanche. Le soleil fait briller ses cheveux de fil d’or et une envie irrépressible de la serrer plus fort s’insinue en moi.

Le bruit assourdissant du réveil me sort de mon songe en sursaut.

Ordinairement, les rêves qui peuplent mes nuits s’envolent le matin. Celui-ci j’en comprends immédiatement la source. Le chuchotement rassurant des stores qui s’ouvrent me ramène à ma condition. Je n’ai ni le temps pour des questions ni celui de m’attarder sur les chimères qui peuplent mes fantasmes. Sous la douche, la réalité me percute une nouvelle fois, c’est la solitude qui me pèse et donc mon esprit torturé se met à inventer n’importe quoi qui ressemble à une relation.

Quelqu’un frappe à la porte de ma chambre. Je me dépêche de m’habiller et d'ouvrir.

Ma mère me regarde avec son œil de lynx. Elle réajuste ma veste de costume.

— Comment vas-tu ? Bin m’a envoyé un message hier soir pour me signaler ton incident sur le bord de la rivière.

Je vais le tuer, c’est certain. J’expire longuement avant de lui répondre.

— Bonjour. Je me suis occupé de tous les détails.

— Je n’ai aucun doute sur ta prise de responsabilité. Toi, comment tu te sens ? Tout va bien ?

Cette fois, je passe mon manteau et mon écharpe pour sortir.

— Tu es venue pour moi ou pour la jolie blonde ?

Mes soupçons se confirment, Bin a tout raconté à ma mère, je le devine quand elle sourit et penche sa tête sur le côté.

— Je ne te retiens pas plus, je sais que tu es pressé.

Elle est contrariée, mais je n’aime pas qu’elle se mêle de mes affaires. Et ces derniers temps c’est beaucoup trop.

Je passe devant elle et dépose un baiser sur sa joue. Je l'abandonne car on m’attend pour la lecture du script.


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