LES FRAGMENTS

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C’était comme si je ne m’étais jamais levé.

A l’aube du printemps je cueillais les fleurs du champ de Papa.

Ma main encore endormie caressait la rosée matinale et mes yeux contemplaient la campagne du matin dans sa splendeur brumeuse, humide et fraîche. Les rayons orangés du levant venaient lécher gracieusement les pétales et réchauffaient tendrement mes bras nus.

Soudain, j’agrippais fermement un bouton d’or et, je tirais dessus de toutes mes forces. Impitoyablement. Je le mettais dans mon autre main et j’en attrapais un autre.

Bouton d’or. Fleur de mes rêves, éclat de mes jours.

Le bouquet terminé, lorsque ma petite main peinait à maintenir ensemble ces fragments de printemps, je le ramenais à la maison et je me glissais de nouveau dans les draps refroidis. C'était comme si je ne m’étais jamais levé. Comme si je n’étais jamais allé réveiller les boutons d’or.

***

Avant même la fin de l’été.

C'était toujours déchirant de laisser mes chers criquets lorsque Maman m’appelait pour le déjeuner.

Je devais alors courir à travers les blés, laissant derrière moi les criquets. Leurs chants m’accompagnaient sur le chemin du retour mais dès lors que je prenais place autour de la grande table en bois, tous disparaissaient. Alors, on commençait à servir les plats. Les tomates grillées et le poisson à l’huile d’olive. Les adultes parlaient, riaient, criaient et masquaient les criquets. Alors, je me dépêchais de finir mon assiette et, après avoir bu un grand verre d’eau fraîche, je retournais gambader dans les prés. Je partais retrouver mes criquets.

Mes criquets qui me chantaient l’été.

Je profitais de leur compagnie, redoutant le moment où Maman m’appellerait pour le dîner ; avant même qu’ils n’aillent se coucher. Avant même qu’ils ne finissent de chanter. Avant même la fin de l’été.

***

La nostalgie de l’enfance passée trop vite.

Je me souviens de l’odeur de la forêt. Cette odeur que j’aimais tant.

L’odeur des gouttes de pluie tombant sur la terre humide. Les marrons à moitié sortis de leur enveloppe hérissée de piquants et, les champignons recouverts de mousse tendre et verdoyante. L’odeur des feuilles ; dorées, brunes et vermillon qui recouvraient le sol en un tapis coloré.

Je me promenais souvent avec Maman. Je courrais à travers les arbres et respirait l’odeur de la forêt de mes automnes. L’odeur des constructions de cabanes, de la cueillette des champignons et des jeux de bâtons. L’odeur du ciré jaune de Maman et de mes bottes qui se jetaient d’elles-mêmes dans les flaques profondes.

J’aimais l’automne. Parce que l’automne respirait les balades en forêt. Les marrons, les flaques et les bâtons. Les feuilles mortes qui craquaient sous les pieds et qui nourrissaient les escargots. L’automne respirait la nostalgie. La nostalgie de l’enfance passée trop vite.


***

De nouveaux souvenirs naissaient.

Après, mes sorties se faisaient plus rares. On vivait tous à l’envers. Les arbres étaient nus, le sol recouvert. Le monde restait derrière la fenêtre. Je regardais le jour se lever et, à peine le soleil pointait le bout de son nez que la lune revenait prendre sa place. Il faisait toujours sombre et seule la chaleur réconfortante de la cheminée faisait briller mes yeux assombris par la froideur du soir.

Les flocons de neige s’écrasaient d’abord sur les toits des maisons et, très vite, le monde basculait dans une monochromie que seule la nuit sombre pouvait contraster. En hiver, on ne voyait plus pareil. Tout semblait pouvoir nous réconforter du grand froid ; une maison, un chocolat chaud, une étreinte, un sourire.

Mais ce qui me plaisait le plus en hiver, c'était l’attente. Une attente si forte que, lorsque les premiers jours du printemps pointaient le bout de leur nez, c'était la renaissance. Je redécouvrais tout et tout me rencontrait enfin. Je ressortais pour cueillir les boutons d’or, entendre les criquets, sentir la forêt.

Et alors, de nouveaux souvenirs naissaient dans mon esprit et me procuraient mille sensations dont jamais je ne me lasserai.

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