L'histoire - 14 -

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Cette région a perdu toute raison, ignorant qu’une même vague de lassitude rageuse parcourt toute la France, terrorisant les révoltés eux-mêmes. L’autre sœur d’Augustin, prise dans la frayeur des classes aristocratiques, s’est enfuie avec sa famille au-delà des frontières.

La troupe ramène violemment le calme, sans éteindre le feu qui reprend sans cesse, amenant l’enchainement fatal. L’apaisement ne viendra qu’avec l’annonce de l’abolition des privilèges début août. Longtemps, cet été de folie imprégnera les mémoires. En 1790, Augustin est élu maire de la nouvelle commune de Lampeyrac, car il reste apprécié des villageois, dont beaucoup lui sont redevables.

Tant bien que mal, il essaie de comprendre ce qui se passe à la capitale grâce à une lecture assidue des journaux. Ayant suivi son père dans les idées progressistes, ce besoin de liberté et d’égalité lui semble normal. Il aime bien les propos de Sieyès, Vergniaud, Condorcet. Il craint ceux qui veulent tout renverser, comme Hébert, certain que cela ne servira à rien et entrainera de grands malheurs. L’abolition de la gabelle, l’uniformisation des poids et mesures lui apparaissent de bonnes mesures. Sans l’avouer, il est favorable à la constitution civile du clergé.

Maitre Lacaze, le curé, avait prêté serment avec des réserves comme l’avait indiqué l’évêché, pauvre homme ne comprenant ni l’utilité ni la finalité de cette opération. Quand la loi cassa les serments avec réserve, il se trouva réfractaire. Il se dit que les clercs non sermentés sont jetés en prison. Craignant pour sa destinée, il vient demander conseil au maire. Augustin, bien que peu porté sur la religion, connait le bonhomme, jovial et agréable, tant que la question posée n’est pas trop ardue. Ne comprenant pas, lui non plus, ces questions de religion et de nation, il lui propose de demeurer chez lui, le temps que la crainte passe. Tout le monde sait où se terre le curé, puisqu’on le voit descendre dire les messes. Les rares fois où des quidams viennent s’enquérir de ce prêtre félon, un silence niais se fait, alors qu’un enfançon monte en courant à Jonhac pour dire au curé de se cacher. Quand on s’adresse au maire en sa demeure, il ne peut que déplorer la disparition de ce traitre à la nation.

Un aspect de cette loi lui convient mieux : la confiscation des biens du clergé et des émigrés lui fait miroiter la possibilité d’acquérir de grandes parcelles relevant de l’abbaye de Bonnaterre. L’obligation d’acheter des assignats le fait frémir, car Augustin connait l’histoire de l’origine de la fortune familiale et l’effondrement de la Banque générale. Pour lui, c’est la même histoire de monnaie en papier qui recommence. L’occasion est trop tentante et il veut faire aussi bien que son grand-père. La leçon qu’il a retenue est qu’il faut être dans les premiers à acheter puis à vendre. Il réussit son coup, doublant presque la superficie de ses possessions. Il se promet cependant de ne jamais revivre ces nuits d’angoisse, à attendre l’ouverture des plis et des journaux qui auraient pu aussi bien annoncer la ruine de sa famille. Plus serein maintenant, il est favorable à tous les changements en cours, dans le respect de la propriété.

L’arrivée de la guillotine en 1792 à Rodès suscite d’abord de la curiosité. Les exécutions publiques s’étaient raréfiées à tel point qu’aucune n’avait eu lieu en ville depuis au moins dix années.

La mise en place du tribunal révolutionnaire laisse la population indifférente, jusqu’aux premiers spectacles de l’échafaud. Les condamnés sont des voleurs, des assassins. Rien que de bien normal.

Augustin est horrifié par l’annonce de la mort du roi. Si on coupe la tête du roi, alors, les limites à la déraison disparaissent. Ses craintes sont rapidement confortées, car les comptes-rendus d’exécutions de Rodès associent maintenant des qualités de marchands, de prêtres, de paysans, d’artisans. Chaque sentence est justifiée par une accusations de traitrise à la patrie, de refus de jurer, de résistance hostile au gouvernement républicain, de soutien au rétablissement de la royauté, ou de tentatives d’émigration : n’importe qui peut devenir coupable ! L’application immédiate de ces sentences répand l’effroi. Ceux qui pensaient et qui aimaient discourir deviennent muets, de peur d’être amenés devant la veuve rouge, dénoncés par un jaloux se clamant révolutionnaire. L’effroi gagne les campagnes, alors que de folles rumeurs courent sur les nombreuses bandes révoltées et sanguinaires dans la montagne ou sur le Grand causse, mettant à sac ces régions et pourvoyant une guillotine dégoulinante. Chaque jour, le journal égrène les effets du retour à l’ordre : ces listes sont trop fournies. Cette vésanie dure près de deux années, puis se termine sans que quiconque ici comprenne pourquoi.

La vie reprend à Lampeyrac comme ailleurs. Dans les campagnes, la misère subsiste. Les choses semblent immuables, mais on perçoit que les têtes se redressent avec la disparition des aristocrates. Les diatribes vengeresses des curés ne parviennent pas à recourber ces caboches qui ont senti une autre existence possible. Les changements de régime ne sont pas perceptibles aussi loin de Paris, même si le redémarrage du commerce apporte un petit espoir.

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