Le Seigneur de Mith

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Résumé des chapitres précédents : Juan, Miguel, Franck, Julie et Marie ont émergé dans un monde inconnu dont les jours sont bercés de deux soleils. Par un concours de circonstances obscur, Julie a appris la langue locale. Le groupe s'est fait par la suite capturer par des soldats chevauchant des griffons, qui les ont emmenés vers une forteresse. Tandis que leur ravisseur a tenté de les faire disparaître après plusieurs mois en prison, ils ont été sauvés par un inconnu dénommé Sayur, d'un peuple venant de l'Est lointain. Les voici arrivés à la cité de Vertval, à la demeure de la famille De Grandvaux (Obianne et Barnabas), chez qui Sayur devait les amener. Ils y découvrent des domestiques centaures, rencontrent le doyen des mages Palil d'Adk, et se voient donner à tous la compréhension de la langue locale. Les corps reposés, ce sont maintenant les esprits qui se questionnent. Julie a rencontré Leoval de Mith quelques jours auparavant, Marie s'est invitée dans l'office de Palil.

***

Julie avait pu se procurer un carnet aux feuilles ocres, et un crayon à papier rustique. Les derniers jours, elle avait commencé a dessiner, avec une aisance troublante. Elle croquait des choses de ce monde et du sien, comme si son inconscient refusait d'oublier. Une semaine s'était écoulée depuis qu'elle avait rencontré Leoval. Ils n'avaient pas eu de réelle discussion depuis, en dehors de banalités courantes. Le jeune seigneur de Mithliene avait traversé la moitié du pays, et avait sûrement mieux à faire que de palabrer avec une inconnue. L'invitation à découvrir le Jardin de Mith s'évaporait d'heure en heure.

Un jour comme un autre, elle retourna au champ des draks où elle avait rencontré l'héritier de Mithliene. Elle voulait figer ces formidables animaux, capturer leurs images. Peut-être pour ne pas les oublier, eux aussi ? La jeune femme s'assit sous le même arbre, et prit un instant pour s'imprégner de la beauté des collines qui l'entouraient. Elle commença à griffonner la silhouette des sauriens. Des coups de crayon nets, précis, comme si elle les avait vus toute sa vie.

Des bruits de pas se rapprochèrent dans son dos. Sans même se retourner, Julie savait que c'était lui. L'intuition se mua en certitude au son de sa voix.

  • Bonjour Julie, vous n'aviez pas mentionné votre don pour le dessin.

Sans lever la tête de son carnet, elle lui répondit sur un ton le plus impassible dont elle se sentit capable.

  • Bonjour Leoval, je ne connaissais pas non plus votre don pour éviter les dames.

Il s'assit près d'elle, plus proche que la fois précédente, et tenta maladroitement d'épier le dessin par-dessus son épaule.

  • Je vous dois des excuses, Julie, j'ai été très occupé ces derniers jours. J'avais besoin de régler certaines formalités avec ma sœur.

Déçue, elle ne répondit pas. Elle ne voulait pas laisser ressurgir sa fragilité.

  • Mon neveu a vanté vos talents de cavalière. Est-ce que vous aimeriez faire une randonnée avec moi ? Je pourrais vous amener dans les collines, vous montrer Vertval sous un autre jour.

Elle leva enfin les yeux de son carnet pour le dévisager. Son regard était différent du jour de leur rencontre. Il n'avait plus le même air compatissant. Elle pouvait lire dans ses yeux l'excitation de sa proposition, comme s'il n'y avait rien de plus extraordinaire que de monter à dos de drak.

  • D'accord, montrez-moi !

Il prit sa main tout sourire pour la relever. Les deux jeunes gens rejoignirent une drakérie des Grandvaux à proximité de l'enclos. Leoval se fit prêter par des centaures qui y travaillaient le nécessaire pour atteler les sauriens. Il sella deux bêtes avec une dextérité qui laissa Julie sans voix. Ses gestes étaient fluides et précis.

  • Prête ?
  • Je crois, oui.
  • N'ayez pas peur, je resterai près de vous.

Il l'aida à monter sur son drak agenouillé, puis sauta sur le sien. Les deux randonneurs progressèrent au pas sur de petits sentiers faciles à pratiquer. Il se retourna plusieurs fois pour s'assurer qu'elle le suivait toujours. Ce zèle attentionné eut l'effet escompté. Tandis qu'ils cheminaient, leur conversation retrouva le naturel du premier jour. Ses réflexes de cavalière camarguaise se réveillèrent peu à peu : la morphologie du drak n'était finalement pas si différente de celle des chevaux. Après une demi heure de montée, ils débouchèrent sur un plateau où l'herbe s'étendait à perte de vue. Le seigneur de Mithliene pointa le bord du pâturage.

  • Vous voyez le bosquet là bas ? La montagne s'arrête net, de là nous pourrons voir Vertval.
  • Que dites-vous d'une course ?

L'assurance soudaine de Julie n'était pas pour lui déplaire.

  • Je ne recule jamais devant un défi.
  • Alors à trois !

Ils s'élancèrent en poussant chacun leur monture. La respiration des sauriens s'accéléra. Les pattes des majestueux animaux battaient la plaine à un rythme infernal. Les griffes des draks mordaient l'herbe et projettaient des mottes de terre arrachées. Julie arriva la première. Au moment de s'arrêter, son drak broncha et émit un grognement. Leoval la rejoignit quelques secondes plus tard. Les deux créatures emplissaient leurs poumons de grandes inspirations caverneuses, tentant de retrouver leur souffle.

  • Je m'incline, Julie. Mais ce n'est que partie remise.

Elle riait. C'était la première fois que Leoval la voyait rire, c'était aussi la première fois qu'il la voyait aussi lumineuse. Il l'aida à descendre.

  • Voilà Vertval, comme promis.

Julie ne revenait pas du panorama qui s'étendait sous ses yeux. Elle toisait en silence l'immensité à ses pieds, et la cité en contrebas. Cette vue tut toutes ses pensées. Elle ne songeait plus aux autres, à son ancienne vie, ni au monde qu'elle avait quitté. Elle faisait partie pour quelques instants de celui-ci et ces instants étaient infiniment agréables.

Leoval montra un intérêt sincère pour les détails de cet autre monde. Ses souvenirs étaient encore imprécis. Certaines choses lui revenaient de temps à autres, sans distinguer son imagination des bribes de la réalité. Il partagea le poids de ses nouvelles responsabilités, et les conditions dans lesquelles il était descendu à Vertval. Elle se sentait dépassée. Il se sentait oppressé. Elle lui avoua penser avoir perdu son identité. Lui n'avait pas envisagé d’être aussi rapidement le nouveau Seigneur de Mithliene. Submergé par le deuil, il admit avoir besoin des conseils de sa sœur pour être à la hauteur de ce que son père aurait souhaité. Les deux âmes égarées se comprenaient, s'apportaient soutien et réconfort. Les heures passèrent et le soleil jaune descendit rapidement pendant leur conversation.

Un cor retentit dans la vallée. De grands étendards rouges flottaient dans la brise du soir. Un cortège approchait de la porte de Vertval. L'horizon avala l'astre d'or, laissant place au crépuscule gris.

  • Nous devrions repartir, Julie, il commence à faire très sombre.
  • Oui, les autres vont se demander où je suis. Je vous remercie pour cette escapade. C'était splendide !

Il lui replaça une mèche de cheveux ébouriffée par leur course. Elle piqua un fard.

  • Merci à vous, Julie. C'est vrai, tout était magnifique.

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