Chapitre 6

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De sa cachette elle ne voyait rien. Seuls les sons lui parvenaient ; les sons des roues sur le sol, les sons de discussions qui provenaient d'un peu partout, et les sons de nombreuses voix à proximité de la charrette qui augmentaient considérablement son anxiété.

Au ballottement qu'elle et les objets subissaient, Nayala pouvait aisément deviner la direction que prenait le convoi. S'en faire une reconstitution mentale sous forme de plan d'évasion lui semblait malheureusement impossible, d'autant plus qu'elle n'avait jamais vu l'intérieur du Palais de ses propres yeux.

La prochaine étape de son plan - construit sur le tas au vu de la situation - était de sortir de sa planque pour... trouver une autre planque. Un endroit assez discret pour ne pas attirer l'attention afin d'observer son nouvel environnement et établir la suite de la procédure à suivre.

Sortir sans être vue était son nouveau problème: voir une jeune femme qui descend d'un chargement devant tous ne devait pas être une habitude au Palais.

Trop se précipiter pour être découverte alors qu'elle avait enfin réussi à entrer serait idiot. Elle décida de faire preuve de patience et de réflexion. Son cerveau fulminait d'idées, mais elle y renonçait systématiquement à cause de toutes les inconnues auxquelles elle se confrontait.

Elle ne savait pas où elle se trouvait, avec qui, et combien de personnes remplissaient l'espace. Trouver une solution avec si peu d'informations serait complexe.

Sa respiration se coupa en même temps que la charrette arrêta sa course. Elle saisit sa flûte sans savoir si elle aurait à l'utiliser comme moyen de dernier recours. Ou même savoir si cela lui serait utile, ne l'ayant jamais testée sur un aussi grand nombre de personne.

Les voix qui lui parvenaient jusqu'aux oreilles indiquaient au moins deux hommes et un nombre incertain de femmes qui, de toute façon, étaient à l'évidence trop nombreuses. Elle resta ainsi longtemps, prête à dégainer, sans que personne ne fasse attention au chargement, jusqu'à ce que l'atmosphère entière de la pièce ne change soudainement.

Les bavardages, les bruits de pas, tout s'évapora lentement avant de laisser le silence régner sur l'endroit. Attendre. C'est ce qu'elle faisait depuis la première heure sombre, mais s'empresser d'atteindre l'extérieur de la cargaison aurait été imprudent, d'autant plus que cela pouvait être un piège.

Les Gardes auraient pu être alertés, peut-être se serait-elle faite repérer. Ils auraient alors fait discrètement vider la pièce pour faciliter la capture de l'intruse. Ou encore, ce n'est pas parce qu'elle n'entendait rien, qu'une personne silencieuse ne se trouvait pas à proximité.

Ne pas sortir tout de suite était certes plus sûr, mais à trop attendre, elle risquait d'entendre la pièce se remplir de nouveau, ce qui la laisserait prise au piège une nouvelle fois.

Elle attendit encore quelques minutes, indécise puis plusieurs secondes où Nayala s'était concentrait à son maximum sur ce qu'elle entendait. Des bruits de pas et des conversations étouffés, trop éloignés, devaient provenir d'en dehors de la pièce où elle se trouvait.

Elle reporta alors toute son attention sur son environnement proche, mais n'entendait rien mis à part sa propre respiration et le son de son cœur tambourinant dans sa poitrine. Elle décida alors avoir assez attendu.

« Maintenant il faut sortir », se dit-elle.

Elle effectua une vérification sur sa capuche, la remit en place puis, flûte en main pour se donner un maximum de courage, passa lentement la tête hors de la bache de protection.

Devant : un mur. Une fois debout, elle observa la pièce et, à son grand soulagement, elle était vide. Seules d'autres charrettes occupaient les lieux : certaines vides, d'autres remplies. Il y avait là un grand nombre d'objets, de plantes, de tissus, de vêtements, dont des tenues de Servants, qui lui donnèrent une nouvelle idée.

Nayala enfila rapidement l'un des ensembles gris terne en dissimulant son instrument dans son dos, accroché par un bout de tissus. Puis, elle noua un nouveau bout en turban pour camoufler ses cheveux, avant d'en rajouter un autre par-dessus, qu'elle ajusta comme une capuche afin de cacher ses yeux.

Toutes les couches pour dissimuler sa chevelure cendrée sortiraient du lot à n'en pas douter, mais au moins espérait-elle se fondre dans la masse en arborant le même vêtement que tout le monde.

Maintenant sortie de sa cachette, elle devait trouver le moyen de franchir la porte de la pièce afin de trouver un endroit discret, d'où elle apercevrait l'ensemble de l'étage.

Une oreille collée à la porte, une main sur la poignée, elle écouta attentivement l'extérieur, d'où provenait toujours le même vacarme. Un mélange de discussions dont elle ne pouvait deviner le sens, des bruits de pas avec toutes sortes d'autres sons qui devaient appartenir à des d'objets en tous genres.

Rester ou sortir ? Le choix était crucial et dur à prendre. Après une grande respiration qui lui donna un semblant de volonté, elle ouvrit la porte d'un coup sec. Trouver une planque pour observer l'intérieur du dôme était son plan initial, mais face à la scène qui se jouait, trop médusée pour reprendre ses esprits, elle ne fit rien.

Une ville !

Ce fut l'image qui lui vint instantanément à l'esprit. Une ville à l'intérieur du Palais.

Nayala se trouvait dans le couloir circulaire du premier étage qui surplombait le rez-de-chaussée. Retenue par la ballustrade, elle contemplait le monde d'en bas où déambulaient une centaine de personne, si ce n'était plus.

Des femmes, des hommes, tous plus pressés les uns que les autres. Certains portaient du linge, d'autres de grands bacs qui abritaient des multitudes de plantes. D'autres couraient dans toutes les directions tandis que certains criaient pour se faire entendre.

De là où elle était, ses yeux pouvaient tout voir : son regard dérivait d'un bout à l'autre de l'immensité de l'intérieur du Palais, tellement différent de l'image qu’elle s'en était fait. Le couloir où elle était faisait le tour du dôme où, sur les murs blancs, de nombreuses portes étaient gravées de différents numéros :

- Reste pas planter là ! grogna un type, la bousculant au passage.

Elle se colla d'instinct au mur derrière elle, haletante, afin de s'écarter du vide animé qui l'attirait tant. Une fois la stupéfaction dissipée, elle retrouva peu à peu ses esprits, jusqu'à remarquer qu'aucun espace ne pourrait correctement la cacher le temps de savoir quoi faire ensuite.

Dans cette ville en ébullition, rester statique la ferait assez vite sortir du lot, tout l'inverse de ce qu'elle souhaitait: se fondre dans la masse. On aurait dit une enfant perdue et terrorisée face à la situation, ce qui lui rappela le visage de la gamine, le jour où elle l'avait vu épouvantée par Méfir.

Nayala ne savait pas si l'occasion de revoir les trois enfants se représenterait, mais si elle le pouvait, c'est bien ce qu'elle voyait en ce moment qu'elle leur décrirait :

- Tu comptes prendre racine ?

La question venait d'une petite femme ronde à la voix aiguë. Nayala reconnut la fille qui avait ouvert la voie de la charrette dans laquelle elle s'était cachée un instant plus tôt.

La voyant maintenant de plus près, elle pu remarquer que son ensemble de Servante était légèrement différent des autres. En plus des habits gris ternes habituels, elle possédait une large ceinture en tissu marron à la taille.

Son interlocutrice devait avoir environ son âge, des yeux bleus un peu cernés combinés à de longs cils aussi noirs que ses cheveux courts, qui lui arrivaient juste en dessous des oreilles, lui donnaient un air juvénile. Ses joues rebondies et ses fines lèvres rosées ne faisaient qu'en renforcer l'effet.

La jeune femme tapait du pied en signe d'impatience. Les mains sur les hanches, elle ajouta :

- T'es muette ou quoi ?

- Ah...non...désolé, balbutia Nayala, je suis perdue.

La conversation l'ayant prise de court, elle ne trouva aucune autre réponse, en quelques minutes elle venait déjà de se faire remarquer. Tout aller être fichu en une discussion. La Servante reprit :

- Panique pas ! J'te vois qui transpire, t'es nouvelle c'est ça ?

- Oui...

- Et si j'peux me permettre, tu viens d'où ? demanda-t-elle après avoir regardé le visage de Nayala.

- Je suis étrangère, répondit-elle sans donner plus de détail en cachant son visage sous l'ombre d'un tissus de tête..

- J'en avais jamais vu ! L'prends pas mal mais tu seras la seule ici. J'avais jamais vu une personne venant de Soleil, j'vais jamais à la Grande Porte !

Nayala tourna la tête pour éviter le regard azur de la petite femme qui la scrutait avec insistance, telle une gourmandise que l’on dévore du regard avant de l'engloutir.

Sa couleur de peau pouvait passer, son interlocutrice en avait déduit d'elle-même qu'elle venait du Soleil. Elle n'aurait pas d'autres explications à donner, mais si elle voyait ses yeux, s'en était fini de sa mission. Même si elle n'avait jamais vu un habitant de Soleil, tout le monde savait qu'ils n'avaient pas les yeux oranges...

- T'peux enlever ton tissu de tête quand t'es pas en cuisine, tu sais.

- Je préfère le garder, merci.

Nayala lissa ce qui lui servait de capuche d'un coup de main nerveux pour s'assurer qu'il était bien mis.

- Comme tu veux. Bon, vu que t'es perdue et moi débordée, t'vas m'aider et après j'te conduirai en cuisine. Comme ça, en passant, je t'expliquerai un ou deux trucs. Tu veux ?

- Oui, ça serait gentil, en quoi puis-je t'aider ?

- Pas besoin d'me parler comme ça, j'ai que 28 ans, on dirait qu'tu parles à ma mère... Détends-toi ! Au fait, je m'appelle Nora et j'suis vraiment en retard là...

Nora parlait vite et mâchait la moitié de ses mots, ce qui déconcerta un peu Nayala. Puis elle se rappela le débit rapide de son ami Kazir, et réalisa que la jeune femme pourrait très bien être son alter-ego :

- Naya... Je m'appelle Naya ! Et je t'avoue que je te donnais 22 ans, comme moi.

Encore une fois, elle était à deux doigts de faire une erreur en donnant son vrai prénom. La suite du plan serait vraiment compliquée si dès à présent elle avait du mal à se concentrer :

- Tu m'flattes dès notre première rencontre... Tu m'plais petite ! Suis-moi, j'dois emmener un chargement qui vient d'arriver à l'étage.

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