Chapitre 10

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Le jour de l’initiation, je fus emmené par un aios qui me fit redescendre jusqu’au temple principal. Je me rendis compte alors qu’Æriban était une grande forêt, cernée par un océan d’un bleu impossible d’un côté, et d’infranchissables sommets enneigés de l’autre. Entre ces deux obstacles naturels s’étendait la sylve du Père de la Guerre, Neaheicnë, qu’à l’instar de nombre de nos dieux nous vénérions aussi dans le monde humain sous un autre nom. Cette forêt immense était parsemée de sanctuaires reliés entre eux par un chemin souvent à peine visible, et chacun était gardé par un sidhe portant un numéro d’un à quatre-vingt-huit. Pour passer de l’un à l’autre, il fallait, bien sûr, affronter le gardien du sanctuaire. Le tout dernier était le numéro un, l’As Sidhe. Ren. Que je n’avais pas vu depuis le jour où la Gardienne avait annoncé mon initiation...

Ce jour-là, on me fit traverser tous les sanctuaires, un à un. Dans presque tous, le gardien se tenait dans son antre, souvent revêtu de toutes ses armes, parfois assis sur son panache déployé — s’il l’avait encore —, en tout cas toujours splendide, le torse luisant, les abdominaux saillants et les yeux brillants d’une fièvre qui me hérissait l’échine. Je vivais dans une forêt emplie de prédateurs affamés, qui n’attendait que le premier signe de faiblesse de mon maître pour me fondre dessus. Ils me regardaient passer en se léchant les babines, révélant leurs crocs immenses, faisant jouer leurs griffes longues comme des dagues. Certains ricanaient. Tous avaient été conviés au spectacle, et nous emboîtaient le pas, nonchalants et superbes, pour se rendre sur l’immense dalle en échiquier du temple du bas.

Cette plateforme de marbre rouge et noir en plein milieu de la sylve était l’unique entrée d’Æriban. De chaque côté, aux quatre points cardinaux, se dressait un portail, assez grand pour faire passer un dragon s’il le fallait. La Gardienne, lorsqu’elle venait nous rendre visite, passait par l’une de ces portes. La porte sud donnait sur la Haute Cour d’Ælda — que l’on pouvait voir de temps à autre, si les conditions s’y prêtaient, sous la forme d’une énorme boule bleue. La porte nord, sur Faërung, elle aussi visible de temps en temps sous la forme d’un astre présentant comme notre lune un côté sombre et un côté lumineux : Ren m’avait expliqué que c’était là l’origine de la scission des Cours entre « lumière » et « ombre ». La porte ouest, qui d’après la légende donnait sur Tyrn-ann-nagh, était devenue inaccessible. Quant à celle de l’est, elle avait été condamnée. Elle donnait sur Dorśa, la terrible et redoutée Neuvième Cour d’Ombre, que son roi avait isolée des Vingt-et-un Royaumes.

Au centre de cet immense échiquier, il y avait une table. La fameuse table qui servait aux accouplements ou aux mises à mort, en tout cas, toujours à verser le sang. En passant à côté, j’y discernais en frissonnant des liens, cloués aux quatre coins. On allait m’attacher là. Mais pour le moment, on se contenta de me faire passer à côté, jusqu’à un petit bâtiment couvert un peu en contrebas. Là, on me laissa à la garde de quelques aslith, qui me prirent en charge.

C’était la première fois que je voyais des congénères humains depuis près de trois ans. Alors que les « Autres » ne gardaient pour servir au temple que les tributs les plus beaux, qui chez nous atteignaient le summum de la beauté humaine, je fus choqué par leur petitesse, leur fragilité et la facture grossière de leurs traits. Leurs yeux ne ressemblaient plus qu’à des billes de gélatine trouble, et j’y cherchais en vain la lumière et les reflets changeants que je trouvais dans ceux de Ren. Leurs mains minuscules, dépourvues de griffes, me parurent imparfaites. Leurs visages trop expressifs, une caricature. Ils évoluaient comme des petits pantins de foire, babillant des choses que je ne comprenais pas. Était-ce donc ce que mon maître voyait en me regardant ? Comment pouvait-il me trouver beau ? Pour lui, je ne pouvais pas être autre chose qu’un bloc de viande mouvant et parlant.

Alors que je me recroquevillais dans un coin, choqué et apeuré, un aslith à l’air plus sévère que les autres s’approcha avec une grande bassine d’eau glacée, qu’il me jeta dessus. Puis il me mit deux claques très fortes, l’une après l’autre.

Je restai là, hébété, mais dégrisé, semblant le voir pour la première fois à travers des brumes qui, enfin, se dissipaient.

— Eh ben, il y a été fort, avec celui-là ! grinça un jeune homme blond dans le fond.

— C’est le luith de l’As Sidhe, diagnostiqua celui qui m’avait secoué. Il y a été exposé pendant trois ans sans interruption. Encore un peu, et il était irrécupérable.

Je les regardai un à un, incrédule.

— Irrécupérable ?

L’aslith en chef, celui qui m’avait jeté l’eau, vint se planter devant moi, les bras croisés. Il portait une couronne de feuilles de chêne d’or tressées dans ses cheveux noirs, et semblait plus âgé que les autres. Je le remis alors : c’était Owain, le formateur.

— Tu te souviens de ton nom, au moins ? me tança-t-il sévèrement. Ton vrai nom. Pas celui que ton maître te donne, s’il t’a fait cet honneur.

— Myrddyn...Llywt...

— Et d’où tu viens, Myrddyn Llywt ?

Je me rendis compte, horrifié, que je ne savais plus trop. Puis une image me revint : celle de la lande où je gardais les moutons de mes parents, puis la masure de pierre et le visage de ces derniers. À cette évocation, les larmes me montèrent aux yeux. Ils ne savaient pas où j’étais.

— Le... le pays de Galles, l’île de... Ynis Dywyll...

Owain hocha la tête.

— Tout à fait. Je m’en souviens aussi, car je viens du même endroit. Llanfairpwllgwyngyll, pour être exact.

Je me souvins alors que, pendant la formation, j’avais su qu’Owain, à la fin de son service, avait choisi de rester sur Æriban pour toujours. Ces aslith là étaient tenus en haute estime par les maîtres, et bénéficiaient en retour d’une haute position sociale.

— Tu as envie de rentrer chez toi, Myrddyn ? insista Owain d’une voix un peu plus douce. De revoir ce beau pays de Galles que tu aimes tant ?

— Oui, je... enfin... Je ne sais pas trop...

— Garde ce souvenir au plus profond de toi, me conseilla-t-il. Tu n’as plus que cinq ans de service à supporter. Dans cinq ans, grâce au luith de l’As Sidhe, tu pourras racheter ta liberté et retourner chez toi. Mais en attendant, tu dois obéir et en amasser le plus possible. Tu sais comment on fait, Myrddyn ?

Je hochai la tête.

— Oui, je...

— Tu dois sucer le phallus des maîtres, boire leur semence et écarter les cuisses pour le recevoir et t’en faire emplir, précisa-t-il cruellement. Comme tu ne connais pas la position et que c’est ta première fois, on te facilitera la tâche en t’attachant sur la table de saillie, croupe en l’air.

Moi qui avais été si impatient de connaître cela, soudain, je pris peur. Les larmes se mirent à couler de mes yeux :

— Ne les laissez pas faire, suppliai-je en m’accrochant à la toge blanche d’Owain. Laissez-moi rentrer au pays de Galles ! Je dois revoir mes parents. Ils sont âgés, ils ont besoin de moi...

Owain me prit les poignets, qu’il serra fort.

— Pour pouvoir rentrer, il faut que tu serves l’As Sidhe, m’asséna-t-il en me fixant droit dans les yeux. Que tu le serves sans oublier ton objectif. Lorsque tu le reverras, enchainé à cette table, et qu’il te montera, de nouveau, tu seras envoûté par les brumes du luith. Tu penseras que ce plaisir immense qu’il te donne vaut tous les sacrifices, et tu ne penseras plus qu’à être sailli, encore et encore. Par lui, ou par un autre, s’il le faut. Tu comprends ? C’est mon rôle de te rappeler à la réalité, afin que tu gardes les pieds sur terre.

— On m’a dit que ça faisait très mal... Vous me l’avez dit vous-même, pendant la formation, lui rappelai-je.

— Et c’est vrai. Je ne vais pas te mentir, Myrddyn : la pénétration est très douloureuse, surtout la première. Je ne connais pas l’As Sidhe, pas personnellement du moins, mais je sais qu’il est en rut, et que comme tous les sidhes voué à Æriban, son sexe est très gros. Il sera très excité et aura du mal à se contenir. N’oublie pas que c’est la première fois pour lui aussi. Il est possible qu’il te prenne tout de suite, et pendant plusieurs heures : il faudra donc que tu sois très courageux, Myrddyn.

— Si tu l’avais trait de temps en temps, ajouta le blond qui préparait une bassine derrière, ce serait moins difficile... Mais il parait que tu ne l’as même jamais pris en bouche !

— Il ne voulait pas, gémis-je. Il a tué tous ceux qui ont essayé...

— Je sais, et c’est fâcheux, continua Owain avec sa franchise coutumière. Il aurait mieux valu que vous vous connaissiez un peu avant... Enfin, c’est comme ça. Allonge-toi dans le bain, on va te préparer.

Ce fut le blond — Eoran — qui me prépara. Lorsque je grimaçai à la sensation de ses doigts enduits d’huile dans mon anus vierge, il me punit d’une petite tape :

— Trois doigts et tu couines ? Qu’est-ce que ça sera alors avec la verge de l’As Sidhe ! Si ça ne tenait qu’à moi, c’est une matraque que je te mettrai en premier lieu. Mais Owain a pitié de toi, il t’a à la bonne parce que vous venez du même endroit.

Je le laissai donc m’ouvrir le fondement, à grand renfort d’huile — mélangée à une goutte de luith — et d’assouplissements. Puis un autre arriva avec un grand coffre, qu’il eut la désobligeance d’ouvrir devant moi.

— Je lui mets quelle taille ? demanda un jeune sans même me regarder.

Horrifié, je tournai la tête pour voir de quoi il parlait. Sur le velours du coffre étaient ficelés des phallus tous plus monstrueux les uns que les autres, d’imposants objets sculptés et nerveux, veinés de noir. Ils ne ressemblaient en rien aux honnêtes verges que je connaissais.

— Quelle horreur ! ne pus-je m’empêcher de m’écrier lorsqu’il en sortit une.

Les deux garçons me regardèrent, stupéfaits.

— Sacrebleu, dit Eoran, il n’en a jamais vu...

Puis, décidé, il arracha la grosse verge des mains de son comparse.

— Ça, professa-t-il en me montrant l’énorme objet, c’est un phallus de maître. Un petit, celui d’un jeune mâle à peine pubère. Touche-le.

Je posai un doigt timide sur la réplique. Elle était douce, d’une matière imitant à merveille la chair, mais aussi très dure. Je dessinai la pointe, effilée et aussi grosse que mon poing. En arrivant sur la hampe, je m’arrêtai.

— Qu’est-ce que c’est ? demandai-je, l’index appuyé sur de troublantes aspérités. On dirait des écailles.

Les deux garçons échangèrent un regard.

— Les épines. Elles s’accrochent en toi pour que tu restes en place, et stimulent la génération chez les femelles.

Je plaçai une main devant ma bouche, sans voix.

— Mon dieu...

J’allais non seulement être écartelé, mais également déchiré !

— Mais elles se couchent à l’entrée, se hâta de préciser Eoran, et tu ne les sens presque pas. Le luith : il en déversera abondamment, dès la première pénétration. S’il est gentil, il t’en badigeonnera même avant... Tu t’entends bien avec lui, non ?

— Oui, mais...

J’avais complètement oublié Ren, sa prévenance envers moi et sa gentillesse. Tout ce que je voyais, c’était cette verge affreuse, sa forme agressive, ses aspérités nerveuses.

Eoran et son comparse échouèrent à m’enfiler cet horrible objet. Ils se retirent derrière un paravent, me laissant tout éploré. J’entendis le rapport qu’ils firent à Owain :

— Il n’est pas prêt du tout. L’As Sidhe va le massacrer. Franchement, je doute qu’il survive à cette saillie. Pourquoi ont-ils donné un tel bleu à Ar-waën Elaig Silivren ? C’est un aslith expérimenté qu’il lui fallait, quelqu’un qui a suivi la formation depuis l’enfance.

Je sentais le regard préoccupé d’Owain sur moi.

— L’As Sidhe a tué tous les aslith expérimentés qu’on lui donnait... il n’y a que Myrddyn qu’il a épargné. Précisément parce qu’il est venu sans a priori, et n’a pas cherché à se soumettre à lui ou à l’exciter. Ça peut marcher.

— On peut le droguer, proposa Eoran. Comme ça, il ne sentira presque rien !

— L’As Sidhe ne prendra pas une viande froide. Et la Gardienne nous fera tuer pour cet affront. Ensuite, elle renverra Silivren à l’Arbre de Vie pour le punir d’avoir refusé le coït, et quand il reviendra, c’est lui qui nous tuera.

Alors qu’ils étaient tous en train de comploter, d’anticiper mon supplice, ma déchéance et ma mort, je me levai de la table de préparation et vint les rejoindre.

— Je vais y arriver, leur annonçai-je. Laissez-moi encore une chance.

Owain me regarda.

— Tu es sûr ?

Je hochai la tête, résolu.

— Oui. Cela fait des mois — non, des années — que je rêve de ce moment.

Eoran et son comparse échangèrent un regard, peu convaincus.

— Tu vas avoir très, très mal.

— Je sais. Mais j’aime mon maître. Je ne veux pas qu’il subisse une nouvelle humiliation. Je veux lui montrer jusqu’où je suis prêt à aller pour lui.

Après tout, Ren avait subi la Nuit de la Honte pour me préserver. S’il avait accepté de décharger son luith en moi, jamais la Gardienne n’aurait eu de prétexte pour le faire.

Ce fut Owain qui se décida.

— Bon, on y va. Mais cette fois, on fait à ma manière. En conditions réelles.

Je revins sur la table, où l’on me lia les quatre membres, couché sur le ventre. Je ne pouvais pas voir ce qu’on me faisait. Owain commença par la plus petite verge du coffre — celle de l’adolescent.

— Attention. Il faut l’ouvrir, mais ne pas l’abimer. C’est l’As Sidhe qui doit le déflorer.

Je renonçai à demander ce que ça voulait dire exactement. Mieux valait ne pas savoir.

J’y mis toute ma bonne volonté, mais le phallus, même enduit d’huile, me fit l’effet d’un pieu à travers le corps. J’avais l’impression qu’on m’empalait.

— Vas-y, lâche-toi, me conseilla Eoran. Crie.

Je lâchai un couinement pour la forme. Je suais à grosses gouttes.

— La queue de l’As Sidhe sera beaucoup plus massive, me prévint Owain. Et elle bougera. Il est possible qu’il te morde, aussi : on te mettra un collier sur la gorge pour éviter les accidents. Eo, éponge-lui le front. Allez, on essaye la deuxième taille.

À la troisième — la plus grosse — je poussai un cri désespéré.

— C’est bien, me félicita Owain. Tu prends bien.

— Il est courageux, remarqua Eoran. Surtout pour un bleu.

— Il en envie de montrer qu’il en a. Il est motivé.

Je l’étais, assurément. Leurs compliments m’encouragèrent, et, pour la première fois, j’osai bouger mes hanches, allant à la rencontre de l’objet qui m’empalait.

— Oui, c’est ça ! Joue de tes courbes, sois lascif. N’hésite pas à gémir un peu pour lui montrer ta soumission. Plus tu te soumettras, plus il te récompensera. C’est inné, chez eux. C’est ainsi que font les femelles pendant l’accouplement.

On me demandait d’imiter une femelle... C’était humiliant, mais j’avais envie de bien faire, de montrer à ces trois professionnels de la soumission que j’étais capable d’arriver au même niveau qu’eux.

— N’hésite pas à serrer tes muscles internes, si tu le peux, m’instruisit Owain. C’est une technique avancée, sûrement impossible à un anus encore vierge, mais garde-le dans un coin de ta tête. Avec un peu de pratique, au fil du temps, tu y arriveras peut-être. Les sphincters finissent par se détendre avec la pratique, et les aslith qui sont capables de contracter leurs muscles pendant l’acte sont très prisés de leur maître, et sont souvent largement récompensés.

Je me demandais quelle « récompense » Ren pouvait m’octroyer que je n’avais déjà. Mais je tentai tout de même l’opération, par acquit de conscience. J’échouai, évidemment. Je ne sentais plus mes muscles internes. La seule chose que je pouvais encore contrôler, c’était les mouvements de mes hanches.

— Il a une jolie chute de reins, c’est un plus, observa Eoran. J’ai entendu dire que beaucoup de sidhes le convoitaient. Si l’As Sidhe arrête de le protéger, il sera pris par un autre.

— Une jolie bouche, surtout. On lui apprendra à traire des queues tout à l’heure. C’est important de savoir le faire, pour reposer un peu le rectum.

Ces informations entraient dans mes oreilles sans y rester. Toute mon attention était dirigée vers le phallus imposant qu’Owain vissait entre mes reins, de plus en plus loin, et de la façon dont je pouvais le prendre plus profondément encore. Je visualisai les yeux pailletés d’argent de Ren, son profil noble et mâle, ses gestes puissants et racés, l’imaginant onduler au-dessus de moi. Et, au plus profond de mes viscères, dans un lieu que j’ignorais, une étincelle de plaisir commençait à naître. Mes mouvements se firent plus lascifs, mes gémissements, plus sensuels.

— Il est fait pour ça, commenta Eoran, stupéfait. Il prend plaisir !

— Je le savais, répondit Owain, la satisfaction dans la voix. Il est prêt.

À travers les mèches trempées qui me tombaient devant le visage, j’esquissai un sourire de victoire. J’avais pris tous les phallus, y compris la plus grosse taille. Celle qui, en principe, était celle d’un mâle adulte. Je pouvais être offert à Ren. J’étais prêt.

Du moins le croyais-je.

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