Double je.

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Comme chaque matin depuis trois années, Fanny alla dans sa salle de bains afin de se pomponner pour se plaire un peu plus ainsi qu'à son mari. Mais comme toujours depuis trois ans, ce courant d'air ne cessait de l'agacer. Impossible d'avoir chaud, impossible de trouver exactement d'où se faufile ce petit vent et elle en avait vraiment assez.

Il y avait un petit plus ce matin-là, un petit impact sur son miroir encore absent le jour précédent, il se présentait au même niveau que ses yeux. Mais après l'avoir regardé pendant une dizaine de secondes, sans bouger et sans cligner des yeux, elle reprit normalement ses habitudes, faisant sa toilette et se maquillant en chantonnant toujours la même chanson.

Alors qu'elle se penchait plus près du miroir pour appliquer une couche généreuse de mascara sur ses cils déjà longs, un petit filet d'air lui agressa l'oeil. Fanny se recula brusquement, choquée, le globe oculaire endolori.

— Connard de vent !

Elle frappa son miroir, énervée une fois encore par cette situation. Elle venait enfin de comprendre que l'air se faufilait depuis le contour et l'arrière de son réflecteur.

— Avoir froid est une chose supportable, mais se faire attaquer, c'est non !

Après avoir pris une grosse inspiration, elle sortit en trombe de la salle de bains, farfouillant dans le cagibi pour y trouver ce qu'elle cherchait, elle reprit ensuite place devant la glace.

— Tu veux jouer, on va jouer saloperie !

Brandissant le marteau de son mari, elle s'en servit pour démolir la surface en verre, en criant et en respirant beaucoup trop fort pour quelqu'un qui démolirait normalement du verre.

Folle de rage, elle asséna coup sur coup jusqu'à ne voir plus aucune trace de miroir en face d'elle.

Mais ce qu'elle vit, une fois le tout en mille morceaux sur le carrelage, lui coupa le souffle.

Tout était noir et pourtant elle voyait comme si ses yeux étaient faits pour ce milieu. Des personnes semblaient mollement survoler le sol, beaucoup d'enfants se trouvaient ici, mais il y avait tout autant de personnes malheureuses, souffrantes et ensanglantées pour la plupart. Tous, la regardaient avant de retourner à leurs occupations, comme si elle était une habituée.

Elle aperçut au loin une jeune femme qui lui était familière, mais elle ne réussit cependant pas à voir l'identité de cette personne.

Tremblante mais affreusement curieuse, Fanny secoua le verre présent sur elle, puis grimpa sur son lavabo avant d'enjamber l'arrière, pour entrer dans cet univers si effrayant mais pourtant si attirant.

Un mélange d'odeurs assaillit ses narines, lui faisant remonter son petit-déjeuner dans la bouche, mais elle prit sur elle pour ne pas vomir et s'engouffra un peu plus dans cet endroit sinistre.

Derrière elle, le trou qui était comblé par le miroir se referma naturellement et Fanny se sentit soudainement prise au piège, dans un milieu où elle n'avait plus aucun moyen de sortir.

Sa respiration s'accélera, son coeur battait la chamade, à un point où elle l'entendait battre dans ses oreilles et dans son crâne.

Puis elle entendit une mélodie, accompagnée par une voix féminine. Cette mélodie, elle la connaissait si bien, c'était cet air qui l'accompagnait depuis trois ans, et c'était cette chanson qu'elle chantait toujours devant le miroir. Mais cette voix... Cette voix aussi Fanny la connaissait. C'était sa voix.

Fronçant les sourcils, Fanny déglutit difficilement, elle s'approchait tout doucement, d'une démarche craintive, vers la jeune femme qui l'attirait comme un aimant depuis qu'elle l'avait vue de loin.

L'atmosphère était écrasante et la résonance du lieu pouvait être comparée à un égout grouillant de rats qui courent dans l'eau souillée par les humains. Les odeurs, les ressentis et tout ce qu'elle voyait était digne d'un film d'horreur.

Fanny eut l'impression que quelqu'un lui coupait les jambes avant de lui mettre un puissant coup dans la poitrine, tant le choc de voir que la jeune femme vers qui elle marchait, se trouvait être..elle. Son double parfait, à la seule différence que la personne devant ses yeux était remplie de coupures ensanglantées sur le corps, son regard ne brillait pas et sa peau était pâle.

— Bonjour, Fanny.

La concernée hoqueta de surprise.

Son double avait une voix identique, il s'adressait à elle comme s'il la voyait vraiment. Mais où était-elle ? Que se passait-il ? Elle voulait juste retourner chez elle, dès que possible.

— Je comprends la peur que tu ressens en ce moment même, et je vais t'expliquer pourquoi tu es là, qui je suis et quel est ce lieu.

Le double s'approcha de Fanny, mais cette dernière était paralysée par la peur.

— Ce que je vais te dire va probablement être très difficile à admettre mais c'est pour ton bien et celui de ton mari. Je suis toi, tu es moi. Ici, c'est le lieu où sont bloquées toutes les entitées quand le propriétaire n'est pas conscient qu'il est mort ou qu'il refuse de l'être. Je suis bloquée ici depuis trois ans, tout comme tu ressens ce courant d'air à chaque fois que tu fais quelque chose dans ta salle de bains. Tu es morte, il y a jour pour jour trois années, en te tranchant le corps avec des morceaux de verre que tu as pris après avoir brisé ton miroir avec le marteau de ton mari, exactement comme tu l'as fait avant de me rejoindre.

Fanny poussa un cri, ses larmes coulaient sans retenue sur ses joues. Elle ne comprenait rien de la situation et souhaitait encore plus s'enfuir en courant, loin de cet endroit de malheur.

— Jour après jour je t'envoyais des appels, avec ce courant d'air, avec des petits bruits de temps à autre. Et j'essayais de casser le miroir jusqu'à ce qu'il s'ouvre sur ton côté, chose que j'ai réussi pendant la nuit. Je savais que tu t'énerverais et que tu casserais le miroir si je te mettais de l'air dans l'oeil. Et tu es là, à ta place, la boucle est presque bouclée.

L'ignorante se retourna et courut en direction de sa salle de bains, dans l'espoir de pouvoir y être de nouveau, mais en vain, à partir d'une certaine limite elle se retrouva devant son double, encore et encore.

— Je te ne crois pas ! David me parlait tous les jours !

— Fanny, tu t'es suicidée il y a trois ans ! David n'a jamais fait son deuil car tu ne savais pas que tu étais morte et tant que tu refuses de partir, il sera meurtri et malheureux ! N'as-tu jamais trouvé qu'il avait des paroles différentes, tristes, remplies de douleur et de nostalgie ?

Fanny ne répondit pas.

— N'as-tu jamais vu l'espace creusé entre lui et toi ? Plus aucun geste tendre et affectueux ? Plus aucun moment intime, plus aucune discussion intéressante, toujours les mêmes sujets redondants et récurrents ! Des regards vidés de tout bonheur ! Uniquement des frissons alors que tu voulais l'enlacer dans la salle de bains, et peut-être bien partout ailleurs dans la maison ! Ne t'es-tu jamais demandée pourquoi tu ne sortais pas de la maison ? Pourquoi tu n'allais pas au restaurant ou en soirée avec ton mari et tes amis ?

Un choc de plus pour Fanny, son double touchait des points sensibles, des questions vinrent brusquement dans la tête de l'ignorante et elle pleura encore plus, des douleurs dans la poitrine.

— Ne t'es-tu jamais rendue compte que tu étais invisible pour lui, depuis ces trois années ? Tout ce que tu ressens alors que je te parle, c'est ce que vit ton mari chaque seconde de sa vie depuis que tu es morte, mais de façon amplifiée ! Il est à l'agonie, ton absence et le fait qu'il ne fasse pas son deuil aggravent son état. Aide-le à faire son deuil, fais le tien.

Fanny tomba à genoux, criant le plus possible.

— Toutes les personnes qui nous entourent sont bloquées ici, comme moi, et ici c'est vraiment pas drôle à vivre. Tous les enfants que tu vois, sont soit réellement des enfants décédés à cet âge, soit des êtres qui ont préféré retrouver leur enveloppe corporelle qui les ont marqués. Nous, c'est le jour de ta mort.

— David.. qu'est-ce que je vais devenir sans lui ?

Le double de Fanny s'agenouilla doucement à ses côtés, et dans un geste se voulant réconfortant, il lui enlaça tendrement les épaules.

— On ne fera plus qu'un. On ne sera plus coincées dans cet endroit, on ira ailleurs et on sera heureuses ! Une fois libérées de toutes les barrières psychiques et mentales, je te promets que tu auras l'impression de revivre ! David pourra se sortir de la tourmente dans laquelle il meurt à petit feu depuis que tu n'es plus là. Il pourra redevenir un homme confiant et joyeux et pourra refaire sa vie, mais il ne t'oublieras pas, c'est une certitude !

Les deux jeunes femmes face à la salle de bains, toutes deux marchèrent et comme par magie, la visibilité se débloqua. Fanny observa son mari qui lui-même s'inspectait malheureux à en crever.

— Regarde-le bien Fanny, il serait prêt à faire la même erreur que toi. Parce que lui a perdu deux personnes, toi il y a trois années et votre petit garçon l'année dernière. Il a continué à se battre et à élever Liam alors qu'il mourrait intérieurement, il s'est encore plus battu pour que votre fils souffre le moins possible de ton absence et de sa maladie. Liam n'a pas mis longtemps avant de comprendre qu'il devait libérer son père. Allez Fanny, cesse d'être égoïste.

Fanny pleura encore quelques minutes devant son mari anéanti. Puis, elle céda et prononça la phrase libératrice pour eux.

— Je fais le choix de partir, pour le bien de toutes les personnes bloquées à cause de moi. Je me libère, je vous libère. Je vous aime.

David disparut, puis le double de Fanny, ainsi que tout ce qui l'entourait.

Sa nouvelle vie lui tendait enfin les bras.

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