Chapitre 3

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Je ne m'étais pas rendu compte qu'à travers mon chagrin, mes pas m'avaient conduit à la grange. Je suis tellement surprise d'entendre Cendrillon pleurer que j'oublie un instant ma tristesse. De quoi se plaint-elle ? Elle est si parfaite... Ce ne serait pas elle qui se ridiculiserait ainsi. J'essaye de la voir en cachette, une botte de foin nous sépare.

Il me semble qu'elle bafouille quelque chose dans ses sanglots.

-Si tu savais... Je voudrais tant y aller. C'est si cruel de la part de Dame Cécilia de m'obliger à les entrainer chaque jour. Comme... Comme pour me montrer tout ce que je ne pourrais jamais avoir.

Cendrillon fait une pause pour écouter quelqu'un, mais je n'entends rien.

-C'est gentil, reprend-elle d'une voix légèrement tordue. Mais tu sais que c'est impossible.

Je ne vois personne d'autres que la jeune fille... Elle serait devenue folle et parlerait seule ? Ça ne m'étonnerait même pas. Je me hisse sur la pointe des pieds pour mieux l'apercevoir. Dans ma maladresse, je percute un seau de peinture couleur rouille. Il tombe avec fracas et renverse tout son contenu sur le sol. Je me cache avec une extrême discrétion derrière la botte de foin.

-Qui est là ? s'écrit anxieusement Cendrillon.

Je me demande s'il faut que je sorte quelques chose d'intelligent, comme "Personne !".

La blondasse regarde autours d'elle avec un air un peu paniqué. Finalement, elle finit par s'enfuir en courant.

Je me précipite devant la botte, pour avoir des indices sur ce qu'elle faisait. Je ne vois rien, à part un de ses pauvres rats.

Je me demande soudain ce que je fais là, je n'entre que très rarement dans la grange. Je m'avachis contre le mur, ferme les yeux et réfléchie. Peu importe si les amies de Mère me trouve étrange, ce qui compte c'est que mon prince m'aime. Je revois ses yeux bleus, son sourire franc et ses boucles brunes que j'admire tous les soirs depuis des années, devant la photo cachée dans mon tiroir. Il est si gentil... Le royaume attends avec impatience le jour ou il deviendra roi. Nous savons qu'il saura gouverner loyalement et faire régner la justice. Même s'il est plutôt distant, nous l'aimons tous... 

Et toute aussi, je rajoute amèrement. 

J'ai toujours rêvé d'épouser le prince. Comme la plupart des jeunes filles du royaume, j'imagine... Mais pour moi, j'ai l'impression que c'est différent. Mère dit toujours que je suis destinée à de grandes choses. Et je sais au fond de moi que la grande chose, c'est lui.

...

-Les filles ! On part dans une demi-heure !

Je panique. Je ne suis pas encore maquillée ni coiffée, et ne trouve pas ma ceinture. Je rejoins Javotte devant la coiffeuse pour essayer de résoudre mes deux premiers problèmes. Je cache mes taches de rousseur sous du fond de teint, applique du mascara et du rouge à lèvre. J'enlève mes bigoudis, et mes cheveux font de belles ondulations.

-C'est bien ? Je demande anxieusement à Javotte.

-Humm oui, observe-t-elle, mais tu es toute pâle.

Je me regarde dans le miroir. C'est vrai que je suis blanche.

-Donne-moi des claques.

-Comment ?! S'écrit Javotte.

-Donne-moi des claques ! Pour rougir mes joues.

-Écoute, réplique-t-elle. Si ça te fait tellement plaisir.

Javotte s'active et me frappe si fort que je ne peux pas retenir un cri.

-Voilà, comme ça, je couine. L'autre joue maintenant.

Un claquement retentit. C'est sûr, je ne suis plus pâle désormais. Plus qu'à retrouver cette maudite ceinture ! Sans elle, ma robe rose parait encore plus enfantine. J'observe Javotte ajouter sa longue plume verte à sa coiffure. J'ai exactement la même, en rose, dans les cheveux.

-Javotte, tu n'aurais pas vu ma ceinture ?!

-Heu... C'est un bout de ruban rose ? Demande ma sœur. Je crois que j'ai vu un rat jouer avec.

Nan mais j'hallucine ! Javotte voit une souris s'amuser avec ma ceinture, et elle ne fait rien. Quel genre de sœur laisse les affaires de l'autre aux mains d'un rongeur?!

-C'est bon, je ne pensais pas que c'était important, s'exclame-t-elle avec un air de légitime défense.

- Ce n'était pas important ?! Je m'écrie. Tu oublies qu'on parle de la ceinture dans laquelle mon prince me verra pour la première fois !

-Déjà, ce n'est pas ton prince. On sera une centaine à ce bal, il n'y a aucune chance qu'il te regarde !

Oh le coup en traitre ! Javotte sait très bien que je rêve depuis toujours d'épouser le prince. Je l'ai toujours défendu quand elle cherchait à attirer l'attention de Jacob !

-Bon, dis-je en essayant de me calmer. Où l'a-t-il amené ?

-Dans la chambre de Cendrillon, je crois.

Ok, il me suffisait donc d'aller l'y chercher. La jeune fille était en train de nettoyer l'entrée, pas la peine de lui demander pour entrer dans sa mansarde. Je fis signe à Javotte de me suivre, et on monta un grenier. Je déteste entrer dans cette petite chambre. Là-bas, tout est si... Cendrilloneux. Les oiseaux piaillent, des souris trainent dans un coin et l'air sent la violette. Ça me dégoute. Cette chambre ne paille pas de mine : un lit dans un coin, sur un mur de vieux dessins et au fond un mannequin. (oui, je suis poète à mes heures perdues ; mais malheureusement pas reconnue à ma juste valeur)

Attends.

Un mannequin ?

Un mannequin avec une robe ?!

Un mannequin avec une robe faite grâce à ma ceinture ?!

Javotte a apparemment aussi aperçu cette abomination, car elle s'en approche avec un drôle d'air.

-Anastasie, dit-elle d'un ton inquiet. Tu sais ce que ça veut dire...

-Ça veut dire que cette pimbeche m'a volée ma ceinture !

-Non Anastasie, réplique Javotte, énervée. CA VEUT DIRE QUE CETTE PIMBÊCHE COMPTE SE RENDRE AU BAL !

Cendrillon au bal ? Laisse-moi rire. Enfin... Si elle mettait cette robe, elle pourrait bien nous y faire de l'ombre. Avec ses rubans roses, ses tissus blanc brillant et ce corset serré, on dirait une véritable robe de princesse.

Je ne sais pas ce que je ressens, d'un coup, en la voyant. Je sais juste que ce rose fera parfaitement ressortir la chevelure dorée de Cendrillon, que cette robe s'enroulera avec perfection sur le corps de la jeune fille, et que les perles pures du corset ne seront qu'un rappel à la poésie qui habite son regard. Quelque chose dans mon cœur me dit : "Tu ne peux pas faire ça, jamais une princesse n'agirait ainsi. Écoute-moi, Anastasie... Je t'en supplie.

Mais je ne suis pas une princesse. Les circonstances me l'ont rappelés bien trop de fois, et ma seule chance d'en devenir véritablement une, c'est d'être la plus belle ce soir. Il ne faut pas toujours écouter son cœur.

J'attrape les ciseaux et donne des coups dans la robe. Mes yeux me piquent, je ne sais pas pourquoi.

Et paf, pour ta taille parfaite.

Bam, pour ta voix d'ange.

Et pour ton regard intense, tes cheveux brillants, ton port gracieux, ton visage délicat, ta générosité, et tout ce que je ne serais jamais !

Chaque coup est un peu plus violent que le dernier, et les larmes coulent sur mes joues tel le tissu se détachant de la robe. Mes pleurs n'ont rien de gracieux et je respire bruyamment. Petit à petit, je m'écroule dans mes sanglots et me retrouve à terre, secouée par tous les sentiments qui m'habitent depuis des années. Je ne peux plus m'arrêter, ne sais même pas comment ça a commencé. J'ai vaguement conscience de Javotte à mes côtés, qui essaye de comprendre ce qu'il se passe.

Si seulement je le savais Javotte...

Et je pleure dans mes cheveux hideux, aussi roux que ceux de Cendrillon sont blonds. Je ne peux m'empêcher de comparer tout ce qu'elle est à ce que je ne suis pas. Et puis d'un coup, ce cri. Ce cri qui me terrifie, duquel je dois me cacher. Cacher mes gouts, mes larmes, mes émotions...

-Anastasie ! Javotte !

Entendre ces quelques mots me fait pleurer encore davantage. Pourtant, que de plus beaux que le prénom d'un enfant dans la bouche de sa mère ? Ce qui fait la différence ici, c'est tout ce que Cécilia fait passer en quelques mots. Les grandes attentes que nous ne pourrons jamais combler, la déception palpable dans sa voix et parfois... Parfois même le dégout.

Il ne faut pas qu'elle me voit comme ça. Je dois me présenter au meilleur de ma forme dans quelques minutes, pour le bien de la famille. Je dois me relever, retoucher mon maquillage et me recoiffer. Je dois me tenir droite devant le prince. Je dois le séduire.

Pour la famille.

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