Chapitre 3

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Yélé se rendait régulièrement chez le père que Kazir, lui aussi Botaniste, pour se procurer les végétaux dont il avait besoin pour ses préparations. Il avait appris à connaître son fils, l'avait vu grandir d'années en années, jusqu'à ce que celui-ci reprenne la serre familiale.

Une fois Nayala habituée à son nouveau foyer, le vieil homme avait jugé bon de lui faire rencontrer une personne avec qui elle pourrait se lier d'amitié. Kazir était certes plus âgé qu’elle - à ce jour il avait tout juste la trentaine - mais cela ne les avait pas empéchés de devenir comme frère et sœur, malgré une première rencontre chaotique.

Depuis quelques années maintenant son bienfaiteur n'avait cessé de la pousser, sans se cacher, dans les bras du Botaniste non-officiel. Yélé lui avait donné des conseils qu'elle n'avait pas eus envie d'entendre, et l’avait assommée de discours presque paternels sur le danger des jeunes garçons de son âge.

Mais, parallèlement, il chantait les louanges de ce garçon qui pourrait l'accompagner faire le tour du monde. La première impression que lui avait laissé Yélé était loin d'être celle d'un romantique. En y pensant elle se mit à sourire : cela faisait déjà dix ans que sa vie avait pris un nouveau tournant. Dix années que grâce à lui, elle ne vivait plus à la rue.

Entrée dans la demi sphère vitrée qui surplombait un cratère, elle trouva Kazir agenouillé, travaillant la terre. En plus d'avoir repris la serre familiale, il avait réussi à devenir l'un des plus grands Botanistes non-officiels du quartier Sud en quelques années seulement.

Il possédait maintenant à lui seul un petit cratère à l’intérieur duquel était construit un bâtiment vitré sur trois étages. Il était tellement concentré qu'il ne remarqua par l'arrivée de Nayala, qui ne put s'empêcher de le faire sursauter :

- Même pas un bonjour ?! Moi qui étais venue t'emmener un cadeau de fiançailles ! s’exclama Nayala dans avec une voix qui se voulait faussement mielleuse.

D'abord déconcerté, il se redressa tout en affichant un large sourire puis entra dans le jeu de la jeune femme :

- Loin de moi l'idée de vous offusquez, ma promise. Laissez-moi me laver les mains avant de vous rejoindre.

Ils éclatèrent de rire tout en se dirigeant vers le fond de la serre. Contre le mur se trouvait une petite fontaine à eau où Kazir pu enlever toutes traces de sable.

Sa peau était aussi pâle que celle des autres habitants de Lune. Une partie de ses cheveux couleur charbon était attachés en un chignon mal fait sur le dessus de sa tête, afin qu’il puisse travailler sans gêne. Le reste était soigneusement rasés, laissant sa nuque apparente.

Une fois son visage essuyé, il tourna sa tête et ses yeux bleus rencontrèrent ceux de Nayala :

- Où est mon cher ami ? demanda-t-il gaiement en parlant de Yélé.

- Je l’ai laissé à la maison, je ne fais que déposer ceci.

- Tu as réussi à trouver de l'eau lunaire ? s'étonna-t-il. Même madame Sheza n'a pas réussi à s'en procurer ces temps-ci !

Elle posa le flacon sur le bord de la fontaine et posa les mains sur les hanches peu développées avant de répondre amusée :

- Je suis allée rendre visite à un ami.

Kazir plissa des yeux. Il n'était pas dupe et devina aisément ce à quoi s'était livrée son amie avant de venir.

- Ton ami ne serait-il pas l'abominable Mefir par hasard ?

- Il préfère que son identité ne soit pas révélée...

Elle amplifiait tous ses gestes et parlait comme une dame hautaine du palais, qui se croyait supérieure au reste du monde. Kazir était le seul ami assez proche pour qu’elle puisse être suffisamment à l'aise et se laisser aller. Avec lui, elle n'avait ni peur du ridicule, ni peur du jugement. Tous deux s'amusaient de ce genre de comédie, surtout quand ils imitaient Yélé…

- Tu sais qu'il n'a pas voulu en vendre à madame Sheza ! Tout ça parce qu'elle ne pouvait pas payer toute sa commande ! Expliqua-t-il, elle lui a demandé de la mettre sur son ardoise mais il a refusé, alors qu'elle comptait repasser dans la journée !

- Ça ne me surprend pas vraiment, je crois que ce type n'a pas d'âme.

- Toujours aussi tranchante ! ricana-t-il. Ne t'inquiète pas pour madame Sheza, elle m'a dit être repassée le jour même avec l'argent, et qu'elle a déposé dans un coin de la pièce une fleur d'Allium cepa !

Cette fleur blanche qui poussait à même le sable était connue pour être antioxydante, mais également pour dégager une horrible odeur de moisissure.

- Cette dame est mon modèle ! Quand est-elle passée ? Questionna Nayala.

- Juste avant toi, tu l'as loupé de peu. Je vais aller ranger la fiole, c'est gentil de m'en avoir amené, j'ai les mains toutes abîmées avec le travail. Je dois la mélanger avec quoi ?

Elle prit l'eau lunaire diluée de ses mains et le devança en se dirigeant vers les escaliers.

- Laisse, je vais faire, proposa Nayala.

Une fois à l'intérieur de la maison, elle mélangea le contenu de la fiole avec du sable, puis avec de l'hamamélis – de toutes petite feuilles jaunes et délicates – Le tout donna une pâte granuleuse qu'elle étala sur les mains de son ami avant de les bander.

Quelques années auparavant, elle n'aurait jamais pu imaginer devenir amie avec Kazir. En plus de l'avoir mise mal à l'aise avec toutes ses questions, il l'avait observé à la loupe tout en essayant de soulever sa fidèle capuche.

Il n'avait cessé de demander à Yélé qui elle était, d'où elle venait, pourquoi elle était vêtue ainsi, pourquoi elle baissait constamment la tête ou encore pourquoi elle parlait si peu. Tant de questions qu'il ne lui avait pas posées directement, comme si elle n'avait pas été présente.

Elle avait essayé tant bien que mal d’esquiver toute visite chez le Botaniste mais c'était sans compter sur Yélé qui insistait fortement pour qu'elle l'accompagne. Il prétextait qu'une enfant devait se faire des amis. Nayala devait bien au vieil homme de lui avoir permis de rencontrer l'une des personnes les plus importantes dans sa vie à ce jour.

Quand elle avait enlevé sa capuche de sa propre initiative pour la première fois devant lui, sa réaction lui avait donné l'impression de se faire trancher par une lame.

- Ses cheveux et... ses yeux ! Ça ne serait pas la fameuse enfant maudite dont les vieux parlaient il y a quelques années ? Moi qui ne les croyais pas !

Aussitôt, Nayala avait de nouveau dissimulé son visage et s'était enfuie en toute hâte, laissant le Préparateur et le Botaniste seuls dans la serre.

La remarque n'aurait pas dû la blesser, elle avait déjà entendu bien pire. Mais après avoir écouté son bienfaiteur faire des éloges sur ce jeune garçon qu'il connaissait depuis son plus jeune âge, elle s'était imaginée que peut-être, lui, un ami de Yélé, aurait également pu devenir le sien. L'espoir qu'elle avait nourri malgré elle n'avait pas duré longtemps.

Le soir même, Yélé était rentré en compagnie du jeune homme, trop embarrassé pour lui faire face. Ce dernier regardait dans toutes les directions, sauf la sienne. Elle avait su bien après, de la bouche de son ami, que, ce jour-là, après qu'elle se fût enfuie, il avait passé le reste de l'après-midi à se faire réprimander.

Elle ne s'en voulait pas d'être partie de cette façon, car les mots qu'il avait eu l'avait blessé. Plus tard, il lui avait présenté des excuses, sûrement obligé par Yélé, et lui avait proposé de venir à sa serre, à visage découvert, comme bon lui semblait et quand elle en avait envie.

Évidemment, elle ne l'aurait jamais fait si son mentor ne l'avait pas volontairement envoyée acheter des plantes, qui se trouvaient comme par hasard, seulement dans l'une des serres du jeune homme. Elle était apparue alors à visage découvert, comme il le lui avait conseillé. Elle l’avait regardé droit dans les yeux de la façon la plus provocante possible. Sa manière à elle de lui faire face. Aurait-il osé lui redire la même chose que la veille ?

Mais Kazir ne détournait plus les yeux, il était devenu comme elle le connaissait aujourd'hui : charmant, souriant, et parlant même avec un peu trop d'enthousiasme.



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