Le spectateur

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Je ne voulais pas en arriver là.

Qui l'aurait voulu ?

Tout se passait très bien. Nous étions là, assis sur cette plage déserte. Le soleil se couchait à l’horizon, faisant apparaître des reflets dorés sur l’immensité bleutée. Tandis que les vagues se fracassaient sur les rochers, Valentin jouait de la guitare, fredonnant une chanson de Coldplay. Julie l’observait avec attention, perdue dans ses pensées. Marie regardait des vieilles photos du lycée avec Camille. Et Jérôme discutait avec Bastien et Victor. Tout trois riaient très fort et ne cessaient de piocher dans le paquet de chips qui lui, gisait sur le sable encore tiède.

Quant à moi, je ne pouvais m’empêcher de regarder l’immense roc qui surmontait cette mer agitée. Je n’avais qu’une envie. Grimper tout en haut et plonger. J’ai toujours apprécié les sensations fortes alors lorsque nous sommes arrivés ici, je n’ai pas pu m’empêcher de proposer à mes amis de sauter du rocher. Mais les réponses ont été immédiates :

« Hors de question ! »

« Sans moi ! »

« C'est trop dangereux, les vagues risquent de nous ramener contre la falaise » avait dit Valentin.

Mais je me fichais de leur avis. Je voulais absolument sauter de la falaise. Je sauterai de cette falaise.

Alors, pendant qu’ils étaient tous occupé à autre chose, je me suis levé et j’ai commencé à longer la plage. L’écume léchait mes baskets et le vent emmêlait mes cheveux trop longs.

 - Tu vas où Louis ?

Je me suis retourné. Victor me fixait, attendant une réponse. J’ai simplement haussé les épaules, jouant la carte de l’innocence.

 - Je vais me promener.

Le brun s’est avancé vers moi, son regard émeraude tentait de lire en moi, essayant de déceler la vérité.

 - Tu ne devrais pas.

 - Me promener ?

Victor avait ses mains dans ses poches, il a roulé des yeux en soupirant avant de rétorquer :

 - Je sais ce que tu as l’intention de faire Louis.

Je n’aimais pas la manière qu’il avait de prononcer mon prénom à la fin de bon nombre de ses phrases, appuyant bien sur chaque syllabe. Je ne l’ai jamais aimé. Cela me gênait. Surtout que j’ai toujours détesté ce prénom et il le savait très bien.

Comme seule réponse, j’ai de nouveau haussé les épaules puis j’ai fait demi-tour, mordant nerveusement ma lèvre inférieure. Je me rapprochais de plus en plus de la falaise et je savais que Victor me suivait. Comme à son habitude, il ne pouvait s’empêcher de fredonner la chanson qui lui passait par la tête. Peu importe s’il l’aimait ou pas.

Je commençais à escalader la roche blanche et rugueuse, Victor sur mes talons. Lorsque je suis arrivé en haut, je me suis retourné pour m’assurer qu’il n’était pas trop à la traine. Je voyais sa main attraper un gros caillou pour finir de se hisser jusqu’à moi. Il s’est assis et a soufflé un coup avant de me demander :

 - Tu veux vraiment sauter ?

J’ai acquiescé et il s’est approché du bord, observant la danse des vagues quelques mètres plus bas. Il s’est mordillé la lèvre, rongé par le stress puis a continué :

 - Je ne suis pas sûr de le faire, c'est quand même haut !

 - Si tu m’as suivi jusqu’ici c'est pour sauter. Quel est l’intérêt sinon ?

Victor me fixait, son regard reflétait le doute qui l’habitait. Un de ses yeux me regardait avec envie, l’envie de me suivre, de sauter avec moi tandis que l’autre m’implorait de redescendre et de retourner auprès de nos amis.

Finalement, il a commencé à ôter sa chemise, les mains tremblantes.

J’ai souris malicieusement avant de moi aussi enlever mon haut et mes chaussures. Je crois qu’au fond de moi, je voulais qu’il le fasse. Qu’il le fasse avec moi. J’avais envie de tenter cette expérience avec quelqu’un. Avec lui.

Un souvenir n’est que plus beau lorsqu’il est partagé.

Finalement, nous avons gardé seulement nos shorts. Nous nous sommes avancés vers le bord et j’ai senti une montée d’adrénaline prendre possession de mon corps en prenant conscience de la hauteur. Nous devions être à environ quatre étages de haut.

Osant lancer un regard à mon acolyte, j’ai constaté que contrairement à moi, il n’était vraiment pas rassuré. Tremblant, il affichait un air totalement terrifié et on corps était légèrement penché en arrière, comme pour s’éloigner du danger qui se trouvait juste devant.

 - Tu es sûr que ce n’est pas dangereux.

Évidemment qu’il y avait un risque. Le risque zéro n’existe pas et n’existera jamais. Mais je ne voulais pas l’inquiéter. Je jouais l’indifférent mais au fond, j’aurais été terriblement déçu s’il avait finalement changé d’avis. Alors, j’ai pressé son épaule dans un geste rassurant et je lui ai répondu :

 - Mais non, on va sauter puis on rejoindra la plage ensemble.

Peu convaincu, il a pourtant accepté d’un mouvement de tête. J’ai attrapé sa main et nous avons reculé d’un pas. Puis, nous nous sommes élancés.

Victor a crié tout le long de sa chute. Moi aussi. Mais tandis que son hurlement était empli de peur, le mien transpirait le bonheur. Mes cheveux se dressaient sur ma tête à cause du vent et je sentais mon corps chuter vers les vagues. Un immense sourire habillait mon visage et je m’efforçais de garder les yeux ouverts malgré le vent.

Nos corps ont ralenti au contact de l’eau et je me suis senti comme aspiré vers le fond avant que je ne sois renvoyé vers la surface. Heureux comme jamais, je cherchais Victor du regard.

A quelques mètres de moi, il nageait difficilement vers moi, un immense sourire barrait son visage et ses yeux brillaient de joie. Sa bouche s’est ouverte dans une tentative de me dire quelque chose mais une vague l’en a empêché. Son corps a été propulsé contre la falaise et j’ai juste eu le temps de crier son prénom avant de nager comme je le pouvais vers lui. Il était à moitié en train de couler et la mer se teintait de rouge autour de lui.

Paniqué, j’ai attrapé son bras et l’ai attiré vers moi. Il était inconscient et du sang s’écoulait de sa tête comme de l’encre renversée. J’ai vite identifié le trajet le plus rapide pour rejoindre la plage et j’ai nagé tant bien que mal vers celle-ci. J’enchaînais des mouvements de jambes puissants tout en m’assurant que Victor n’avait pas la tête immergée. Je n’avais pas le temps de prier pour sa vie, la culpabilité me rongeant les os.

Sur les derniers mètres, je l’ai soulevé dans mes bras et j’ai marché tant bien que mal vers le sable, toussotant après les nombreuses tasses que j’ai bu durant ma traversée.

J’ai allongé le corps inerte de Victor et ai hurlé pour demander de l’aide. Tout le côté gauche de son visage était éraflé, son arcade sourcilière ouverte et son dos, ensanglanté. Les larmes me sont vite montées aux yeux et j’ai placé une main contre ma bouche, comme pour étouffer un sanglot qui de toutes manières était coincé au plus profond de ma gorge. Je me suis penché pour vérifier s’il était toujours en vie.

Malgré la situation, je n’ai pu m’empêcher de me sentir soulagé lorsque j’ai perçu une respiration, aussi faible soit-elle.

En me redressant, j’ai de nouveau hurlé et deux minutes plus tard, je voyais Valentin et Jérôme qui marchaient dans ma direction. Lorsqu’ils ont pris conscience de la situation, le premier m’a rejoint en courant, tandis que le second est reparti vers les autres, sans doute pour les prévenir.

Les prévenir de mon erreur.

Lorsque Valentin est arrivé à mes côtés, il s’est empressé de se jeter sur Victor, scrutant son visage endormi.

 - Il saigne beaucoup à la tête. J’ai réussi à articuler malgré ma voix cassée par l’eau ingurgitée.

Il a alors posé sa main sur ses cheveux humides et poisseux de sang et a délicatement soulevé sa tête pour observer la blessure de plus près. Mon cœur quant à lui s’affolait alors que je prenais peu à peu pleinement conscience de la situation.

L’adrénaline qui s’était emparée de moi au moment de ramener Victor sur la plage m’avait subitement quitté, me laissant un goût amer dans la bouche.

Un amer salé.

Je me mordais la lèvre violemment et ne cessai de m’imaginer le pire. On nous dit toujours que dans ce genre de situation, il faut rester optimiste, essayer de se représenter le bout du tunnel pour ne pas sombrer dans les ténèbres. Mais ceux qui ont déjà vécu un cas similaire savent qu’on ne peut s’empêcher de songer aux pires scénarios.

Le poids de la culpabilité m’écrasait. Moi et mes envies de faire des choses dangereuses. J’aurais dû lui demander de m’attendre, de ne pas venir. Un frisson m’a parcouru quand j’ai pensé que ça aurait pu être moi. Ça aurait être moi. Il ne voulait pas sauter. Je l’y ai poussé. Je l’ai provoqué pour qu’il me suive dans mon inconscience.

Je regarde Valentin. Il est au téléphone avec les pompiers je crois. Il m’avait prévenu. Il m’a dit que les vagues risquaient de me renvoyer sur les rochers. Mais je ne l’ai pas écouté. Quand on saute à une dizaine de mètre de l’eau, on pense toujours que le pire danger qui pourrait exister serait durant la chute. On ne pense pas à l’après. S’il n’y avait pas eu cette vague, peut être que cela aurait été autre chose. Un vent qui nous aurait fait dériver au large, nous empêchant de rejoindre la plage. Un courant qui nous aurait attirer vers le fond. Un banc de méduses…

Au loin, Jérôme arrivait, accompagné des autres. Tous affichaient une mine horrifiée. Ma respiration s’est faite de plus en plus affolée et je sentais mes jambes flancher sous mon poids.

Valentin s’est approché de moi.

 - Ils seront là dans une dizaine de minutes.

J’ai acquiescé dans un reniflement puis ai baissé les yeux, attendant qu’il me réprimande. Tout était ma faute. Mais à la place, il a seulement soufflé avant de me lancer d’un ton las :

 - Je ne vais rien te dire. Juste, ne t’en veux pas.

Je l’ai de nouveau regardé et il m’a adressé un léger sourire qui n’a pourtant pas effacé l’inquiétude dans ses yeux. Valentin s’est éloigné, se dirigeant vers Marie qui semblait au bord de la crise de panique.

Lorsque les pompiers sont arrivés, toutes ces lumières et ces alarmes m’ont donné mal à la tête. Ma gorge ne cessait de se serrer encore et encore tandis que je faisais un pas en arrière. Mes yeux embués de larmes rendaient ma vision floue et je dû m’assoir au sol pour ne pas tomber. Mon corps tremblait, j’étais tétanisé.

Alors, je suis devenu un véritable spectateur. Spectateur du corps de Victor se faisant placer sur un brancard. Spectateur de Valentin expliquant à un des pompiers ce qu’il s’était passé. Spectateur de mes amis, inquiets. Spectateurs des parents et de la sœur de Victor, arrivant sur les lieux, en pleurs.

Spectateur de mon erreur.

Spectateur de mes regrets dont je ne percevais pour l’instant que l’ombre.

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